Paris. Grande Halle de La Villette. Philharmonie de Paris, Festival d’Automne à Paris. Mardi 26 novembre 2024
Assisté mardi soir à la répétition générale publique de la Symphonie « Résurrection » de Gustav Mahler Grande
Halle de La Villette sombrement mise en images par Romeo Castellucci avec
solistes, Chœur et Orchestre de Paris dirigés avec un sens du détail
convainquant par Esa-Pekka Salonen dans une acoustique précise et analytique
mais trop sèche et manquant de relief si bien que l’on admire sans entrer
vraiment dans l’œuvre. Salle pleine, public jeune très à l’écoute gardant le
silence durant l’unique pause entre les deux premiers mouvements
C’était avec cette Symphonie n° 2 en ut mineur « Résurrection »
de Gustav Mahler (1860-1911) que les Berliner Philharmoniker avaient « baptisé »
la Philharmonie de Paris le mercredi 18 février 2015 sous la direction de son
directeur musical d’alors, Sir Simon Rattle. Cette œuvre, sans doute la plus célèbre
du compositeur, attire constamment les foules. Cette fois encore, malgré trois
représentations, toutes ont été archi-combles, entre les 28 et 30 novembre. Au
point que les organisateurs, l’Orchestre de Paris, la Grande Halle de La
Villette, la Philharmonie et le Festival d’Automne, ont réparti les
journalistes jusque dans les générales, acceptant les comptes-rendus, ce qui n’est
guère dans les habitudes ni de la presse ni des organisateurs de concerts et d’opéras.
Et même les générales auront été fort courues, et le placement étant libre il
ne fallait surtout pas être en retard… Le public est-il venu pour l’œuvre, pour
le metteur en scène ou pour le chef et pour l’orchestre ?... En vérité,
sûrement les quatre éléments ont-ils influé à parité, puisque trois entités se sont
associées pour l’occasion, la Grande Halle de La Villette, le Festival d’Automne,
l’Orchestre de Paris/Philharmonie.
Pour ma part, j’ai assisté au
premier des rendez-vous de cette « Semaine Résurrection » donnée dès mardi
26 novembre. Une « générale » qui avait tout d’un concert puisque l’œuvre
a été donnée dans les conditions conformes à une représentation. Tandis que le
nombreux public s’installait, à l’instar des musiciens plongés dans le noir et
placés entre le plateau aménagé d’un côté de la Grande Halle tandis que le
public l’était sur de vastes gradins en amphithéâtre, et les effectifs choraux
étaient des deux côtés de l’orchestre, le couple de cantatrices installé au
milieu des bois, tandis que les instruments à vent « hors scène »
étaient dissimulés derrière les parois sur les côtés et derrière les
spectateurs.
Il s’agit de la reprise du spectacle concocté pour le Festival d’Aix-en-Provence
2022 par Romeo Castellucci, dramaturge, metteur en scène, plasticien,
scénographe italien de renom signataire en 2011 d’un splendide Parsifal de Richard Wagner au Théâtre de
la Monnaie de Bruxelles. En 2015, à l’Opéra de Paris Bastille, c’est un Moses und Aron en noir et blanc qu’il proposait, ce qui dès l’abord
laissait présumer d’une approche manichéenne de cet opéra biblique. En 2019, à
l’Opéra Garnier, il réalisait Il
primo omicidio (Le premier meurtre)
d’Alessandro Scarlatti. Entrepris la saison dernière, son Ring pour le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles restera inachevé, puisqu’il
a passé la main à Pierre Audi à mi-parcours. Avec la Résurrection de Mahler, Castelucci réussit la gageure d’un spectacle
d’une grande beauté plastique, mais l’effet n’emporte pas l’adhésion, en raison
de la noirceur désespérée de sa conception qui annihile le concept-même de
résurrection, impression amplifiée par le décalage permanant entre ce que l’on
voit et ce que l’on entend, la distance entre la « fosse » et le
plateau pentu annihilant tout effet de cohésion. Est-ce le lot inévitable des œuvres
conçues pour la salle de concert ou des lieux particuliers comme une église,
mais une fois de plus le transfert d’une œuvre conçue pour le concert ou la
prière n’apparaît guère convainquant sur une scène de spectacle, l’action
véritable se déroulant au sein de l’orchestre, des masses chorales et des
solistes vocaux à qui les compositeurs confient le visible et l’invisible, le
dit et le non-dit, attribuant ainsi un rôle central à l’imaginaire des interprètes
et à celui du public. Montrer anéantit cet aspect capital de l’œuvre musicale
et la force de l’écoute, l’œil captant trois cents fois plus rapidement que l’oreille.
