samedi 28 octobre 2023

CD : 50 ans après sa mort, le disque démontre qu'Otto Klemperer est l'infaillible parangon du chef lyrique maître du temps et du rythme

Cinquante ans après la mort d’Otto Klemperer le 6 juillet 1973 à Zürich, Warner Classics réunit en deux coffrets les enregistrements du grand chef d’orchestre allemand réalisés entre 1961 et 1971 pour Columbia et HMV. Ces gravures, qui ont marqué l’histoire du disque pour toujours au point de ne jamais quitter les catalogues, ont été nettoyées, remasterisées pour la présente édition.

Ces témoignages réalisés durant la dernière décennie d’activité d’Otto Klemperer, offrent à la postérité l’image d’un artiste grave, austère, d’une lenteur habitée quasi religieuse, dirigeant un répertoire essentiellement centré sur le baroque, le classicisme et le romantisme, le contraire de ce qu’était en vérité ce disciple de Gustav Mahler qui, a contrario de l’autre disciple mahlérien, Bruno Walter (1876-1962), était ouvert à la création la plus avant-gardiste de son temps, et fut artistiquement et politiquement un musicien engagé, faisant tout son possible pour rendre la musique la plus exigeante à la portée du plus grand nombre. « Bruno Walter a une toute autre personnalité que moi, disait-il à un journaliste de la BBC. Il est très conciliant et doux, moi pas. Il est très romantique, ce qui n’est pas du tout mon cas. Ne vous méprenez pas, mais il est un moraliste. Moi, je suis immoraliste. Absolument ! »

Photo : DR

Quantité de disques publiés par divers labels attestent de sa vivacité, de son énergie, de l’engagement qui animaient le chef jusqu’au tournant des années 1947-1950, alors qu’il se trouvait à la tête de l’Orchestre Philharmonique et de l’Opéra de Budapest. Mais, malgré des rééditions plus ou moins suivies de gravures de l’époque, l’essentiel de son legs discographique est concentré sur sa dernière décennie d’activité, lorsque Walter Legg, époux de la cantatrice Elisabeth Schwartzkopf et directeur artistique du label britannique Columbia au sein de l’éditeur discographique HMV (His Master Voice/La Voix de son Maître) qui avait été créé en 1945 pour Herbert von Karajan le temps de sa « dénazification », le Philharmonia Orchestra, formation exclusivement vouée au studio d’enregistrement londonien du label britannique, Klemperer étant à l’époque, entre 1961 et 1971, âgé de 76 à 86 ans…

Photo : (c) Godfrey MacDominic/Lebrecht / Warner Classics

Otto Klemperer était alors devenu un homme apaisé, tempéré, adepte le plus souvent de tempi plus stables et mesurés que par le passé, sa gestique, amoindrie par son opération du cerveau de 1939, se faisant plus minimaliste encore après les brûlures qui faillirent lui être fatales un soir où il s’était endormi une pipe allumée à la bouche. Pourtant, comme allaient s’en rendre compte en 1961 les participants à la première production qu’il dirigea à Covent Garden de sa vie, Fidelio de Beethoven qui préluda au célèbre enregistrement repris dans le coffret, sa direction demeurera du début à la fin de sa carrière d’une intensité rythmique prodigieuse, Klemperer n’ayant jamais rien perdu ni de sa passion pour l’opéra ni de l’énergie avec laquelle il abordait tous les répertoires.

Otto Klemperer vers 1920. Photo : DR

Né à Breslau (aujourd’hui Wroclaw) en Silésie le 14 mai 1885 dans une famille juive convertie au catholicisme, cousin du professeur de littérature française à l’université de Dresde Viktor Klemperer (1881-1960), l’auteur de Lingua Tertii Imperii (LTI) décryptage de la novlangue nazie, et du Journal 1933-1945, Otto Klemperer, artiste incandescent, a suivi le cursus classique des chefs d’orchestre de son temps, commençant à l’opéra comme répétiteur, et devenant rapidement, franchissant les étapes sans attendre, un chef fougueux, brillant, perfectionniste intransigeant aux tendances maniaco-dépressives. Si Klemperer fut un immense chef symphonique, particulièrement dans Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms, Anton Bruckner, Gustav Mahler, Paul Hindemith, Arnold Schönberg - dont il avait été l’élève à Berlin -, Kurt Weill, avec des enregistrements légendaires comme Le Chant de la Terre avec Christa Ludwig et Fritz Wunderlich en 1967, et les Concertos pour piano beethoveniens avec le jeune Daniel Barenboïm en 1967-1968, c’est avant tout comme chef lyrique qu’il s’est imposé sur le champ.

