mercredi 23 avril 2025

L’Oratorio de Pâques et deux cantates du temps pascal ont révéré Lundi de Pâques à la Philharmonie la mort du pape François survenue le matin-même

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Lundi 21 avril 2025

Christophe Rousset, Les Talens Lyriques, Choeur de chambre de Namur
Photo : (c) Bruno Serrou

Vivifiant concert pascal consacré à Johann Sebastian Bach ce lundi de Pâques à la Philharmonie de Paris   qui aurait pu constituer un magnifique hommage au pape François mort ce matin, si le chef avait bien voulu en faire l’annonce avant de lever ses bras… Deux cantates, celle pour le Lundi de Pâques et celle pour le Mardi de Pâques, ont précédé l’Oratorio de Pâques, donc pour le dimanche de la Résurrection, par Les Talens Lyriques dirigé par Christophe Rousset  d’une belle unité (remarquables continuo, traverso et flûte à bec, trompettes, moins assuré le hautbois d’amour mais d’une séduisante coloration), excellent quatuor vocal que l’on eût apprécié plus puissant, et surtout brillantissime Chœur de chambre de Namur

Christophe Rousset. Photo : (c) Les Talens Lyriques

Lundi de Pâques 2025… Un jour qui restera gravé dans les mémoires… Un jour de tristesse, avec le départ du pape François parti rejoindre Dieu le Père dont il a été douze ans le représentant sur Terre et chanté les louanges et l’espérance sa vie durant… Ce même jour, la Philharmonie de Paris célébrait Pâques en proposant trois œuvres pour le temps pascal de Johann Sebastian Bach. L’étonnant, avec un tel programme de musique d’inspiration religieuse pour le temps pascal, la fête la plus importante de la chrétienté, est que le directeur fondateur des Talens lyriques, Christophe Rousset, n’ait pas jugé opportun de prendre un micro pour rendre hommage au grand homme d’Eglise mort à 7h50 le matin-même de ce concert, le pape François, que tous les chrétiens du monde, quelles que soient la confession, les croyances et même les athées ont célébré la mémoire… D’autant que ce pape, comme son prédécesseur, aimait profondément la musique, au point de sortir en plein Covid-19 s’acheter des disques chez un disquaire de Rome…

Photo : (c) Bruno Serrou

Cette bévue relevée, il convient de se féliciter de la qualité du concert. Même si d’aucuns ont pu regretter la modestie des effectifs réunis en regard des proportions de la Salle Pierre Boulez, avec vingt-sept instrumentistes pour vingt-quatre choristes et quatre chanteurs solistes. Il faut néanmoins convenir que beaucoup de numéros sont des solos instrumentaux avec ou sans parties de basse continue. Ecrite en 1718, la Cantate « Erfreut euch, ihr Herzen » (« Cœurs, réjouissez-vous ») pour le lundi de Pâques (Feria 2 Paschatos) BWV 66 est une reprise d’une Serenata conçue en 1694 pour l’anniversaire du prince Léopold d’Anhalt-Köthen, « Das Himmel dacht auf Anhalts Ruhm und Glück » (Le ciel a songé à la gloire et au bonheur d’Anhalt), tandis que la version originale de la Cantate « Ein Herz, das seinen Jesum lebend weiss » (Un cœur qui sait son Jésus vivant ») pour le mardi de Pâques (Fera III) BWV 134 réalisée en 1724 est une parodie de la cantate profane « Die Zeit, die Tag und Jahre macht » (Le temps qui fait les jours et les ans) qui célébrait le Nouvel An 1719. Il s’agissait donc à l’origine de deux cantates profanes retravaillées à Leipzig et aux mouvements redistribués autant par manque de temps que d’inspiration dont les élans festifs correspondent à la joie qui suit le jour de la Résurrection du Christ, l’événement le plus important et porteur d’espérance du calendrier chrétien. La BWV 66 requiert la participation de trois chanteurs solistes, contralto, ténor, basse, chœur mixte à quatre voix, deux hautbois, trompette, violons I et II, altos, basson et continuo, et s’ouvre sur le finale de la cantate profane originelle précédé d’une introduction instrumentale virtuose, avant qu’intervienne d’abord la contralto sur Erfreut, ihr Herzen que le ténor poursuit. La section centrale est dévolue pour l’essentiel à l’alto et au ténor qui chantent le deuil et la peur dans un poignant passage. L’air de basse « Lasset dem Höchsten en Danklied erschallen » (Faites retentir un chant de grâce au Très-Haut) avec les deux hautbois, le basson, les violons, les altos et la basse continue constitue le point culminant de l’œuvre, tandis que le finale, s’appuie sur la troisième strophe du choral Christ ist erstanden (« Christ est ressuscité »), a été ajouté par Bach qui conclut sur un bref Alleluja. Christophe Rousset et l’équipe qu’il a réunie pour l’occasion, en ont offert une interprétation jubilatoire, à laquelle il manque hélas une certaine présence des solistes, dont les voix sont de temps à autres couvertes par l’orchestre, malgré ses effectifs réduits.