C’est un spectacle de quatre
vingt dix minutes - dont quatre-vingt avec musique - d’un tragique funeste d’où
tout espoir est englouti que Castellucci a réalisé à partir de cette partition
élaborée entre 1888 et 1894 et créée en 1895 à Berlin par les Berliner
Philharmoniker dirigés par le compositeur. Une vaste étendue de terre défoncée par
des obus de tous calibres d’une guerre éternelle, sur laquelle au début un
superbe étalon blanc vaque solitaire en quête de quelque trace d’herbe pour
étancher sa faim, bientôt rejoint par un enfant de blanc vêtu qui le prend par
son harnachement avant de quitter les lieux avec lui tandis que commence l’exécution
de l’œuvre. Pendant la Totenfeier
arrivent des ambulances d’où sont sortis par des infirmiers et des médecins des
monceaux de cadavres en très mauvais état qui sont peu à peu alignés côte à
côte à même le sol avant d’être glissés dans des linceuls blancs, comme s’il s’agissait
de mettre de l’ordre dans un amoncellement de corps difficiles à identifier,
malgré les investigations qui sont faites, les restes humains réunis, ils sont déposés
dans les linceuls, qui sont refermés puis rassemblés dans les ambulances tandis
que, le plateau nu derrière les interprètes, la terre apparaît comme libérée de
toute humanité, le chœur entier entonne la dernière strophe « Aufersteh’n, ja aufersteh’n wirst du »
(Tu ressusciteras, oui, tu ressusciteras
) qui termine l’œuvre en formant hiatus avec la lumineuse apothéose finale
composée par Mahler sur un poème de Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803), Auferstehung (Résurrection) que le compositeur avait entendu en février 1894 durant
les funérailles de son confrère et aîné Hans von Bülow, le fondateur des Berliner
Philharmoniker mort au cours d’un voyage en Egypte, après que les trois
mouvements centraux conduisaient peu à peu vers la lumière, le centre de la
partition, bref et sublime, illustrant le poème Urlicht (Lumière originelle) pour mezzo-soprano et orchestre
tiré du Des Knaben Wunderhorn (Du cor merveilleux de l’enfant),
« Ô rose rouge : / l’homme est dans la misère la plus grande, /
l’homme est dans la plus grande souffrance / ah, combien je préfèrerais être au
ciel !… »
A la tête d’un Orchestre de Paris
aux sonorités feutrées à l’instar de l’acoustique dont l’homogénéité s’est immédiatement
imposée dans un Allegro maestoso
initial d’une unité convaincante mais laissant néanmoins percer les marbrures déchirantes
du mouvement, Esa-Pekka Salonen a donné de la Résurrection une lecture plus apollinienne que dramatique, étirant judicieusement
les tempi tout en maintenant
une souplesse qui lui a permis d’éviter pathos et emphase, pour
instiller à l’œuvre un certain élan, mais aussi la virulence, l’ampleur, l’onirisme bien que manquant de lustre et d’éclat en raison d’une acoustique guère réverbérée.
Dans l’Urlicht, la mezzo-soprano Marie-Andrée Bouchard-Lesieur a exposé
un chant vibrant de sa voix de velours, la soprano Julie Roset, abstraction
faite d’un vibrato un peu prononcé, lui a donné une réplique chaleureuse dans
le finale, où le Chœur de l’Orchestre de Paris s’est naturellement montré à la
hauteur de la vision du chef et de la plastique de l’orchestre, cohérent, engagé
et au large nuancier, hélas altéré par l’acoustique sèche du lieu.
Une belle idée que cette œuvre monumentale
pour ouvrir au plus grand nombre la musique la plus profonde, exigeante et
expressive.
Bruno Serrou
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