Otto Klemperer allumant sa pipe, qui, un soir, faillit lui être fatale. Photo : DR

Chef lyrique, il le fut en effet dès ses débuts, dirigeant Orphée aux enfers de Jacques Offenbach à Berlin en 1906, et c’est Gustav Mahler, à qui il avait apporté une réduction pour piano de son cru de la Symphonie n° 2 « Résurrection » qui lui mit le pied à l’étrier en le recommandant au Théâtre allemand de Prague dont il prit la direction en 1909 en dirigeant Der Freischütz de Carl Maria von Weber, production qui lui apporta un succès immédiat. Il avait vingt-quatre ans. Toujours soutenu par Mahler, il se retrouve en 1910 à la tête de l’Opéra de Hambourg, où il débute dans Lohengrin de Wagner avec la jeune Lotte Lehmann dans le rôle d’Elsa. Son succès fut tel qu’il n’en connut pas de « pareil de toute sa vie », reconnaîtra-t-il à la fin de sa existence… Il est ensuite chef à l’Opéra de Strasbourg, institution alors dirigée par Hans Pfitzner, puis ce furent Cologne, Wiesbaden…

Le Kroll Oper de Berlin à la fin des années 1920. Photo : DR

Kroll Oper de Berlin et exil californien

En 1927, il prend la direction du Kroll Oper de Berlin, inaugurant sa direction avec Fidelio de Beethoven. Il convie Alexandre Zemlinsky à l’y rejoindre, et invite les metteurs en scène les plus novateurs de l’époque. Il y crée des œuvres de Paul Hindemith comme Neues vom Tage en 1929 ou la Musique pour une scène de film d’Arnold Schönberg, dirige des productions mises en scène par Hans Curjel d’ouvrages des XVIIIe et XIXe siècles ainsi que des partitions d’avant-garde d'Igor Stravinski, Leos Janacek, Kurt Weill, le tout mû par le concept de Nouvelle Objectivité avec des scénographies dépouillées et des costumes contemporains, ce qui suscitera de vives réactions des cercles conservateurs berlinois qui s’imposaient de plus en plus violemment dans la capitale allemande des dernières années de la République de Weimar. En dépit de la résistance et des protestations de Klemperer, le Kroll Oper finira par être fermé le 3 juillet 1931, pour des motifs à la fois politiques et financiers, après une ultime représentation des Noces de Figaro de Mozart. Deux ans plus tard, après l’incendie du Reichstag, le Kroll Oper, coquille vide, devient le siège du parlement nazi. L’arrivée au pouvoir du NSDAP le 31 janvier 1933 signe la fin de la carrière berlinoise de Klemperer, ses origines juives et ses convictions artistiques avant-gardistes faisant de lui la cible intellectuelle privilégiée du nouveau régime, à l’instar d’Arnold Schönberg, qui doit quitter le Conservatoire de Berlin. Aussi prit-il dès 1933 le chemin de l’exil, passant tout d’abord par la Suisse puis, en 1934, s’embarquant pour la côte ouest des Etats-Unis, où il se voit confier l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles, donnant ainsi à sa carrière une nouvelle impulsion, puisqu’il se détournait de la scène lyrique au profit du répertoire symphonique. Cet exil marqua si intimement Klemperer que sa santé en fut profondément bouleversée, le plus tragique étant en 1939 le choc d’une opération chirurgicale durant laquelle lui fut retirée une énorme tumeur au cerveau qui le rendit partiellement paralysé pour le restant de ses jours, ses facultés d’élocution étant en outre amoindries. Ce qui ne favorisera guère son retour à la carrière de chef lyrique.

