Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Samedi 25, mardi 28 et mercredi 29 mai 2024
C’est tout un cycle Beethoven qu’a offert la Philharmonie de Paris en
confiant quatre soirées à la phalange britannique au nom bien français, l’Orchestre
Révolutionnaire et Romantique (ORR) fondé par John Eliot Gardiner en 1989, sous
la direction d’une extrême vivacité, le geste élégant et précis, du chef portugais Dinis Sousa, directeur
fondateur de l’Orquestra XXI qui s’illustra notamment dans le cadre du Festival
de Salzbourg 2023 en dirigeant Les Troyens
de Berlioz en remplacement du chef
anglais, suscitant chez l’auditeur une irrésistible envie de bouger de son
fauteuil comme happé et projeté au sein de l’orchestre en une communion
littéralement physique entre musiciens et spectateurs
C’est un vent de renouveau qui
aura soufflé quatre soirées durant à la Philharmonie dans l’interprétation de
la musique de Beethoven. L’on connaissait par le disque les capacités de l’Orchestre
Révolutionnaire et Romantique par ses enregistrements voilà trente ans des symphonies de Beethoven
dirigé par son fondateur, John Eliot Gardiner (1). Ce que cette même phalange
britannique a donné à entendre à Paris dirigé par Dinis Sousa, par l’éclat de
ses puissants contrastes, leurs couleurs et leurs rythmes percutant, a donné l’impression
d’une recréation instantanée des plus fascinantes. Au total, il n’aura manqué
que deux symphonies, il est vrai les moins courues (les première et huitième), mais s'y sera ajoutée une captivante Messe en ut, œuvre moins pratiquée que sa cadette, la Missa Solemnis. Tempi vifs, phrasés rutilants, perfection instrumentale, musiciens d’une
virtuosité d’airain, dynamique époustouflante, sonorités aux arêtes acérées mais
non dénuées de moelleux suscitées par l’utilisation d’instruments anciens,
notamment les vents, qui évoluent selon les dates de composition de chacune des
œuvres, clarté des voix de l'orchestre, cordes disposées à l'allemande (premiers et seconds violons se faisant face, séparés par violoncelles et altos, contrebasses derrière ces derniers), tout a fasciné dans ces soirées mémorables.
Le premier concert a réuni la célèbre
Symphonie n° 6 en fa majeur op. 68 « Pastorale »
et la moins populaire Messe en ut majeur op.
86, deux œuvres composées la même année 1807 et créées à un an de distance,
la première au Theater an der Wien le 22 décembre 1808, la seconde à
Einsenstadt chez le prince Nicolas II Esterhazy. L’interprétation
particulièrement contrastée et vivifiante de la descriptive Pastorale, particulièrement radieuse,
célébrant la nature de façon si réaliste que le début du quatrième des cinq
mouvements, la foudre de l’orage s’est faite si réaliste que le chien guide d’aveugle
jusqu’alors sereinement allongé à côté de sa maîtresse a fait un bond
impressionnant, émettant un sifflement plaintif de sa gorge, les yeux affolés et
cherchant de toute évidence à retrouver ses repaires… Mais le moment-clef de la
soirée aura indubitablement été la Messe
en ut, partition rare, d’une beauté pourtant envoûtante, brillamment
orchestrée et au traitement vocal particulièrement raffinée, annonçant sans
faillir le chef-d’œuvre du genre qu’est la Missa
Solemnis en ré majeur op. 123 créée à Saint-Pétersbourg en 1824. L’interprétation
s’est avérée magique, comme l’a suggéré sur le champ le Kyrie, et la magie de la belle et suppliante mélodie semblant comme
flotter au-dessus de l’orchestre, avant le robuste et vigoureux Gloria aux contours particulièrement
contrastés. Puissant e palpitant Resurrexit
du Credo, annoncé par l’excellente
basse William Thomas, le passage fugué qui suit est interprété avec fougue par
le quatuor vocal et le chœur, le Sanctus
- Benedictus est saturé de lumière et d’optimisme, l’Agnus Dei intense et émouvant. Le fabuleux Monteverdi Choir, autre « enfant »
de Gardiner, est éclatant de cohésion, de conviction, de plastique sonore,
tandis que les quatre solistes, tous britanniques, la soprano Lucy Crowe et la
basse William Thomas déjà cité, mais surtout une fantastique mezzo-soprano
Alice Coote, digne d’une Christa Ludwig, et le brillant ténor Allan Clayton, se
fondent dans le chœur et dans l’orchestre, placés entre les deux entités
légèrement décalés côté jardin.
Oasis d’exaltation et d’énergie a été le troisième concert - je n’ai pas assisté à celui de dimanche, qui réunissait pourtant deux partitions de la même tonalité de ré majeur, la méconnue Symphonie n° 2 op. 36 et la célébrissime Symphonie n° 9 op. 125 -, avec les Symphonies n° 3 et n° 4 aux rythmes et à la virtuosité fébriles données dans le désordre. Une Quatrième d’une grâce et d’une vigueur éblouissantes, une Eroica tendue, puissante, haletante, d’une humaine profondeur mais n’appuyant jamais l’affect, vaillamment interprétée par un Orchestre Révolutionnaire et Romantique bouillonnant qui, dirigé avec un entrain saisissant par Dinis Sousa.
L’ultime soirée a été tout aussi passionnante que les précédentes. Puissantes, élancées, virevoltantes parfois à la limite de l’asphyxie s’il n’y avait eu de somptueux contrastes au sein même de chaque page au lyrisme intense, les deux symphonies du programme, deux des plus populaires du répertoire, la Cinquième en ut mineur op. 67, déterminée et indomptable, et la Septième en la majeur op. 92 au tour proprement chorégraphique célébré par Richard Wagner, ont littéralement envoûté la salle entière. L’Orchestre Révolutionnaire et Romantique a brillé de tous ses feux, mettant un terme haletant à sa célébration ru Titan de Bonn dans ce dernier volet du polyptyque beethovenien sonnant si merveilleusement sur des instruments anciens moelleux et virtuoses dirigé avec une précision d’horloger par le chef portugais Dinis Sousa, le corps transcendé par les rythmes foisonnants et l’élan époustouflant qu’il a insufflé tout au long d’un somptueux parcours.
Bruno Serrou
1) 5 CD DG (1994)
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