Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 26 février 2024
Piotr Anderszewski, le plus parisien des grands pianistes polonais contemporains,
a proposé ce lundi un programme dont il a le secret, une variété de
compositeurs ayant apparemment peu de rapports entre eux mais qui se révèlent
en fait d’une spiritualité profonde et présentés à la façon d’un cycle.
Partant d’une Partita de Johann Sebastian Bach pour conclure sur une autre Partita du même Bach, recueil de six pièces pour clavier parmi les plus exigeants de l’histoire de la musique, Piotr Anderszewski a proposé un programme d’une humanité bouleversante. Tandis que paraît ce mois-ci un CD suprêmement onirique (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/02/cd-poete-du-piano-piotr-anderszewski.html), le pianiste polonais ne cesse de confirmer quel magnifique poète il est. Il a ouvert son récital avec la Partita n° 6 en mi mineur BWV 830, ultime des pages de ce recueil composé à Leipzig entre 1726 et 1731 dont la Toccata a immédiatement subjugué le public, qui n’a émis le moindre bruit parasite une demie heure durant, ressentant assurément comme un sentiment d’éternité, chacune des sept parties de l’œuvre étant emplie sous les doigts de magicien du pianiste de sortilèges, de grâce, de nuances d’une variété et d’une richesse prodigieuses. Le pianiste s’est ensuite plongé dans l’univers sonore de son pays, avec deux séries de Mazurkas, danse nationale polonaise par excellence, que Frédéric Chopin, notamment dans ses Trois Mazurkas op. 59 composées en 1845 à Nohant dans la propriété de George Sand, s’accapare pleinement, en faisant des pièces d’une grande témérité, avec ces harmonies caractéristiques dont Anderszewski réussit la gageure de mêler intimement noblesse et tradition populaire. Les cinq Mazurkas op. 50 de Karol Szymanowski puisent quant à elles dans le folklore des hauts plateaux du sud de la Pologne, comme évoqué dans le compte-rendu du CD référencé plus haut dans ce texte. Anderszewski a sélectionné les mêmes pièces que celles du disque, mais dans un ordre différent, enchaînant les troisième (Moderato), septième (Poco vivace), huitième (Moderato (non troppo)), cinquième (Moderato) et quatrième (Allegramente, risoluto), et omettant la dixième qu’il avait retenue dans son enregistrement.
Le moment le plus
impressionnant de ce récital a été l’époustouflante interprétation d’une
vitalité fauve avec ses rythmes martelés engendrant un piano très percussif tempérée
par des pages d’un onirisme apaisé quasi extatique, des 14 Bagatelles Sz 38 op. 6 composées par Béla Bartók en 1908 qui
figurent elles aussi sur son dernier disque paru. Retour à Bach en conclusion
de cet intense programme, avec la plus fameuse des pages pour clavier du Cantor de Leipzig,
la Partita n° 1 en si bémol majeur BWV
825 qu’Anderszewski interprète avec une prodigieuse habileté, se jouant
avec aisance des difficultés et des mystères de l’œuvre, plongeant dans les
arcanes des climats et des tempi avec
un naturel confondant, faisant chanter son clavier comme nul autre, emportant l’auditeur
dans le monde de l’éternité céleste.
Pour conclure, Piotr Andreszewski
est retourné aux bagatelles, cette fois trois pièces tirées du cursus beethovenien,
se laissant facilement convaincre par le public comme s’il entendait retenir le
temps de cette magique soirée quasi extatique.
Bruno Serrou
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