Photo : (c) Godfrey MacDomnic / Warner Classics

Retour en Europe

En 1947, il accepta néanmoins l’offre de l’Opéra de Budapest où, au bout de trois ans de travail acharné, son caractère bouillonnant le conduisit à perdre le contrôle de lui-même, quittant soudainement la fosse au beau milieu d’une représentation de Lohengrin, ulcéré par les ovations du public à la fin du récit du Graal, alors qu’il avait expressément demandé dans le programme de salle de n’applaudit qu’à la fin de chaque acte. Calmé, Klemperer reprit la baguette et mena la représentation à son terme, mais par la suite, une succession d’incidents finit par ruiner les relations du chef allemand avec le public hongrois, ce qui contraignit Klemperer à la démission en 1950. A l’exception de quelques représentations triomphales au Komische Oper de Berlin-Est dans des productions mises en scène par son ami Walter Felsenstein (1901-1975), Klemperer ne mit plus les pieds dans une fosse d’Opéra après 1951… Jusqu’à ce que dix ans plus tard, le Covent Garden de Londres réussisse à le convaincre d’y faire ses débuts à soixante-quinze ans, dans Fidelio, qui allait devenir son premier enregistrement lyrique, en 1962… Devaient suivre La Flûte enchantée, Lohengrin, qui ne sera pas enregistré, Le Vaisseau fantôme en 1968 dans sa version originale, la trilogie Mozart-Da Ponte en 1966, 1970 et 1971.

Otto Klemperer, Teresa Berganza dans ses bras, Gabriel Bacquier à l'arrière-plan, durant l'enregistrement de Cosi fan tutte  de Mozart en 1971. Photo : (c) Reg Wilson / Warner Classics

Les opéras

Tous les opéras qu’a gravés ce chef intègre et rigoureux pour EMI sont des références absolues tant ils ne cessent de fasciner. Bénéficiant de distributions exceptionnelles, d’un chœur et d’un orchestre virtuoses, tous ne cessent de susciter l’intérêt. Avec en tête de distribution le couple incandescent Jon Vickers (Florestan) et Christa Ludwig (Leonore), Fidelio op. 72 (1962) de Ludwig van Beethoven (1770-1827) est indubitablement le plus intense et bouleversant de l’histoire du disque, celui auquel il est toujours nécessaire de se ressourcer, surtout qu’autour du duo titulaire l’on retrouve un cast éblouissant, Walter Berry, Gottlob Frick, Gerhard Unger, Franz Crass. Autre témoignage à connaître absolument, seul enregistrement wagnérien intégral de Klemperer, Le Vaisseau fantôme (Der fliegende Holländer, 1968) dans sa version originale de 1843 d’une force tragique saisissante, avec le Hollandais déchirant de Theo Adam, l’Elsa hallucinée d’Anja Silja et l’impressionnant Daland de Martti Talvela, l’excellent Chœur de la BBC et le New Philharmonia Orchestra chauffé à blanc, ainsi qu’un ardent premier acte de La Walkyrie (Die Walküre, 1969) avec Helga Dernesch, William Cochran, Hans Sotin et un New Philharmonia Orchestra incandescent capté en 1969, complété des « Adieux de Wotan », finale de l’acte III de la première journée du Ring (1970) chantés par Norman Bailey avec le New Philharmonia, ainsi que le finale de Tristan und Isolde (1970) ajouté aux Wesendonck Lieder (1962) avec Christa Ludwig et le Philharmonia. Quatre opéras de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) qui représentent une véritable somme au sein de la riche production discographique qui leur est consacrée, même s’il manque dans La Flûte enchantée (Die Zauberflöttte, 1964) les dialogues auxquels Klemperer ne voulait surtout pas renoncer, allant ainsi à l’encontre de la volonté de Walter Legge, qui finit par l’emporter ce qui suscita un profond ressentiment de la part du chef allemand à l’égard du directeur artistique britannique… mais bénéficiant d’une grandiose distribution (Gundula Janowitz, Nicolaï Gedda, Walter Berry, Lucia Popp, Gottlob Frick, Franz Crass, Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig, Marga Höffgen, le Chœur et l’Orchestre Philharmonia), et le trilogie Da Ponte, avec des Nozze di Figaro (1970) et un Cosi fan tutte (son ultime enregistrement d’opéra, 1971) admirables, magnifiés par de mythiques distributions qui adhèrent pleinement aux conceptions dramatiques et profondes de Klemperer, qui donne aux œuvres le temps de respirer et de s’épanouir, déroulant l’œuvre dans sa plénitude sonore, avec Gabriel Bacquier, Elisabeth Söderström, Reri Grist, Geraint Evans, Teresa Berganza, le John Alldis Choir et le New Philharmonia dans Le Nozze di Figaro, Nicolaï Ghiaurov, Franz Crass, Claire Watson, Nicolaï Gedda, Christa Ludwig, Walter Berry, Mirella Freni, Paolo Montarsolo, les New Philharmonia & Chorus dans Don Giovanni (1966), Margaret Price, Yvonne Minton, Luigi Alva, Geraint Evans, Lucia Popp, Hans Sotin, le John Alldis Choir et le New Philharmonia Orchestra dans Cosi fan tutte.

