jeudi 17 octobre 2024

Impressionnante première avec l’Orchestre de Paris du chef ouzbek Aziz Shokhakimov

Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. Mercredi 16 octobre 2024

Orchestre de Paris, Aziz Shokhakimov. Photo : (c) Bruno Serrou

Orchestre de Paris étincelant cette semaine sous la direction brillante et souple d’un chef de tout premier plan qui le dirigeait pour la première fois, le directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg Aziz Shokhakimov, dans un programme ouvert sur l’exquise Sorcière du Midi de Dvořák et conclue par le melting-pot qu’est la Symphonie n° 5 de Chostakovitch où le chef a mis en valeur les meilleurs moments tout en assumant avec brio les nombreux moments de trivialité. Concerto pour violoncelle n° 2 de Thierry Escaich taillé sur mesure pour Gautier Capuçon égal à lui-même. Remplaçant au pied levé le chef prévu à l’origine, le tchèque Petr Popelka, l’ouzbek Aziz Shokhakimov a fait des débuts forts convaincants avec l’Orchestre de Paris dans le programme initialement prévu couvrant trois siècles de musique, du XIXe au XXIe siècles, deux compositeurs slaves, Antonin Dvořák et Dimitri Chostakovitch, encadrant un français, Thierry Escaich.

Aziz Shokhakimov. Photo : Capture d'écran (c) Philharmonie de Paris

Tout à la joie de son retour au pays après son séjour de trois ans aux Etats-Unis d’où il rapporte notamment sa Symphonie n° 9 « du Nouveau Monde » et son Quatuor à cordes « Américain », Antonin Dvořák (1841-1904) compose en 1896 quatre poèmes symphonique dans lesquels il célèbre mythologie et légendes de la Bohême inspirés de poèmes de son compatriote Karol Jaromir Erben (1811-1870). Dans la foulée Composant cette partition lyrique dans la foulée de l’impressionnante série de poèmes symphoniques Opus 107 à 110 illustrant des textes d’Erben, Dvořák composera l’opéra Rusalka, évocation de la forêt de Bohême saisissante d’onirisme et de fraîcheur, gorgée d’atmosphères mystérieuses, angoissantes et lugubres, mais aussi bucoliques, tendres et voluptueuses. La Sorcière du Midi est le deuxième volet de la série. Ce poème conte l’histoire d’une mère que les cris de son enfant perturbe au point qu’elle le menace de faire appel à la terrifiante sorcière Polednice, équivalent féminin du père Fouettard, qui épouvante autant l’enfant que la mère qui se bat pour le protéger, au point que les douze coups de midi sonnés, la sorcière disparaît sans être parvenue à enlever l’enfant. Les quinze minutes e l’œuvre se termine dans tout l’éclat d’un orchestre scintillant de lumière. Somptueusement orchestrée, l’on trouve dans cette évocation de la nature des couleurs beethoveniennes (la nature de la Pastorale mais aussi le rythme pointé de trois petites notes renvoyant aux quatre de la Cinquième), et surtout Richard Wagner avec ses leitmotive, ses transitions abruptes, le traitement particulier des cuivres. Le chef ouzbek

Aziz Shokhakimov; Mohamed Hiber, Eich Chijiiwa, Gautier Capuçon, Thierry Escaich, Orchestre de Paris. 
Photo : (c) Bruno Serrou

