dimanche 15 décembre 2024

Grandiose «Jeanne d’Arc au bûcher» de Claudel et Honegger par le Frankfurt Radio Symphony, les Wiener Singverein et le Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris entourant la brillante Marion Cotillard dirigés avec une intense spiritualité par Alain Altinoglu

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 13 décembre 2024 

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. hr-Sinfonieorchester, Alain Altiunoglu, solistes, Wiener Singverein, Choeur d'enfants de l'Orchestre de Paris.  Photo : (c) Bruno Serrou

Succès considérable et réconfortant ce soir de l’oratorio d’Honegger/Claudel Jeanne d’Arc au bûcher à la Philharmonie de Paris par le hr-Sinfonieorchester (Hessischer Rundfunk) - Frankfurt Radio Symphony dirigé avec passion par son directeur musical Alain Altinoglu, avec en tête de distribution Marion Cotillard, qui a excellé en Jeanne-martyre, et Eric Génovèse en Frère Dominique en tête d’une brillante distribution, ainsi que le magnifique chœur des Wiener Singverein et surtout un fantastique Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris. Une soirée particulièrement prenante 

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. Alain Altinoglu, Marion Cotillard, hr-Sinfonieorchester.  
Photo : (c) Bruno Serrou

Le 4 mars 2015, l’Orchestre de Paris dirigé par Kazuki Yamada donnait dans sa salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris une grandiose production venue du Japon de l’oratorio dramatique en un prologue et onze scènes d’Arthur Honegger et Paul Claudel Jeanne d’Arc au bûcher. Il s’agissait d’un véritable spectacle avec une scénographie conçue par Sigolène de Chassy pour le décor et par Colombe Lauriot Prévost pour les costumes, le premier spectacle en tant que tel présenté dans l’enceinte de la Philharmonie, déjà avec Marion Cotillard dans le rôle de la Pucelle d’Orléans (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2015/03/lintense-jeanne-darc-au-bucher-de.html).

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. hr-Sinfonieorchester, Alain Altiunoglu, solistes, Wiener Singverein, Choeur d'enfants de l'Orchestre de Paris.  A gauche, les chefs de choeur  Johannes Prinz et Richard Wilberforce serrant la main d'Alain Altinoglu. Photo : (c) Bruno Serrou

Commande d’Ida Rubinstein (1885-1960), danseuse, diseuse, tragédienne, mécène et icône de la Belle Epoque pour qui il avait déjà écrit plusieurs partitions, dont deux mélodrames sur des poèmes de Paul Valéry, hybrides de ballet, d’oratorio et de cantate scénique (Amphion et Sémiramis), Jeanne d’Arc au bûcher est le premier fruit de la collaboration d’Arthur Honegger avec Paul Claudel, alors ambassadeur de France à Bruxelles, qui donnera peu après, dans le domaine de l’oratorio, la remarquable Danse des morts en 1938. Choisissant d’aborder le drame de la Pucelle d’Orléans brûlée vive à l’épreuve de la sainteté, Claudel achève son texte au début du mois de décembre 1934, et Honegger sa partition fin août 1935. L’œuvre est donnée avec de petits effectifs instrumentaux le 29 octobre suivant chez sa commanditaire, avant que l’orchestration soit achevée le 24 décembre, tandis que la première publique sera donnée le 12 mai 1938 à Bâle sous la direction de Paul Sacher, avec Ida Rubinstein dans le rôle de Jeanne - la création scénique est donnée à Lyon le 4 juillet 1941. Le sujet, le sacrifice d’une jeune femme portant la France à résister contre l’envahisseur anglais et leurs affidés caricaturés à travers des personnages transformés en animaux dérisoires dont elle sera la victime sacrifiée sur l’autel de la politique, allait participer au succès de cet oratorio dramatique allégorique dans les années de Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation nazie.

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. hr-Sinfonieorchester, Alain Altiunoglu, solistes, Wiener Singverein, Choeur d'enfants de l'Orchestre de Paris.  Photo : (c) Bruno Serrou

Découpé en onze scènes précédées d’un prologue ajouté en 1944 qui fait le lien entre la résistance contre l’Anglais et celle contre l’Allemand à cinq siècles de distance, le livret, mêlant spiritualité, gravité, humour et dérision, se présente sous forme de flash-back. Jeanne, mourante sur le bûcher « telle un cierge », voit défiler sa vie devant ses yeux. Avant l’épreuve ultime du feu, elle s’interroge sur le sens et l’utilité de son existence. Saint Dominique (ici Frère Dominique) se présente à elle comme envoyé du ciel et lui fait le récit de sa vie.  Dominique parcourt avec elle le livre de son passé qui se déploie à revers de sa chronologie, le procès de Rouen, l’arrestation à Compiègne résultant de tractations entre puissants, le couronnement de Charles VI à Reims, l’enfance de Jeanne. Puis, retrouvant le sens de sa vie dans sa foi en Dieu et en l’Amour, Jeanne revit son martyre et se laisse porter par les flammes vers la délivrance dans la mort et la sainteté. L’orchestration d’Honegger suscite des couleurs particulièrement évocatrices, grâce notamment à trois saxophones, deux ondes Martenot, deux pianos et l’absence de cors.