Otto Klemperer durant l'enregistrement de Cosi fan tutte de Mozart en 1971. Photo : (c) Godfrey MacDomnic / Warner Classics

Les oratorios

Côté oratorios figurent deux impressionnants monuments discographiques de chefs-d’œuvre de Johann Sebastian Bach (1685-1750) qui ont longtemps fait figure de références insurpassables, jusqu’à ce que la vogue des orchestres allégés, puis des formations « historiquement informées » en fassent malgré leur infinie grandeur des pachydermes romantiques, aux antipodes des Nikolaus Harnoncourt et consort. Il faut néanmoins absolument connaître ces versions d’une sincère et ardente spiritualité, d’une hallucinante musicalité. Réalisée en 1960-1961, la Passion selon saint Matthieu BWV 244 est stupéfiante de puissance, de rigueur, de ferveur spirituelle. Certes, avant Harnoncourt, il y eut les conceptions éblouissantes d’Eugen Jochum et de Karl Münchinger, voire d’Helmut Rilling, mais aucune n’égale celle de Klemperer en grandeur, en noblesse, en intériorité, en reliefs, en coloris sublimés par la justesse des instruments modernes au chant moelleux et pur, la puissance et la force vitales des chœurs, et la distribution extraordinaire réunie autour de Klemperer, l’Evangéliste superlatif de Peter Pears, le Jésus noble et généreux de Dietrich Fischer-Dieskau, entourés d’Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig, Nicolaï Gedda et Walter Berry, du Chœur de Garçons de l’église Hampstead Parish, du somptueux Chœur Philharmonia et l’Orchestre virtuose du même nom. La Messe en si mineur BWV 232 (1967) est tout aussi impressionnante, avec Agnes Giebel, Janet Baker, Nicolaï Gedda, Hermann Prey, Frans Crass, l’excellent Chœur de la BBC et le New Philharmonia Orchestra. Autre enregistrement majeur de Klemperer, le sublime Un Requiem allemand op. 45 (Ein deutsches Requiem, 1961) de Johannes Brahms (1833-1897), d’une densité inouïe, constamment bouleversant, mû par une rythmique implacable mais jamais étouffante tant elle laisse passer la lumière de l’espérance, avec un Philharmonia Chorus d’une brûlante ferveur, et deux merveilleux solistes, Elisabeth Schwarzkopf et Dietrich Fischer-Dieskau, une Missa solemnis op. 123 (1965) de Ludwig van Beethoven (1770-1827) d’un classicisme épuré et recueilli avec Elisabeth Söderström, Marga Höffgen, Waldemar Kmentt, Martti Talvela et les New Philharmonia Chorus & Orchestra, enfin Le Messie HWV 56 (Messiah, 1964) de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), sombre et d’une lenteur assurément excessive, sans doute le maillon le plus faible de ce coffret au demeurant exceptionnel.

Photo : DR

A cette somme, Warner Classics a ajouté le CD réunissant les chœurs de la Messe en si mineur de Bach, et deux autres porteurs de documentaires de Jon Tolanski, « le Don Giovanni de Klemperer : Derrière les scènes », et « Un Souvenir d’Opéra ».

Bruno Serrou

29 CD Warner Classics 5054197528996. Durée : 33h 20mn 13s. Enregistrements : 1961-1971. ADD 


 

 

lundi 23 octobre 2023

Voilà 50 ans disparaissait l’immense Pablo Casals, le chantre de Bach, du Violoncelle et de la Paix universelle sans concession

Pablo Casals (1876-1973), ici dans le parc de l'Académie Festival de Marlboro, USA. Photo : (c) Sony Classical

Un demi-siècle déjà, le 22 octobre 1973 à San Juan de Porto-Rico, Pablo Casals tirait sa révérence à la vie, au monde, à la musique et à Johann Sebastian Bach qu’il aimait d’un amour si absolu qu’il semblait ne pas vouloir cesser de les servir. Cinquante ans après sa mort, le musicien catalan reste un modèle d’humanisme. Durant près de quatre-vingts ans, il a en effet été le promoteur constant et le maître incontesté du violoncelle, au point d’être devenu le référant d’un autre immense violoncelliste éclot lui aussi sous une dictature, le Russe Mstislav Rostropovitch (1927-2007), de cinquante ans son cadet et qui eût lui aussi à souffrir du totalitarisme…

Pablo Casals (1876-1873), dans sa maison de Pades en train d'accorder son instrument. Sur le mur, le drapeau catalan. Photo : DR

Pacifiste militant, démocrate intransigeant, Pablo Casals était la musique incarnée. « La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour, disait-il. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent. » Casals n’aura cessé de lutter de toutes ses forces et de sa notoriété contre l’injustice, la dictature et pour la paix. Il avait deux armes, qu’il mit au service de la République espagnole : son violoncelle et sa baguette de chef d’orchestre. A Barcelone, en dépit de la guerre civile, il maintint l’activité de son orchestre faisant abstraction de l’insécurité, et il fit son possible pour inciter les chefs d’Etat du monde à s’engager à la défense de la Seconde République espagnole en se produisant partout en Europe, en Amérique, et jusqu’au Japon, acceptant de donner des concerts uniquement de bienfaisance en faveur de la paix, notamment le mouvement pacifiste et anti fasciste de son ami français Louis Lecoin (1888-1971), et au profit des sinistrés. Il accepta en outre la présidence honoraire d’une commission de musiciens pour venir en aide à la démocratie espagnole, et prendra l’initiative de l’érection du tombeau du poète Antonio Machado (1875-1939) à Collioure. « Rien n'est plus naturel que d'aimer son pays, mais pourquoi notre amour connaît-il des frontières ? »

Pablo Casals (-1876-1973) et son cher Johann Sebastian Bach. ¨Photo : DR

C’est Pablo Casals qui imposa définitivement la Bible de tous les violoncellistes, les Six Suites pour violoncelle seul BWV 1007 à 1012 composées par Johann Sebastian Bach entre 1717 et 1723. Jeune adolescent, il les découvrit en fouillant dans une librairie musicale de Barcelone où il tomba par hasard sur « une liasse poussiéreuse annonçant six suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach ». Elles devinrent immédiatement ses œuvres favorites, ses compagnes de vie, celles qu'il allait inlassablement étudier et travailler chaque jour de sa vie, qui lui permettront de défendre et de valoriser le violoncelle, jouant du lundi au samedi matin sans déroger les suites dans l’ordre chronologique et le dimanche reprenant sa préférée, la Sixième en ré majeur, la plus libre et virtuose. Il les travaillera tous les jours pendant plus de dix ans avant de les donner pour la toute première fois en public dans leur continuité en 1901. « On les jugeait académiques, mécaniques, dépourvues de chaleur, se souvenait Casals. Comment pouvait-on les trouver froides alors qu’elles rayonnent d’espace et de poésie ! »

La maison natale de Pablo Casals à El Vendrell (Tarragone). Photo : DR

Violoncelliste, mais aussi pianiste, chef d’orchestre et compositeur, fils de Carles Casals i Ribes et de Pilar Defillo Amiguet, Pablo Casals fut pour son art un maître incomparable de son instrument, dont il a fait notablement évoluer la technique en perfectionnant l’utilisation de l’archet. Peu d’interprètes ont atteint une stature humaine et musicale de l’envergure de la sienne. Mstislav Rostropovitch lui-même considérait Casals comme le plus grand nom de toute l'histoire du violoncelle. L’excellence et l’originalité inimitable de son jeu, Casals les devait non pas à sa morphologie - il ne mesurait que 160 centimètres et ses membres étaient proportionnels à sa taille, ce qui aurait dû le desservir considérant les mensurations du violoncelle -, mais à son travail, à sa capacité de concentration, à la puissance de sa personnalité, à sa faculté d’exprimer ses émotions partout où il se produisait. Son talent singulier est aussi dû à ses innovations techniques, renouvelant l’ensemble du jeu du violoncelle, la position du corps, l’assise, le maintien et l’orientation de l’instrument, la tenue et l’angle de l’archet, l’amplitude des déplacements, la position sur les cordes, le mouvement des mains et des doigts… Sa main gauche, par exemple, montre une puissance d’articulation inédite et une mise en vibration instantanée de la corde. Ce qui permet à l’archet un gain considérable de liberté dans la mesure où la main gauche le décharge partiellement de l’articulation, tandis que la corde tenue par un seul doigt suscite un vibrato naturel… Avant Casals, le jeu académique obligeait à garder les coudes serrés contre le corps, ce qui coûtera d’ailleurs à Casals l’entrée au Conservatoire royal de Bruxelles, après qu’il eût été auditionné par Edouard Jacobs, et malgré la lettre de recommandation de François Gevaërt, directeur du Conservatoire de la capitale belge, ainsi que la perte des subsides de la reine Maria Cristina d’Espagne.

Pablo Casals dirigeant une répétition de son Orchestre Pau Casals de Barcelone. Photo : DR

L’une des particularités de Pablo Casals est sa parfaite connaissance de la plupart des instruments de l’orchestre. Enfant, il se plaisait en effet à jouer tous ceux qui se trouvaient à sa portée. Né de père catalan et de mère portoricaine le 29 décembre 1876 à El Vendrell, ville de la province catalane de Tarragone, capitale de la comarque de Baix Penedès, il commença le piano et le violon à cinq ans avec son père organiste, et à jouer de l’orgue et de la flûte. A onze ans, il entrait au Conservatoire de Barcelone pour étudier le violoncelle. Puis il se rendit à Madrid, muni d’une bourse de la reine Maria Cristina avec sa mère, son frère et sa sœur pour intégrer la classe de composition du Conservatoire Royal tout en y perfectionnant son instrument. A douze ans, il touchait ses premiers cachets en se produisant régulièrement au Café Tost, lieu de Barcelone fort couru à l’époque.