Après quelques modifications de plateau, la coqueluche du public Gautier Capuçon donnait la première exécution française du deuxième concerto pour violoncelle de Thierry Escaich (né en 1965) qu’il a créé à Leipzig le 16 mars 2023 avec l’Orchestre du Gewandhaus dirigé par Andris Nelsons qui répond au beau titre évocateur Les Chants de l’aube. La partition compte classiquement trois mouvements, dotés ici de noms évocateurs, Des rayons et des ombres (Andante con moto), Le rivage des chants (Andantino) et Danse de l’aube (Poco adagio - Allegro molto), ce finale donnant son titre à l’œuvre et qui fait écho au double concerto de durée comparable qu’Escaich a écrit pour les frères Capuçon, Miroirs d’ombre créé en 2006 à Liège avec l’Orchestre National de Lille. Chaque mouvement est relié au précédent par une cadence du soliste. A l’instar de plusieurs partitions, l’opéra Claude créé à l’Opéra de Lyon en 2013 étant la plus saillante, Escaich puise ici dans les écrits de Victor Hugo à qui il emprunte son titre, Les Rayons et les Ombres, cycle de poèmes de 1840. L’on retrouve ici pèle mêle des encrages dans l’histoire de l’instrument, du baroque à la première moitié du XXe siècle, influences de Jean-Sébastien Bach à Béla Bartók, tandis que s’intègrent des éléments de musiques africains et de chant grégorien fondus à des échos de jazz dans le morceau central. 

Thierry Escaich (piano), Gautier Capuçon (violoncelle) durant leur bis derrière l'Orchestre de Paris
Photo : (c) Bruno Serrou

Comme le reconnaissait le compositeur à sa création, ce concerto est d’essence lyrique, l’instrument soliste jouant sur la diversité de ses timbres, utilisant toutes les capacités techniques de jeu, con arco, pizzicati, ponticello et des harmoniques appelant la flûte, ainsi que des contrastes de registres, de l’aigu au grave, tandis que le finale, introduit de façon pacifiée, se conclut sur un enchaînement de rythme de danses intense et vifs. Prenant un plaisir serein à jouer cette œuvre, dialoguant en bonne intelligence avec un orchestre rutilant, Gautier Capuçon a servi avec enthousiasme la partition de Thierry Escaich, avec qui il a joué en bis une transcription pour violoncelle et piano de l’air de Dalila « Mon cœur s’ouvre à ta voix » extrait de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns.

Aziz Shokhakimov, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du concert était entièrement occupée par la Symphonie n° 5 en ré mineur op. 47, la plus populaire du cursus des quinze symphonies de Chostakovitch. Conçue un an après l’affaire de Lady Macbeth du district de Mtsensk dont la production du Bolchoï de Moscou suscita la fureur de Staline, écrite en trois mois en 1937, créée le 21 novembre de la même année à Leningrad par l’Orchestre Philharmonique de la ville sous la direction d’Evgueni Mravinski, cette œuvre se veut selon son auteur « la réponse du compositeur à de justes critiques ». Il faut dire qu’à l’époque de sa genèse, l’Union soviétique est sous le boisseau de la terreur des purges staliniennes, dont des proches de Chostakovitch seront victimes, comme le metteur en scène Vsevolod Meyerhold persécuté dès 1930, dix ans avant d’être exécuté, la sœur du compositeur déportée en Sibérie, le beau-frère interrogé… Tant et si bien que le compositeur préfère renoncer à la création de sa Quatrième symphonie terminée en 1936 pour s’atteler sans attendre à la Cinquième, qui répondra au plus près aux attentes du régime en symbolisant « l’optimisme triomphant de l’homme ». Un optimisme outré le finale qui dit combien il est contraint, si clairement d’ailleurs qu’il fut perçu par le public lui-même en proie à une angoisse collective. Il convient dans le Moderato initial de ne point y mettre donc de pathos mais de veiller à en souligner l’amertume, les moments de grâce et le lyrisme, ainsi que l’insouciance du scherzo Allegretto. Le Largo doit être pathétique mais sans outrance, voire détaché, tandis que l’Allegro finale est un morceau parmi les plus triviaux du compositeur russe. Shokhakimov et l’Orchestre de Paris ont donné de cette œuvre une interprétation en tous points convaincante, sans excès ni maniérisme, tandis que les pupitres ont rayonné par la maîtrise de leur jeu et par le lustre de leurs sonorités, notamment le violon solo invité, Mohamed Hiber.

Bruno Serrou

 

 

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