Après les longues évocations contenues dans les œuvres pour piano d’Olivier Messiaen, Bertrand Chamayou fait une pause en se tournant vers des pièces d’Erik Satie et de John Cage où l’intimité et la brièveté sont reines. En 2022, Chamayou consacrait un récital à Satie à brûle pourpoint à la Maison de la Radio à la demande de la cantatrice chef d’orchestre Barbara Hannigan en résidence à Radio France, alors que la musique du maître de Honfleur n’avait jusqu’alors pas capté son attention. Mais c’est tandis qu’il préparait ce récital qu’il prit conscience du fait que cette musique résonnait vivement dans l’œuvre de Cage sur laquelle il travaillait au même moment en vue d’un CD à paraitre cette année. C’est ainsi que chemina peu à peu l’idée de son quinzième disque paru fin 2023 dont il est question ici. L’idée d’associer Satie, compositeur à l’indéniable popularité, et Cage, plus conceptuel ce qui fait qu’il n’est connu que d’un cercle assez restreint, permet d’envisager une certaine célébrité pour le second à la lumière plutôt qu’à l’ombre du premier. A cette fin, Chamayou alterne les pièces de chacun des compositeurs qu’il a sélectionnées, donnant plusieurs de celles de l’un puis de l’autre, afin que l’auditeur puisse prendre le temps d’entrer dans les climats de chacun tant les pages sont brèves comme des projections de diapositives. Après avoir donné un morceau de Cage All Sides of the Small Stone, for Erik Satie, il enchaîne la première Gnossienne de Satie suivie à son tour par Prelude for Meditation de Cage. Les pages les plus fameuses de Satie (sept Gnossiennes et trois Gymnopédies) sont bel et bien toutes présentes de façon plus ou moins éclatée, ainsi que les trois Véritables préludes flasques (pour un chien) et trois des vingt-et-une pièces brèves Sports et Divertissements, l’une des Trois Pièces montées (Rêverie de l’enfance de Pantagruel), le Nocturne n° 2, la Sarabande n° 3 et Songe-creux, soit un total de vingt-et-une pièces de Satie auxquelles répondent six pages de John Cage, outre celle introduisant le disque déjà citée, Prelude for Meditation, A Room, In a Lanscape, Swinging, Perpetual Tango qui répond au Tango Perpétuel des Sports et Divertissements de Satie (Tango et Swinging pourraient d’ailleurs être de Satie), Dream de Cage concluant le disque, après les Three Pages in the Shape of a Pear (in celebration of Erik Satie) de James Tenney (1934-2006), un proche de John Cage dont il a été l’élève et qui avait été en 1963 des dix pianistes ayant participé à la création des Vexations de Satie aux côtés de John Cage, David Tudor et Merce Cunningham entre autres. Ces Three Pages in the Shape of a Pear sont un clin d’œil aux Trois morceaux en forme de poire que Satie a composés en réponse à Claude Debussy, qui lui reprochait de ne pas soigner suffisamment la forme de ses œuvres…
Bertrand Chamayou, qui a enregistré parallèlement à celui dont il est question ici, un disque monographique consacré à John Cage à paraître prochainement, donne des pages qu’il a dûment sélectionnées ici des carnations, des couleurs enchanteurs tel un peintre galvanisant de sa fabuleuse palette des timbres et des sonorités d’une diversité extraordinairement mobiles, les textures d’une variété et d’une densité phénoménales. Un disque qui ne saura que convaincre les amateurs de beau piano, d’humour, de poésie, de charme, d’inattendu, d’inouï. Bref, un délice pour toutes les oreilles !
Bruno Serrou
1 CD Erato 5054197696442 (Warner Classics). Durée : 1h 10mn 43s.
Enregistré en juin 2023. DDD
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