Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Lundi 21 avril 2025
Vivifiant
concert pascal consacré à Johann Sebastian Bach ce lundi de Pâques à la Philharmonie de Paris qui aurait pu constituer un magnifique hommage au pape François mort ce matin, si le chef avait bien voulu en faire l’annonce avant de lever ses bras… Deux cantates, celle pour le Lundi de Pâques et celle pour le Mardi de Pâques, ont précédé l’Oratorio de Pâques, donc pour le dimanche de la Résurrection, par Les Talens Lyriques dirigé par Christophe Rousset d’une belle unité (remarquables continuo, traverso et flûte à bec, trompettes, moins assuré le hautbois d’amour mais d’une séduisante coloration), excellent quatuor vocal que l’on eût apprécié plus puissant, et surtout brillantissime Chœur de chambre de Namur
Lundi de Pâques 2025… Un jour qui
restera gravé dans les mémoires… Un jour de tristesse, avec le départ du pape
François parti rejoindre Dieu le Père dont il a été douze ans le représentant sur
Terre et chanté les louanges et l’espérance sa vie durant… Ce même jour, la
Philharmonie de Paris célébrait Pâques en proposant trois œuvres pour le temps
pascal de Johann Sebastian Bach. L’étonnant, avec un tel programme de musique d’inspiration
religieuse pour le temps pascal, la fête la plus importante de la chrétienté, est
que le directeur fondateur des Talens lyriques, Christophe Rousset, n’ait pas
jugé opportun de prendre un micro pour rendre hommage au grand homme d’Eglise
mort à 7h50 le matin-même de ce concert, le pape François, que tous les chrétiens
du monde, quelles que soient la confession, les croyances et même les athées
ont célébré la mémoire… D’autant que ce pape, comme son prédécesseur, aimait
profondément la musique, au point de sortir en plein Covid-19 s’acheter des
disques chez un disquaire de Rome…
Cette bévue relevée, il convient
de se féliciter de la qualité du concert. Même si d’aucuns ont pu regretter la modestie
des effectifs réunis en regard des proportions de la Salle Pierre Boulez, avec
vingt-sept instrumentistes pour vingt-quatre choristes et quatre chanteurs
solistes. Il faut néanmoins convenir que beaucoup de numéros sont des solos
instrumentaux avec ou sans parties de basse continue. Ecrite en 1718, la Cantate
« Erfreut euch, ihr Herzen » (« Cœurs, réjouissez-vous ») pour le lundi de Pâques (Feria 2 Paschatos)
BWV 66 est une reprise d’une Serenata
conçue en 1694 pour l’anniversaire du prince Léopold d’Anhalt-Köthen, « Das Himmel dacht auf Anhalts Ruhm und
Glück » (Le ciel a songé à la gloire
et au bonheur d’Anhalt), tandis que la version originale de la Cantate « Ein Herz, das seinen Jesum lebend
weiss » (Un cœur qui sait son
Jésus vivant ») pour le mardi de
Pâques (Fera III) BWV 134 réalisée en 1724 est une parodie de la cantate
profane « Die Zeit, die Tag und
Jahre macht » (Le temps qui fait
les jours et les ans) qui célébrait le Nouvel An 1719. Il s’agissait donc à
l’origine de deux cantates profanes retravaillées à Leipzig et aux mouvements
redistribués autant par manque de temps que d’inspiration dont les élans
festifs correspondent à la joie qui suit le jour de la Résurrection du Christ, l’événement
le plus important et porteur d’espérance du calendrier chrétien. La BWV 66
requiert la participation de trois chanteurs solistes, contralto, ténor, basse,
chœur mixte à quatre voix, deux hautbois, trompette, violons I et II, altos,
basson et continuo, et s’ouvre sur le finale de la cantate profane originelle
précédé d’une introduction instrumentale virtuose, avant qu’intervienne d’abord
la contralto sur Erfreut, ihr Herzen
que le ténor poursuit. La section centrale est dévolue pour l’essentiel à l’alto
et au ténor qui chantent le deuil et la peur dans un poignant passage. L’air de
basse « Lasset dem Höchsten en
Danklied erschallen » (Faites
retentir un chant de grâce au Très-Haut) avec les deux hautbois, le basson,
les violons, les altos et la basse continue constitue le point culminant de l’œuvre,
tandis que le finale, s’appuie sur la troisième strophe du choral Christ ist erstanden (« Christ est ressuscité »), a
été ajouté par Bach qui conclut sur un bref Alleluja.