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. hr-Sinfonieorchester, Alain Altiunoglu, solistes, Wiener Singverein, Choeur d'enfants de l'Orchestre de Paris.  A droite d'Alain Altinoglu, Marion Cotillard  tenant la main d'Eric Génovèse. A gauche d'Alain Altinoglu, Ilse Eerens et Isabelle Druet. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous la direction magistrale d’Alain Altinoglu, fondant en une somptueuse entité drame, onirisme, spiritualité, universalité, reflet de la réflexion d’un chef devenu maître du temps, de l’espace, de l’intensité théâtrale et scénique, Jeanne d’Arc au bûcher a atteint une dimension universelle par le biais d’une humanité douloureuse mais pleine d’espérance et de lumière intérieure. L’orchestre hessois s’est imposé par la beauté fusionnelle de ses sonorités, la plastique irradiante des timbres d’une richesse extrême de ses pupitres, la ferveur spirituelle de tous les intervenants de cette interprétation souveraine. Le discours coule de source, sans aucune rupture d’intensité, bien au contraire. Le chef français a indubitablement une compréhension aussi forte qu’intime de l’univers à la fois claudélien et honeggerien, une foi irradiante qui se reflète dans sa conception globale de l’œuvre entière, mêlant profondément texte et musique, émotion, révolte, ardeur, sérénité, accablement, espérance dont il émane une émotion constante. Le visage rayonnant d’Altinoglu emplit d’une lumière intérieure quasi métaphysique l’équipe entière dont il émane la plus touchante ferveur. Equipée de micros, les récitants sont sur une autre planète que les musiciens, chanteurs solistes, chœur et orchestre confondus, mais comment pouvait-il en être autrement pour que leurs voix passent la « rampe » qui était derrière eux. Il n’empêche que leur participation aura été remarquable, à commencer par celle de l’actrice productrice de cinéma Marion Cotillard, qui a fait sien le personnage de Jeanne-la-Pucelle, du moins dans l’oratorio d’Honegger et Claudel qu’elle a interprété pour la première fois en 2005 à Orléans et qu’elle reprendra un peu partout dans le monde, à Barcelone en 2012, à New York en 2015, année où elle le fut également à la Philharmonie de Paris, au point de vivre carrément le texte qu’elle expose dans une langue impeccable qui la conduit à l’exprimer avec une force spirituelle inouïe dans les temps où le christianisme est globalement moqué - l’étonnant est qu’au moment de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, personne n’ait jugé bon dans les médias d’évoquer la révélation que le poète diplomate a reçue en s’appuyant contre un pilier de l’édifice archiépiscopal, alors même qu’une caméra s’est attardée sur la plaque commémorative scellée dans la pierre de la colonne. Autre personnage central que l’on a plaisir à retrouver neuf ans plus tard dans le même rôle, Frère Dominique, le comédien sociétaire de la Comédie-Française Éric Génovèse, interprète idéal du saint descendu du ciel pour lire à Jeanne de Domremy le livre de sa vie. Parmi les interprètes-solistes, onze intervenants, dont deux narrateurs, les acteurs Benjamin Gazzeri et Jean-Baptiste Le Vaillant, et neuf chanteurs dont il convient de saluer la performance, la soprano belge Ilse Eerens en Vierge Marie, la mezzo-soprano Isabelle Druet en Marguerite, la mezzo-soprano Svetlana Lifar en Catherine, les ténors Julian Dran et Wolfgang Adler et la basse Nicolas Courjal. En lieu et place du Chœur de l’Orchestre de Paris en 2015, la phalange de la radio de la Hesse est venue à Paris avec le chœur de renommée universelle, le légendaire Wiener Singverein, également connu sous le nom de Chœur des Amis de la musique de Vienne forgé par Johannes Brahms, et qui compte actuellement quelques deux cent trente membres dirigés depuis 1991 par Johannes Prinz et qui s’est confirmé à la hauteur de sa réputation. Mais le plus remarquable de cette mémorable soirée aura été la prestation passionnée, saisissante d’engagement et d’unité du Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris créé voilà dix ans par Lionel Sow et qui réunit une centaine de chanteurs âgés de 9 à 14 ans aujourd’hui dirigés par Richard Wilberforce, chef du Chœur de l’Orchestre de Paris depuis septembre 2023.

Bruno Serrou

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire