Bruxelles. Festival Musicorum. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Salle des concerts. Vendredi 30 août 2024
Voilà tout juste un an, je publiais dans ces colonnes le compte-rendu d’un concert où je venais de découvrir au plus chaud de l’été le talent extraordinaire d’une toute jeune violoniste belge d’origine gréco-polonaise de onze ans, Georgia Koumentakou (1), dans le cadre d’un récital avec le pianiste Philippe Ivanov (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/08/georgia-koumentakou-violoniste-de-onze.html). Son succès fut tel que les organisateurs de la manifestation bruxelloise fondée en 1986 par l’abbé Jacques Van der Biest et animée avec passion par Marjana Mandi avec la collaboration pour la programmation de la pianiste de renom Eliane Reyes l'ont réinvitée, cette fois comme Premier Prix moins de treize ans du Concours Breughel 2024, manifestation partenaire du festival qui invite chaque année le vainqueur lors de son concert de clôture. Contrairement à sa prestation de 2023, ce n’est pas « en sonate » qu’elle se produisait dans le cadre de ces concerts de midi d’une cinquantaine de minutes mais « en concerto » avec orchestre, partageant l’affiche avec une flûtiste belge de trois ans son aînée, Marion Deschamps.
En douze mois, Georgia
Koumentakou a acquis une maturité saisissante. Sa personnalité est toujours
aussi solaire, son tempérament lumineux, sa technique étincelante de naturel et
de précision, son jeu éblouissant, le tout au service d’une musicalité d’une
profondeur, d’une générosité, d’une spontanéité qui dit la maturité de cette
jeune musicienne et son envie de partager son art avec le plus grand nombre. Avec
un violon désormais entier au lieu du trois-quarts sur lequel elle s’était
produite l’an dernier, un instrument français de grande qualité du célèbre luthier
angevin Patrick Robin prêté par la Fondation Roi Baudouin avec le soutien du
Fund Strings for Talents, joué avec un archet réalisé par le canadien Emmanuel
Bégin qui lui a été offert par l’entremise de son professeur Erik Sluys, la jeune
et brillante artiste est la tête pensante et les bras d’un véritable trio d’excellence.
En un an, Georgia Koumentakou ne cesse de développer ses dons comme l’atteste
son palmarès qui s’est étoffé d’un Premiers prix du 11e Concours
International de violon Micka de Prague qui lui a valu le commentaire suivant
du président du jury Václav Hudeček :
« Georgia Koumentakou est un grand talent, comme si elle était née sur
scène avec un violon », tout en continuant à se produire en concert et étant
l’élève de master classes de Boris Garlitzki et d’Aylen Pritchin. Sa passion
pour la musique, son exigence artistique, son bonheur de jouer et de partager
particulièrement communicatif, la plastique somptueuse de sa sonorité incitent
clairement Georgia Koumentakou à servir au plus haut degré d’excellence son art.
Accompagnée avec tact par l’Orchestre
Nuove Musiche, du nom du recueil de madrigaux et d’arie pour voix et basse continue de Giulio Caccini (1551-1618)
publié à Florence en 1602, et son directeur musical Eric Lederhandler qui l’a
fondé en 1992, Georgia Koumentakou a brillé dans le Concerto pour violon et orchestre en mi majeur BWV 1042 de
Jean-Sébastien Bach, donnant à cette œuvre à la puissante architecture de
brûlantes sonorités renvoyant aux couleurs polychromes de l’original vivaldien
(le concerto « Il favorito »
op. 11/2 RV 277) dans lequel le compositeur saxon a puisé ouvertement le
matériau de ce second concerto pour violon, la richesse contrapuntique et l’écriture
dense aux amples développements caractéristiques du maître de Köthen. En musicienne
accomplie, Georgia Koumentakou a magistralement mis en évidence la somptuosité
du chant, les amples respirations mélodiques, plus particulièrement dans le
mouvement lent où elle a su tirer les larmes d’un public littéralement envoûté
par son interprétation d’une éblouissante expressivité, sans excès de gestes et
d’intentions, restant en permanence dans l’esprit classique. Au point que l’on
ne pouvait que regretter que ce sublime Adagio
e piano sempre en ut dièse mineur n’ait pas été précédé de l’Allegro initial dans lequel elle eût assurément
excellé, à en juger de la rutilante vivacité de sa conception du finale Allegro assai en mi majeur dont le brio
de l’écriture soliste a été servi avec un allant d’une plastique irradiante et
d’une sereine agilité.
La seconde soliste de ce concert
de clôture du festival Musicorum a été la flûtiste de quinze ans Marion
Deschamps, qui donnait pour l’occasion son tout premier concert soliste avec orchestre.
