Violoncelliste flamboyant, Edgar Moreau, qui s’est vu attribué en 2014 le prix du jeune soliste du Concours de violoncelle Rostropovitch à Paris, publie un nouveau disque chez Erato, cette fois avec le WDR Sinfonieorchester de Cologne dirigé avec brio par le chef letton Andris Poga. Le Français a choisi deux œuvres majeures aux caractères forts éloignés du répertoire concertant de la seconde moitié du XXe siècle, toutes deux nées sous l’impulsion de l’immense violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch, le Concerto en ut mineur de Mieczyslaw Weinberg d’essence néoromantique et celui d’Henri Dutilleux, Tout un monde lointain inspiré de poèmes érotiques de Charles Baudelaire.
Ces dernières années, l’intérêt
grandissant pour l’œuvre du compositeur d’origine judéo-polonaise Mieczyslaw
Weinberg (1919-1996) qui, bien qu’il fût un proche de son aîné russo-soviétique
Dimitri Chostakovitch (1906-1975), est passé quasi inaperçu dans le landerneau
musical de son temps, ce qui l’a condamné à une vie de précarité, persécuté par
le régime stalinien, qui l’avait notamment emprisonné pour « activités
sionistes ». Organisé en quatre mouvements, son Concerto pour violoncelle et orchestre en ut mineur op. 43 s’ouvre
sur un thème mélancolique et spirituel dans un Adagio initial de nature rhapsodique aux élans postromantique qui
permet à Edgar Moreau d’imposer sans attendre la beauté de ses sonorités
enveloppées par les somptueuses couleurs que lui offre un Orchestre Symphonique
de la Radio de Cologne à la pâte sonore dans la carnation de celle de son
instrument. Le Moderato qui suit
prolonge le climat nostalgique du premier mouvement, préludant à une section
centrale plus dansante au rythme de habanera mâtinée de musique Klezmer, le
rôle de l’orchestre étant ici celui d’un tapis aux coloris bigarrés rehaussant
la plastique et l’expressivité de l’instrument soliste. Le premier Allegro est un Scherzando fondé sur une danse ludique et festive dans laquelle Edgar
Moreau exulte d’adresse, le second Allegro
est un Rondo final au caractère versatile,
alternant danse animée et chaleureuse, tendresse et élégance qui conduit à un
de retour au climat du mouvement initial, mettant ainsi en évidence le
caractère cyclique de l’œuvre.
Ecrit une quinzaine d’années plus
tard, le concerto pour violoncelle et orchestre Tout un monde lointain d’Henri Dutilleux (1916-2013) est l’un des
sommets de l’ensemble de la littérature concertante pour violoncelle. Dans
cette œuvre créée par Mstislav Rostropovitch, son commanditaire, à
Aix-en-Provence le 25 juillet 1970 avec l’Orchestre de paris dirigé par Serge
Baudo, les violoncellistes ne s’y trompent pas, rivalisant en nombre dans cette
musique d’une expressivité exceptionnelle où les échecs sont extrêmement rares
tant il s’y trouve de sources d’inspiration, autant techniques que
spirituelles, intellectuelles et expressives. Le langage du compositeur
français est infiniment plus inventif, créatif et original que celui de son
cadet de trois ans, Mieczyslaw Weinberg, et convient davantage aux qualités
intrinsèques de son interprète. Dans le premier des cinq mouvements intitulé Enigme, marqué par le son du
commanditaire de l’œuvre, le compositeur exploite le registre aigu du violoncelle,
le jeu de Moreau s’avérant en outre libre et souple, ainsi que dans le
deuxième, Regard, plus paisible mais
toujours centré sur le registre aigu du violoncelle, Moreau se faisant
volontiers rêveur et en exaltant les immenses beautés et le lyrisme intense. Le
mouvement central, plus court, Houles :
Large et ample, est en vérité plus animé, grâce à une rythmique soutenue,
tout en demeurant très chantant, ce que réussit à la perfection un soliste d’une
virtuosité solaire à laquelle l’orchestre répond avec allant et précision. Plus
serein et introspectif, Miroirs :
Lent et extatique trahit un sentiment de solitude et d’abandon finalement
réconforté par un calme qui finit par s’épanouir pleinement dans le finale, Hymne : Allegro qui se présente
telle une aurore d’un temps flamboyant, joyeux, exaltant qui conduit le soliste
à transcender sa virtuosité, ce qu’Edgar Moreau réussit magistralement avec des
sonorités d’une plénitude incandescente magnifiée par son violoncelle de David
Tecchler de 1711 doté d’une assise de basse aussi soutenue que profonde et large.
Le son est splendide, le phrasé enchanteur, l’intensité du discours est exaltée
par la portée inhérente à son imaginaire sonore, faisant chanter son instrument
qu’il fond avec un tact infini à l’Orchestre de la Radio de Cologne avec sa
palette fruitée gorgée de soleil.
Bruno Serrou
1 CD Erato / Warner Classics 5054197489334. Durée : 1h 01mn 40s.
Enregistrement : 2022. DDD
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