Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 13 décembre 2024
Succès considérable et réconfortant ce soir de l’oratorio d’Honegger/Claudel
Jeanne d’Arc au bûcher à la Philharmonie de Paris par le hr-Sinfonieorchester
(Hessischer Rundfunk) - Frankfurt Radio Symphony dirigé avec passion par son
directeur musical Alain Altinoglu, avec en tête de distribution Marion
Cotillard, qui a excellé en Jeanne-martyre, et Eric Génovèse en Frère Dominique
en tête d’une brillante distribution, ainsi que le magnifique chœur des Wiener
Singverein et surtout un fantastique Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris.
Une soirée particulièrement prenante
Le 4 mars 2015, l’Orchestre de Paris dirigé par Kazuki Yamada donnait dans sa salle Pierre Boulez de la Philharmonie
de Paris une grandiose production venue du Japon de l’oratorio dramatique en un
prologue et onze scènes d’Arthur Honegger et Paul Claudel Jeanne d’Arc au bûcher. Il s’agissait d’un véritable spectacle avec
une scénographie conçue par Sigolène de Chassy pour le décor et par Colombe Lauriot
Prévost pour les costumes, le premier spectacle en tant que tel présenté dans
l’enceinte de la Philharmonie, déjà avec Marion Cotillard dans le rôle de la
Pucelle d’Orléans (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2015/03/lintense-jeanne-darc-au-bucher-de.html).
Commande d’Ida Rubinstein
(1885-1960), danseuse, diseuse, tragédienne, mécène et icône de la Belle Epoque
pour qui il avait déjà écrit plusieurs partitions, dont deux mélodrames sur des
poèmes de Paul Valéry, hybrides de ballet, d’oratorio et de cantate scénique (Amphion et Sémiramis), Jeanne d’Arc au
bûcher est le premier fruit de la collaboration d’Arthur Honegger avec Paul
Claudel, alors ambassadeur de France à Bruxelles, qui donnera peu après, dans
le domaine de l’oratorio, la remarquable Danse
des morts en 1938. Choisissant d’aborder le drame de la Pucelle d’Orléans brûlée
vive à l’épreuve de la sainteté, Claudel achève son texte au début du mois de décembre
1934, et Honegger sa partition fin août 1935. L’œuvre est donnée avec de petits
effectifs instrumentaux le 29 octobre suivant chez sa commanditaire, avant que
l’orchestration soit achevée le 24 décembre, tandis que la première publique
sera donnée le 12 mai 1938 à Bâle sous la direction de Paul Sacher, avec Ida
Rubinstein dans le rôle de Jeanne - la création scénique est donnée à Lyon le 4
juillet 1941. Le sujet, le sacrifice d’une jeune femme portant la France à
résister contre l’envahisseur anglais et leurs affidés caricaturés à travers
des personnages transformés en animaux dérisoires dont elle sera la victime
sacrifiée sur l’autel de la politique, allait participer au succès de cet
oratorio dramatique allégorique dans les années de Seconde Guerre mondiale et
de l’Occupation nazie.
Découpé en onze scènes précédées
d’un prologue ajouté en 1944 qui fait le lien entre la résistance contre l’Anglais
et celle contre l’Allemand à cinq siècles de distance, le livret, mêlant
spiritualité, gravité, humour et dérision, se présente sous forme de
flash-back. Jeanne, mourante sur le bûcher « telle un cierge », voit
défiler sa vie devant ses yeux. Avant l’épreuve ultime du feu, elle s’interroge
sur le sens et l’utilité de son existence. Saint Dominique (ici Frère
Dominique) se présente à elle comme envoyé du ciel et lui fait le récit de sa
vie. Dominique parcourt avec elle le livre de son passé qui se déploie à
revers de sa chronologie, le procès de Rouen, l’arrestation à Compiègne
résultant de tractations entre puissants, le couronnement de Charles VI à
Reims, l’enfance de Jeanne. Puis, retrouvant le sens de sa vie dans sa foi en
Dieu et en l’Amour, Jeanne revit son martyre et se laisse porter par les
flammes vers la délivrance dans la mort et la sainteté. L’orchestration
d’Honegger suscite des couleurs particulièrement évocatrices, grâce notamment à
trois saxophones, deux ondes Martenot, deux pianos et l’absence de cors.
