Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 4 décembre 2024
Concert à « 3B » mercredi soir à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de
Paris et son directeur musical Klaus Mäkelä, une œuvre riche commandée par
l’orchestre pour le Festival d’Aix-en-Provence, A Sky too
Small de la britannique Charlotte
Bray puissance fort bien construite et instrumentée, le sublime Concerto n°
3 de Beethoven par une Mitsuko Uchida comme
absente, tant son toucher est apparu arachnéen, suscitant un nuancier manquant
de carnation, et une Symphonie fantastique de Berlioz de feu, avec un chef rayonnant
et dynamique à la tête d’une formation chantant dans son jardin de façon
idiomatique
Pas trouvé d’autre lien que ces « 3B »
dans le programme proposé par l’Orchestre de Paris pour son premier concert du
mois de décembre 2024, quatre jours après sa semaine « Résurrection » de Gustav Mahler. Certes, Hector Berlioz
(1803-1869) portait pour Ludwig van Beethoven (1770-1827) une admiration proche
de l’idolâtrie, quant à notre contemporaine Charlotte Bray (née en 1982), outre
le fait qu’elle soit Britannique, nationalité que ses deux illustres aînés
appréciaient particulièrement (Shakespeare et l’Ecosse en commun, la première
épouse comédienne Harriet Smithson pour le second), elle s’avère être une
brillante orchestratrice qui n’a apparemment rien à envier à l’Allemand et au
Français… C’est avec la jeune quadragénaire, originaire d’Oxford, formée au
Conservatoire de Buckingham (violoncelle, composition), élève de Mark Anthony
Turnage au Royal College of Music de Londres, d’Oliver Knussen et de Magnus
Lindberg, elle a été lauréate du Prix Lili Boulanger en 2014, année où le
Festival d’Aix-en-Provence l’a invitée à donner une master class (voir https://festival-aix.com/medias/video/master-class-de-compositeur-charlotte-bray-2014).
Fondée sur une tragique histoire vraie d’une incarcération forcée au fond d’un
puits sombre où le captif ne voit que le ciel infini, A Sky too Small (Un ciel trop
petit) pour orchestre (bois par deux, quatre cors, trois trompettes, deux
trombones, tuba, trois percussionnistes, harpe, cordes). Tel un poème symphonique,
la partition commandée par le Festival d’Aix-en-Provence et l’Orchestre de
Paris qui l’ont créé le 13 juillet de cette année, décrit les tourments psychiques
et physiques subits par le captif qui subit la haine et la terreur de ses
geôliers, le cadre et l’environnement de sa détention, son activité réduite qui
consiste essentiellement à tourner en rond dans sa fosse, la narration se
faisant par le biais d’une écriture instrumentale dense, limpide, variée qui
tient l’auditeur en haleine, trop brièvement finalement tant les sept minutes de
cette œuvre sombre et dramatique contiennent d’expressivité.
Composé entre 1800 et 1802, créé à
Vienne le 5 avril 1803, dédié l’année suivante au prince Louis-Ferdinand de
Prusse, le Concerto n° 3 pour piano et
orchestre en ut mineur op. 37 de Beethoven compte parmi les chefs-d’œuvre
les plus extraordinaires de la littérature concertante pour l’instrument-roi. Beethoven
atteint en effet un l’équilibre parfait entre le soliste et l’orchestre qu’il
traite tels des partenaires. Un véritable dialogue s’instaure d’ailleurs dans
le vaste développement de l’Allegro con brio initial, où le piano acquiert
une totale indépendance et une virtuosité singulière dans son propre champ
expressif, avec pour point d’orgue les sublimes accords en creux qui ouvrent la
coda conclusive. Ce n’est pas la part dévolue à l’orchestre qui a péché
par faiblesse, bien au contraire, Klaus Mäkelä et ses musiciens de l’Orchestre
de Paris brodant un tissu orchestral onctueux, brillamment éclairé de l’intérieur,
empli d’exquises sonorités et poussant à l’expressivité, mais le piano de
Mitsuko Uchida n’est pas entré dans le discours de la phalange parisienne. L’artiste
japonaise résidant à Londres m’est apparue étrangement absente, contrainte entourée
des bruissements de l’orchestre en regard de la discrétion de son interprétation,
la pianiste semblant se concentrer sur sa technique, au demeurant irréprochable,
au détriment de l’expression, restant constamment sur son quant-à-soi. Après
plusieurs rappels, Mitsuko Uchida a fini par s’asseoir de nouveau devant le
Steinway de la Philharmonie, pour une curieuse tentative de bis avortée, s’essayant à plaquer trois
accords avant de se relever lentement comme prise de panique de ne pas trouver ce
qu’elle pouvait jouer…
La Symphonie fantastique (1830)
d‘Hector Berlioz avec laquelle l’Orchestre de Paris a été
porté sur les fonts baptismaux par son fondateur Charles Münch en 1967, est nous
le savons tous dans l’ADN des musiciens, qui se transmettent la tradition de
générations en générations, et la façon enlevée dont Klaus Mäkelä les a revigorés
ce mercredi soir par une conception monumentale d’énergie, de mobilité, les
gestes proprement chorégraphiques comme entrant dans la pâte sonore pour mieux
la ciseler, le chef finlandais semblant chercher la vitalité jusqu’au tréfonds
de l’orchestre (parmi tous les musiciens, retenons ici le cor anglais Gildas
Prado, la clarinette de Philippe Berrod et la petite flûte Bastien Pelat,
cornistes et harpistes, ainsi que le violon solo invité, Mohamed Hiber), avec
une précision ahurissante, engendrant un véritable bain de jouvence pour les
yeux et pour les oreilles, tant le chef a réussi à susciter une tempête sonore
phénoménale, se laissant emporter lui-même jusqu’au vertige, ce qui a constitué
comme un tremplin pour le public avide d’applaudissements intempestifs… Mais l’on
a beau se dire « oh, encore une fantastique », chaque écoute de cette
œuvre si souvent programmée, ne cesse de susciter l’enthousiasme à chacune de
ses apparitions à l’affiche de l’Orchestre de Paris…
Bruno Serrou
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