Christophe Rousset et l’équipe qu’il a réunie pour l’occasion, en ont offert
une interprétation jubilatoire, à laquelle il manque hélas une certaine présence
des solistes, dont les voix sont de temps à autres couvertes par l’orchestre,
malgré ses effectifs réduits.
Le même phénomène s’est manifesté
dans la Cantate BWV 134 que Bach a reprise
pour le même troisième jour après Pâques 1731 (26 mars) et le 11 avril 1735, qui
n’associe que deux voix solistes, la contralto et le ténor, qui forment entre
eux un dialogue, le chœur mixte concertant avec un orchestre limité aux deux
hautbois, aux cordes et au continuo. Il s’agit d’un chant d’action de grâce
jubilatoire aux ornementations luxuriantes et aux rythmes entrainants, glorifié
dans l’aria du ténor à l’enthousiasme
bouillonnant, rejoint pour un joyeux duo avec la contralto accompagné par les
cordes rejointes par le chœur chantant pour conclure les louanges du Très-Haut.
Malgré l’importance de l’événement
dans le cycle liturgique, l’Oster Oratorium
(Oratorio de Pâques) BWV 249 de Bach, « Kommt, eilet und laufet » (Venez, hâtez-vous et courez) est beaucoup moins développé que son
équivalent de Noël composé quelques mois plus tôt, celui de Pâques étant d’une
durée quatre fois moindre, mais deux fois plus développé que celui de l’Ascension
BWV 11 composé un mois plus tard. Des
textes sacrés prétextes à une méditation spirituelle, le librettiste, qui n’est
autre que Picander signataire de ceux des Passions,
n’a retenu que la présence des femmes, dont Marie de Magdala et Marie de
Cléophas, venues au tombeau pour embaumer le corps du Christ mais qu’elles
trouvent vide et l’apparition de l’ange venu leur annoncer la Résurrection de
celui dont elles venaient honorer la dépouille, et la venue de deux de ses
disciples, Simon-Pierre et Jean l’Evangéliste. Comme les deux oratorios déjà
cités, celui de Pâques créé à Leipzig le 1er avril 1725 résulte pour
l’essentiel d’une reprise d’œuvres antérieures, dont la cantate profane dite « des bergers » BWV 249a
donnée le 23 février 1725 pour l’anniversaire du duc Christian de Saxe-Weissefels.
Contrairement à l’Oratorio de Noël, l’Oratorio de Pâques n’a pas de narrateur
mais quatre personnages qui déroulent l’histoire, Simon-Pierre (ténor), Jean l’Evangéliste
(basse), Marie Madeleine (contralto) et Marie de Jacques (soprano), tandis que
le chœur n’intervient que dans le numéro 3 et à la fin « Preis und Dank » (Gloire
et action de grâce). L’oratorio pascal compte onze numéros, les deux
premiers étant purement instrumentaux, tandis que chacune des quatre arie (à l’exception de la première, un
duo ténor-basse précédé des deux pièces d’orchestre) est précédée d’un récitatif, et l’œuvre se clôturant sur un chœur d’action
de grâce. Les deux premiers mouvements proviennent vraisemblablement d’un
concerto pour violon et hautbois aujourd’hui perdu, réunissant ici les cordes,
deux hautbois, un basson, trois trompettes naturelles et timbales, la partie de
première trompette étant lundi soir remarquablement tenue par le virtuose
britannique Russell Gilmour, qui s’est illustré dans sa partie qui est particulièrement
redoutable d’exécution. L’aria la
plus prenante de l’oratorio est celle de Simon-Pierre confiée au ténor, « Sanfte soll mein Todeskummer » (Ma mort sera douce et douloureuse) où l’apôtre
songe à sa propre mort dont il appelle le sommeil consolateur. Vocalement, l’interprétation
s’est avérée fort équilibrée, avec la soprano russe Anna El-Khashem, la
contralto norvégienne Mari Askvik, le ténor britannique Nick Pritchard, si ce n’était étonnamment une projection
vocale globale manquant de volume pour passer aisément au-dessus de l’orchestre,
dans lequel la violon solo Gilone Gaubert s’est imposée dans l’aria alto-ténor « Bei Jesu Leben freudig sein » (Etre joyeux dans la vie avec Jésus) et le hautbois d’amour solo n’étant
pas toujours très raccord dans l’aria de
la contralto « Saget, saget mir
geschwinde » (Dites, dites-moi immédiatement)
mais l’alliage cantatrice/instrumentiste étant fort séduisant, et que l’on ne
pouvait que regretter le sous-emploi par Bach des effectifs choraux, tant le Chœur
de chambre de Namur a brillé autant par sa vocalité que par son engagement.
Bruno Serrou
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