Christophe Rousset, Les Talens Lyriques, Choeur de chambre de Namur
Photo : DR

Le même phénomène s’est manifesté dans la Cantate BWV 134 que Bach a reprise pour le même troisième jour après Pâques 1731 (26 mars) et le 11 avril 1735, qui n’associe que deux voix solistes, la contralto et le ténor, qui forment entre eux un dialogue, le chœur mixte concertant avec un orchestre limité aux deux hautbois, aux cordes et au continuo. Il s’agit d’un chant d’action de grâce jubilatoire aux ornementations luxuriantes et aux rythmes entrainants, glorifié dans l’aria du ténor à l’enthousiasme bouillonnant, rejoint pour un joyeux duo avec la contralto accompagné par les cordes rejointes par le chœur chantant pour conclure les louanges du Très-Haut.

Photo : (c) Bruno Serrou

Malgré l’importance de l’événement dans le cycle liturgique, l’Oster Oratorium (Oratorio de Pâques) BWV 249 de Bach, « Kommt, eilet und laufet » (Venez, hâtez-vous et courez) est beaucoup moins développé que son équivalent de Noël composé quelques mois plus tôt, celui de Pâques étant d’une durée quatre fois moindre, mais deux fois plus développé que celui de l’Ascension BWV 11 composé un mois plus tard. Des textes sacrés prétextes à une méditation spirituelle, le librettiste, qui n’est autre que Picander signataire de ceux des Passions, n’a retenu que la présence des femmes, dont Marie de Magdala et Marie de Cléophas, venues au tombeau pour embaumer le corps du Christ mais qu’elles trouvent vide et l’apparition de l’ange venu leur annoncer la Résurrection de celui dont elles venaient honorer la dépouille, et la venue de deux de ses disciples, Simon-Pierre et Jean l’Evangéliste. Comme les deux oratorios déjà cités, celui de Pâques créé à Leipzig le 1er avril 1725 résulte pour l’essentiel d’une reprise d’œuvres antérieures, dont la cantate profane dite « des bergers » BWV 249a donnée le 23 février 1725 pour l’anniversaire du duc Christian de Saxe-Weissefels. Contrairement à l’Oratorio de Noël, l’Oratorio de Pâques n’a pas de narrateur mais quatre personnages qui déroulent l’histoire, Simon-Pierre (ténor), Jean l’Evangéliste (basse), Marie Madeleine (contralto) et Marie de Jacques (soprano), tandis que le chœur n’intervient que dans le numéro 3 et à la fin « Preis und Dank » (Gloire et action de grâce). L’oratorio pascal compte onze numéros, les deux premiers étant purement instrumentaux, tandis que chacune des quatre arie (à l’exception de la première, un duo ténor-basse précédé des deux pièces d’orchestre) est précédée d’un récitatif, et l’œuvre se clôturant sur un chœur d’action de grâce. Les deux premiers mouvements proviennent vraisemblablement d’un concerto pour violon et hautbois aujourd’hui perdu, réunissant ici les cordes, deux hautbois, un basson, trois trompettes naturelles et timbales, la partie de première trompette étant lundi soir remarquablement tenue par le virtuose britannique Russell Gilmour, qui s’est illustré dans sa partie qui est particulièrement redoutable d’exécution. L’aria la plus prenante de l’oratorio est celle de Simon-Pierre confiée au ténor, « Sanfte soll mein Todeskummer » (Ma mort sera douce et douloureuse) où l’apôtre songe à sa propre mort dont il appelle le sommeil consolateur. Vocalement, l’interprétation s’est avérée fort équilibrée, avec la soprano russe Anna El-Khashem, la contralto norvégienne Mari Askvik, le ténor britannique Nick Pritchard, si ce n’était étonnamment une projection vocale globale manquant de volume pour passer aisément au-dessus de l’orchestre, dans lequel la violon solo Gilone Gaubert s’est imposée dans l’aria alto-ténor « Bei Jesu Leben freudig sein » (Etre joyeux dans la vie avec Jésus) et le hautbois d’amour solo n’étant pas toujours très raccord dans l’aria de la contralto « Saget, saget mir geschwinde » (Dites, dites-moi immédiatement) mais l’alliage cantatrice/instrumentiste étant fort séduisant, et que l’on ne pouvait que regretter le sous-emploi par Bach des effectifs choraux, tant le Chœur de chambre de Namur a brillé autant par sa vocalité que par son engagement.

Bruno Serrou


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire