Théâtre du Châtelet, mardi 10 avril 2012
June Anderson (Pat Nixon), Franco Pomponi (Richard Nixon), Kyung Chun Kim (Zhou Enlai)
Photo : (c)Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet
Lors de sa création le 22 octobre 1987 au
Grand Opera de Houston, Nixon in China fit grand bruit. Pour son
premier opéra, à l’instar de Robert Wilson onze ans plus tôt pour son Einstein on the Beach composé en
association avec Robert Wilson, John Adams (né en 1947) s’était lui aussi adjoint
un metteur en scène, Peter Sellars, de dix ans son cadet, qui a eu l’idée du
sujet, puisé dans l’histoire immédiate des Etats-Unis, la visite du président
des Etats-Unis Richard Nixon en Chine communiste, du 21 au 28 février 1972, sept
mois après que son Conseiller pour la sécurité nationale Henry Kissinger se
soit rendu secrètement à Pékin lors d’un voyage au Pakistan. Cette rencontre,
qui mettait un terme à un près d’un quart de siècle de rupture et tensions diplomatiques
entre les deux nations, dont les prémices avaient été annoncés deux ans plus tôt
avec l’instauration de la « diplomatie du ping-pong », aura été « la
semaine qui a changé le monde », selon la formule de Nixon à son retour à
Washington, qui précisait : « parce que ce que nous avons dit n'est
presque pas aussi important que ce que nous ferons dans les années à venir pour
construire un pont au-dessus de 16.000 miles et vingt-deux ans d’hostilités,
qui nous ont divisés dans le passé. Et ce que nous avons dit aujourd'hui, c'est
que nous allons construire ce pont. »
Alfred Kim (Mao Zedong), Franco Pomponi (Richard Nixon)
Photo : (c)Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet
De là à faire de cet événement un
sujet universel digne d’être mis en musique, il y avait une marge apparemment infranchissable
que John Adams n’a pas hésité à contourner grâce au livret d’Alice Goodman,
entièrement versifié et rimé avec strictement le même nombre de pieds sur le
modèle de la poésie et du théâtre chinois, qui ajoute au contexte politique
international intrigues sentimentale, philosophique et humaines à travers des
réminiscences chez chacun des personnages de son propre passé. Commandée par la
Brooklyn Academy of Music, le John F. Kennedy Center for the Performing Arts et
le Houston Grand Opera, l’œuvre a été créée dans une production de Peter
Sellars dirigée par Edo de Waart à la tête de
l’Orchestra of St.Luke’s in the Fields, avec une chorégraphie de Mark
Morris. L’intrigue se focalise sur les personnalités et les histoires
personnelles des six personnages principaux : Richard Nixon et sa femme
Pat, Mao Zedong et son épouse Jiang Qing, et les deux conseillers personnels
des deux parties, Henry Kissinger et Zhou Enlai. Le premier des trois actes
détaille l’attente fébrile des Chinois sur le tarmac de l’aéroport de Pékin,
l'arrivée de Nixon et de sa suite, la première rencontre et la première soirée
en Chine du couple présidentiel états-unien. La première des deux scènes du
deuxième acte se concentre plus particulièrement sur Pat Nixon, alors qu'elle
visite la campagne chinoise, jusque dans une ferme à cochons, tandis que la
seconde scène est axée sur une représentation d’une pièce de propagande
communiste durant laquelle interviennent tour à tour Henry Kissinger, puis Pat
Nixon, suivi de son mari et enfin Jiang Qing. L’acte final conte la dernière
nuit en Chine, où l’on voit les protagonistes danser un foxtrot et penser à
leurs passés respectifs. Côté musique, contrairement au texte, l’opéra ne contient
aucune allusion à la Chine, qu’elle soit traditionnelle – il est vrai que la
Révolution chinoise interdisait toute allusion à la culture ancestrale – ou conforme
à l’esprit populaire du temps, et s’avère essentiellement fondée sur la musique
minimaliste initiée par Steve Reich, La Monte Young et consort, et de big band
des années 1930, Adams allant jusqu’à adapter le thème du foxtrot du troisième
acte de ses Chairman Dances composées en 1985 comme « une sorte d’échauffement
avant la composition de l’opéra entier », de l’aveu même du compositeur.