Sous la direction magistrale d’Alain
Altinoglu, fondant en une somptueuse entité drame, onirisme, spiritualité,
universalité, reflet de la réflexion d’un chef devenu maître du temps, de l’espace,
de l’intensité théâtrale et scénique, Jeanne
d’Arc au bûcher a atteint une dimension universelle par le biais d’une
humanité douloureuse mais pleine d’espérance et de lumière intérieure. L’orchestre
hessois s’est imposé par la beauté fusionnelle de ses sonorités, la plastique
irradiante des timbres d’une richesse extrême de ses pupitres, la ferveur
spirituelle de tous les intervenants de cette interprétation souveraine. Le discours coule de source, sans aucune
rupture d’intensité, bien au contraire. Le chef français a indubitablement une
compréhension aussi forte qu’intime de l’univers à la fois claudélien et honeggerien,
une foi irradiante qui se reflète dans sa conception globale de l’œuvre entière, mêlant
profondément texte et musique, émotion, révolte, ardeur, sérénité, accablement,
espérance dont il émane une émotion constante. Le visage rayonnant d’Altinoglu
emplit d’une lumière intérieure quasi métaphysique l’équipe entière dont il
émane la plus touchante ferveur. Equipée de micros, les récitants sont sur une
autre planète que les musiciens, chanteurs solistes, chœur et orchestre confondus, mais
comment pouvait-il en être autrement pour que leurs voix passent la « rampe »
qui était derrière eux. Il n’empêche que leur participation aura été
remarquable, à commencer par celle de l’actrice productrice de cinéma Marion
Cotillard, qui a fait sien le personnage de Jeanne-la-Pucelle, du moins dans l’oratorio
d’Honegger et Claudel qu’elle a interprété pour la première fois en 2005 à
Orléans et qu’elle reprendra un peu partout dans le monde, à Barcelone en 2012,
à New York en 2015, année où elle le fut également à la Philharmonie de Paris, au
point de vivre carrément le texte qu’elle expose dans une langue impeccable qui la conduit
à l’exprimer avec une force spirituelle inouïe dans les temps où le
christianisme est globalement moqué - l’étonnant est qu’au moment de la
réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, personne n’ait jugé bon dans
les médias d’évoquer la révélation que le poète diplomate a reçue en s’appuyant contre un pilier de l’édifice archiépiscopal, alors même qu’une caméra s’est
attardée sur la plaque commémorative scellée dans la pierre de la colonne. Autre
personnage central que l’on a plaisir à retrouver neuf ans plus tard dans le
même rôle, Frère Dominique, le comédien sociétaire de la Comédie-Française Éric
Génovèse, interprète idéal du saint descendu du ciel pour lire à Jeanne de
Domremy le livre de sa vie. Parmi les interprètes-solistes, onze intervenants,
dont deux narrateurs, les acteurs Benjamin Gazzeri et Jean-Baptiste Le Vaillant,
et neuf chanteurs dont il convient de saluer la performance, la soprano belge Ilse
Eerens en Vierge Marie, la mezzo-soprano Isabelle Druet en Marguerite, la
mezzo-soprano Svetlana Lifar en Catherine, les ténors Julian Dran et Wolfgang
Adler et la basse Nicolas Courjal. En lieu et place du Chœur de l’Orchestre de
Paris en 2015, la phalange de la radio de la Hesse est venue à Paris avec le chœur de
renommée universelle, le légendaire Wiener Singverein, également connu sous le
nom de Chœur des Amis de la musique de Vienne forgé par Johannes Brahms, et qui
compte actuellement quelques deux cent trente membres dirigés depuis 1991 par
Johannes Prinz et qui s’est confirmé à la hauteur de sa réputation. Mais le
plus remarquable de cette mémorable soirée aura été la prestation passionnée,
saisissante d’engagement et d’unité du Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris
créé voilà dix ans par Lionel Sow et qui réunit une centaine de chanteurs âgés de
9 à 14 ans aujourd’hui dirigés par Richard Wilberforce, chef du Chœur de l’Orchestre
de Paris depuis septembre 2023.
Bruno Serrou
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