Elle aussi est une musicienne à l’avenir prometteur. Elève de Bernard Lange au
Conservatoire de Verviers, ainsi que de Denis-Pierre Gustin, flûte solo de l’Orchestre
National de Belgique, et de Lieve Goosens, flûte solo de l’Orchestre Philharmonique
de Liège, lauréate (Troisième Prix) du Concours national Raymond Micha 2023,
la jeune musicienne aime à se produire en musique de chambre et au sein de
formations orchestrales. L’on sait combien Mozart n’appréciait guère la
flûte, du moins si l’on se fie à ses mots assassins souvent cités : « Il
faut que j’écrive incessamment pour cette flûte que je ne puis souffrir ».
Pour autant, il n’en livra pas moins deux concertos au début de l’année 1778
durant son séjour à Mannheim, le premier long et difficile d’exécution, le
second étant une transcription de concerto pour hautbois, ainsi qu’un Concerto pour flûte et harpe composé la
même année à Paris. En marge de ces pages, Mozart a laissé l’Andante en ut majeur KV 315 et le Rondo en ré majeur KV 373 d’une grande
économie de moyens mais d’un onirisme tendre. Ce sont ces deux dernières pièces
que Marion Deschamps a proposées vendredi midi. Jouant elle aussi avec humilité
et élégance un instrument aux sonorités pleines et chaleureuses, la flûtiste
belge a séduit le public par son interprétation remarquablement chantante et fruitée
à laquelle un rien de fluidité supplémentaire eût ajouté à la grâce qui a émané
de son souffle d’une engageante plénitude. L’Orchestre Nuove Musiche lui a
serti avec diligence un écrin orchestral allégé mais tangible et attentif à
soutenir la soliste qui se mesurait pour la toute première fois à un orchestre
entier.
L’Orchestre Nuove Musiche et son
directeur fondateur Eric Lederhandler ont conclu le programme avec des pages célébrissimes de
Georges Bizet, la seconde suite que le compositeur français a tirée de sa
musique de scène en vingt-sept numéros pour un ensemble de vingt-six musiciens pour
le drame en trois actes et cinq tableaux d’Alphonse Daudet L’Arlésienne créé à Paris Théâtre de Vaudeville en 1872. Cette
seconde suite compte quatre numéros, Pastorale,
Intermezzo, Menuetto qui précèdent la fameuse Farandole reprenant la chanson que tous les petits français chrétiens
entonnent aux pieds de la crèche habitée de santons de Provence, « De bon matin j’ai rencontré le train,/De trois grands Rois qui allaient en voyage… »
dont le finale superpose deux airs provençaux, La Marche des Rois rejointe sous forme de canon par la Danse du Cheval fou, le tout exposé au
fifre et à la clarinette repris par l’orchestre entier sur un rythme ostinato
de tambourin en un mouvement enivrant fondant les deux thèmes qui se superposent en une véritable allégresse instrumentale. Etait-ce l’acoustique trop sèche de
la salle qui aura amenuisé les résonances et la polychromie instrumentale ainsi que les
rebonds rythmiques, la vision globale de l’orchestre et de son chef est apparue
un rien trop raide et pas assez flamboyante, d’où le saxophone a su néanmoins extraire
ses sonorités de braise et son expression mélancolique, le tout affaiblissant l’évocation
des climats, des parfums et de la carnation provençaux, ce qui n’a pas empêché
le public de réagir chaleureusement pour exprimer le plaisir suscité par ce qu’il venait
d’entendre.
Bruno Serrou
1) Parmi les prochains concerts de Georgia Koumentakou, le 27 décembre 2024 à Zuienkerke (Zuyenkerke) dans le Rondo capriccioso en la mineur pour violon et orchestre op. 28 de Camille Saint-Saëns avec le Brussels Sinfionetta dirigé par Leon Blekh, le 31 janvier 2025 Grande Salle du Music Center de Bijloke de Gand avec le Brussels Sinfonietta dirigé par Pascale van Os dans le finale (Allegretto non troppo) du Concerto pour violon et orchestre n° 2 en mi mineur op. 64 de Felix Mendelssohn-Bartholdy et le Rondo capriccioso en la mineur pour violon et orchestre op. 28 de Camille Saint-Saëns, le 29 mars 2025 au AMUZ d'Anvers, dans les trois mouvements du Concerto n° 1 pour violon et orchestre en sol mineur op. 26 de Max Bruch, le 21 avril 2025 à Koksijde (Coxyde) avec le SOV Young (Symfonieorkest Vlaanderen) dirigé par Martijn Dendievel dans les trois mouvements du Concerto pour violon et orchestre n° 2 en mi mineur op. 64 de Felix Mendelssohn-Bartholdy