June Anderson (Pat Nixon), Alfred Kim (Mao Zedong), Sumi Jo (Jian Qing)
Photo : (c)Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet
Opéra sur la manipulation, le
choc des cultures, l’incompréhension entre les êtres, la rhétorique,
le pouvoir et sa vacuité, Nixon in China était perçu avec considération avant
son retour à Paris vingt ans après sa première apparition en France en décembre
1991 à la MC93 de Bobigny. Quarante ans après la visite de Richard Nixon à Mao
Zedong et vingt-cinq ans après la création de l’œuvre d’Adams, on a du mal après
l’avoir vue et entendue hier soir, à prendre la mesure de la résonance qu’a pu
avoir Nixon in China aux Etats-Unis à l’époque. La partition a certes
plus de richesses que celle d’Einstein on
the Beach de Philip Glass repris le mois dernier par l’Opéra de Montpellier
dans sa production originale révisée pour l’occasion, cette dernière plus strictement
minimaliste et motorique, mais la musique reste d’une pauvreté
d’inspiration patente. Certes, l’orchestration est plutôt riche et l’harmonie fouillée,
mais le matériau thématique est indigent et les citations trop nombreuses,
particulièrement Wagner, Richard Strauss, Mahler, Stravinsky de l’ère néoclassique
et le style jazz band 1930, le tout s’enchaînant abruptement, Adams ne maniant
guère l’art de la transition. Malgré ses
ambitions poétiques, le livret reste trop engoncé dans les limites d’un
humour bienveillant, qui évite soigneusement la satire politique et sociale que l’on
pouvait escompter de la part de la jeune équipe réunie autour
du projet. Pour conforter ce que j'écrivais dans le quotidien La Croix de ce jeudi matin au sujet de cette même production et sans adhérer pleinement à ce qu’en disait un célèbre pianiste
à la fin de la représentation d’hier soir (« un mauvais hamburger dans un
mauvais McDo »), cet ouvrage est le trop évident reflet du consumérisme états-unien,
vite assimilé sitôt digéré, avec ses microcellules rythmiques et motiviques
d’une banalité sidérale mais complexes à réaliser, comme en témoignent les
nombreux décalages dans la fosse du Châtelet au sein de l’Orchestre de Chambre de Paris (ex-Ensemble Orchestral de Paris) pourtant
dirigé avec conviction par Alexander Briger. Marqué par le souvenir vivace de
la production de Peter Sellars vue à Bobigny en décembre 1991 dans le cadre du
Festival d’Automne à Paris, l’on ne peut que regretter que le metteur en scène
chinois Chen Shi-Zheng n’ait pas mis sur le plateau du premier acte le Boeing
707 « Spirit of America » d’où sont censés descendre Nixon et sa femme qu’il a
préféré faire émerger d’un mur de brique. Puis on s’ennuie ferme dans le
premier tableau du deuxième acte au dénuement extrême, et l’on se fatigue vite du
ballet-pensum genre opéra chinois du second tableau troublé par un Kissinger ombre colorée de DSK. En
revanche, le troisième acte, plus intimiste quoique dominé par une immense
statue du timonier, est bien venu. Mais seule la distribution est convaincante
,particulièrement les femmes, June Anderson, plus Pat Nixon que l'originale, et
Sumi Jo, Madame Mao roide et froide qui déploie des colorature et des aigus impressionnants
de précision et de virtuosité, tandis que Franco Pomponi est un Richard Nixon azimuté
et Alfred Kim un Mao fort intériorisé.
Bruno Serrou
Difficile d'adhérer entièrement à une partition pleine de longueurs et à un livret qui part dans tous les sens sans susciter vraiment l'intérêt... mais je dois avouer avoir été ravi de découvrir cette oeuvre dans la production du Châtelet. Une distribution de haut vol avec de vrais chanteurs d'opéra tous très investis dans leurs personnages ; et une mise en scène à l'image de la musique : répétitive ma non troppo, alternant la saturation de couleurs et la grisaille introspective !
RépondreSupprimerDe mon point de vue, une formidable découverte et une belle soirée d'opéra, comme souvent au Châtelet !