Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 23 avril 2025
Merveilleux concert de l’Orchestre de Paris ce soir à la Philharmonie de Paris dirigé avec panache par l’excellent chef finlandais Jukka-Pekka Saraste. Un programme comme je les aime, commencé par l’Ouverture tragique de Johannes Brahms d’une vaillance et d’une douloureuse passion, suivie par de bouleversants Quatre derniers Lieder de Richard Strauss avec la voix splendide d’Elsa Dreisig, à tirer des larmes, et la rutilante Symphonie n° 5 de Jean Sibelius aux élans infinis sous la direction d’un chef qui chantait dans son jardin, brillamment servi par un Orchestre de Paris au cordeau
Il est des concerts bénis des dieux tant tout est réuni pour qu’il soit réussi. Celui offert cette semaine par l’Orchestre de Paris sous la direction d’un autre Finlandais que son directeur musical, l’excellent et discret Jukka-Pekka Saraste, dans un programme germano-finlandais du postromantisme rayonnant, avec trois œuvres d’autant de compositeurs qui se sont connus et admirés, Johannes Brahms (1833-1897), Richard Strauss (1864-1949) et Jean Sibelius (1865-1957). Trois œuvres de la maturité de chacun dont Strauss a été le « passeur ».
L’Orchestre de Paris et leur élégant et subtil chef invité ont débuté la
soirée avec un Ouverture tragique en ré mineur op. 81 de
1880 de Johannes Brahms généreuse, ardente, onirique et puissante, mettant
merveilleusement en valeur les textures à la fois sombres et lustrées de la
phalange parisienne d'une cohésion et d’une fusion qui ira s’épanouissant tout
au long du concert. Après l’ouverture de Brahms, que Richard Strauss a côtoyé à
Mannheim durant les répétitions de la création de la dernière symphonie du
compositeur hambourgeois alors que lui-même était jeune chef assistant de son
mentor Hans von Bülow, brahmsien inconditionnel après avoir rompu avec Richard
Wagner, l’Orchestre de Paris a donné l’un des sommets de l’histoire du lied, les somptueux Vier letzte Lieder dans lesquels Saraste a enveloppé sa palpitante
soliste, la soprano Elsa Dreisig, des sonorités à la fois chatoyantes et moelleuses
de l’Orchestre de Paris avec un tact et une communion de chaque instant.
L’opus ultimum du lied straussien (bien qu'il ait été trouvé à New York en 1985 un cinquième lied, Malven composé en novembre 1948 pour la cantatrice Maria Jeritza, mais avec un accompagnement au seul piano), les Quatre derniers Lieder, nés en 1947-1948 durant l'exil sur les rives suisses du la Léman au crépuscule de son existence et dans lesquels Strauss, à plus de quatre-vingts ans, dit sereinement adieu à la vie et à ses beautés, aux voix de femmes qu’il a chéries, à l’orchestre, qui magnifie ici le chant d’une somptueuse parure, colorée et merveilleusement raffinée, et au monde, qu’il avait vu s’effondrer dans les ruines de la Seconde Guerre mondiale. September sur un poème de Hemann Hesse appelle l’orchestre, introduit dolce ed espressivo dans une superposition de cinq rythmes différents, dont une cellule prépondérante. La ligne vocale naît de cet environnement orchestral, dense et cajoleur, les adieux de Strauss ne pouvant se faire qu’avec l’orchestre, qui déploie ses ailes au chaud et fluide velours sitôt la question sur la mort posée par la voix (« Ist dies etwa der Tod? », Est-ce cela la mort ?) après que les cuivres graves eussent exposé le thème du poème symphonique Tod und Verklärung (Mort et transfiguration), pour s’envoler seul dans l’espace infini sur des tremolos de deux flûtes piccolos du sublime andante du lied Im Abendrot (Au Crépuscule) sur des vers de Joseph von Eichendorff. Chaque lied a atteint avec les interprètes la plénitude de sa teneur, de Frühling (Printemps), qui aura suggéré autant le renouveau qu’une méditation sur une possible résurrection (à l’origine, c’est avec ce lied, d’une tonalité plus optimiste que les autres, que Strauss envisageait toute exécution de cette tétralogie pour voix et orchestre), que le plus sombre September (Septembre) évoquant l’automne de la vie, tandis que l’amour était judicieusement célébré dans Beim Schlafengehen (Au couchant) au délicat érotisme chanté par les sonorités de braise de la violon solo invitée, la coréenne Ji Yoon Lee, « Erster Konzertmeister » de la Staatskapelle de Berlin, le tout magnifié par la beauté exceptionnelle de la voix de la soprano franco-danoise Elsa Dreisig au timbre somptueusement coloré de sa vocalité charnelle et souple à l’ardente expressivité.
La seconde partie du concert était vouée à la seule Symphonie n° 5 en mi bémol majeur op. 82 de Jean Sibelius,
compositeur dont Richard Strauss dirigea la création de la version originale du célébrissime Concerto pour violon et
orchestre en ré mineur op. 47 et qui, du moins dans la cinquième de ses symphonies, se situe
clairement dans l’héritage brahmsien, avec ses longues phrases aux amples repirations et son assise harmonique fondée sur les timbales. Bien qu’il s’agisse de l’une des
partitions du genre les plus développées du fondateur de l’école finlandaise de
musique, cette petite demie-heure dit combien la soirée fut courte, avec ses soixante-cinq minutes
de musique. Mais la densité et la force de l’interprétation de chacune des partitions
auront été telles qu’il n’est point question ici de reproches, bien que le
temps soit passé à la vitesse de l’éclair, sans le moindre temps mort pour
respirer, à l’exception de l’entracte, avec un Jukka-Pekka Saraste chantant
dans son jardin qui attestait d’une écoute et d’une capacité à se fondre dans
les textures de l’Orchestre de Paris avec un naturel conquérant. La
conception de cette Cinquième Symphonie
par Saraste, qui a magnifiquement tiré profit des textures souples, sombres et ardentes
de la formation parisienne, a démontré combien cette partition se situe dans l’héritage
brahmsien. Le chef finlandais a ménagé une noble nostalgie, donnant ainsi à
cette œuvre une grandeur souveraine, apportant en outre dans le majestueux
choral final une clarté et une progression haletante, pour conclure sur six
puissants accords des tutti ponctués
de terrifiants silences emplis de l’écho envoûtant renvoyé par la grande salle
de la Philharmonie. Les pupitres solistes et les cuivres respirant largement,
attestant d’une maîtrise exceptionnelle du souffle et des longs phrasés, tandis
que le timbalier Camille Baslé donnait une résonance singulière à la
progression de cet hallucinant finale. Mais les cordes dans leur ensemble - les
contrebasses en particulier - aux textures tour-à-tour feutrées et lumineuses,
ont aussi admirablement servi cette œuvre grandiose que les instruments à vent,
bois incandescents et cuivres amples et sépulcraux (Félix Dervaux au sommet de
son art au poste de cor solo que j’ai eu plaisir à réécouter une décennie après
l’avoir découvert à l’académie Juventus de Cambrai, voir http://brunoserrou.blogspot.com/2015/07/juventus-de-cambrai-intronise-felix.html),
les ont somptueusement enluminées. Une soirée magnifique malheureusement trop
courte…
Bruno Serrou