Le Trio Cortot-Thibaud-Casals pose avec Gabriel Fauré en 1923. Photo : DR

En 1893, Pablo Casals obtient son premier prix de violoncelle et, accompagné de son frère, de sa sœur et de sa mère, il se rend à Madrid pour jouer devant le comte de Morphy grâce à une lettre de recommandation d’Isaac Albéniz. Il y joue devant Isabel et la régente Maria Cristina, qui lui attribue une bourse mensuelle de 250 pesetas, une somme importante pour l’époque. En 1895, il se rend à Bruxelles pour y intégrer le Conservatoire Royal, mais après une audition qui suscita le mépris d’Edouard Jacobs, professeur de violoncelle, il quitte la capitale belge et perd la bourse de la reine d’Espagne. Après son échec bruxellois, Il se rend une première fois à Paris, où il doit se contenter d’un obscur poste de deuxième violoncelliste au théâtre des Folies-Marigny. Sans le sou, il retourne à Barcelone où lui est proposé en novembre 1896 le poste de son ex-professeur au Conservatoire, obtient un poste de violoncelliste au sein de l’Orchestre du Théâtre du Liceù, rencontre Isaac Albéniz, Augustin Rubio, Enrique Fernandez Arbos, Enric Granados et Camille Saint-Saëns, et intègre en 1897 le quatuor à cordes de Mathieu Crickboom. Il effectue avec l’ensemble une tournée en Espagne et au Portugal qui l’enrichit musicalement, intellectuellement et matériellement, et il se voit offrir une émeraude et un violoncelle Guarneri par la reine Maria Cristina dont il retrouve les faveurs après le malencontreux incident bruxellois, ainsi qu’une lettre de recommandation rédigée par le comte de Morphy pour le célèbre chef d’orchestre français Charles Lamoureux à Paris. A la fin de l’année 1899, après avoir fait ses débuts à Londres où il se produit devant la reine Victoria, Pablo Casals se rend donc à Paris, où il rencontre Charles Lamoureux, qui l’auditionne et l’invite comme soliste de son  orchestre avec lequel il donne plusieurs créations mondiales, dont le Concerto pour violoncelle et orchestre d’Edouard Lalo, et il épouse la violoncelliste portugaise Guilhermina Suggia, fille d’un célèbre violoniste. Après ce séjour en France, fructueux en rencontres, Pablo Casals part en tournée aux Etats Unis en 1901. Lors d’une randonnée dans la montagne californienne, il est victime d’un accident à la main gauche qui fort heureusement ne compromettra pas sa carrière. En 1903, il réalise sa première tournée en Amérique du Sud, en 1904 il effectue sa deuxième tournée aux Etats-Unis, jouant pour la première fois le 15 mars à Carnegie Hall dans le Don Quichotte de Richard Strauss qui le dirige, et, le 15 janvier, il est reçu à la Maison Blanche par le président Theodore Roosevelt. En 1905 il est pour la première fois en Russie, où il rencontre à Saint-Pétersbourg Nikolaï Rimski-Korsakov, César Cui, Alexandre Glazounov, Alexandre Scriabine et le pianiste Alexandre Siloti. Pablo Casals vit au rythme effréné des voyages et des concerts à travers l’Europe et dans le monde. « Je fus obligé d’être industrieux, constatera plus tard Casals. Quiconque sera aussi industrieux que moi réussira pareillement. » Dès lors, son nom restera sans interruption sur le devant de la scène musicale internationale. Au-delà de ses activités de soliste et de pédagogue, il convient de noter son engagement en faveur de la musique de chambre, notamment dans l’un des plus somptueux représentants du genre que fut le trio qu’il constitua en 1905 avec deux virtuoses français, le violoniste Jacques Thibaut et le pianiste d'origine suisse Alfred Cortot. À vingt-huit ans, il était devenu l'un des trois solistes les plus célèbres au monde, ainsi que l'un des interprètes internationaux aux cachets les plus élevés dont il consacrait une large part aux activités du Trio Cortot-Thibaud-Casals, effectuant chaque année avec lui une tournée d’un mois dans divers pays. Pour Casals, la musique de chambre, qu'il considérait comme le jeu d'un instrument unique à trois voix, était une source de joie incommensurable. Le trio perdura vingt-sept ans, jusqu’en 1933, et avec ses deux comparses il créa en 1920 l’École Normale de Musique de Paris où il donnera tous les étés des cours d’interprétation. En 1910, il quitte Paris et commence à se produire fréquemment au Royaume Uni. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il se réfugie aux Etats-Unis. En 1914, il épouse à New Rochelle, dans l’Etat de New York, la soprano étatsunienne Susan Metcalfe (1878-1959) avec qui il effectue une tournée. En 1915, il réalise ses premiers enregistrements pour la compagnie Columbia. Il donne son ultime concert soliste aux Etats-Unis le 26 février 1928 au Town Hall de New York. L’année suivante, il se produit en Europe dans le cadre d’une tournée qui le conduit en Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, France, Suisse, Grande-Bretagne et Italie.

Pablo Casals dirigeant son Orchestre Pau Casals de Barcelone. Photo : DR

Fin 1919, Casals décidait de s'installer en Catalogne, faisant de Barcelone et de sa maison de la plage de Sant Salvador, à Vendrell, la base de sa vie artistique et personnelle. Il tenait en effet à s'enraciner dans son pays avec deux uniques occupations, l’Orchestre Pau Casals qu’il avait créé en 1910 et qu’il dirigera jusqu’en 1937, et l’Associació Obrera de Concerts grâce auxquels l’activité musicale catalane atteindra un haut degré de qualité. Grâce à l’orchestre symphonique qui porte son nom et qu’il fonde pratiquement seul, il peut aussi se consacrer à une activité qui le tente particulièrement, celle de chef d'orchestre. Il avait auparavant dirigé les meilleures formations mondiales à Paris, Londres, New York et Vienne. En tant que chef d'orchestre, il possédait les qualités qui lui étaient spécifiques comme violoncelliste, l’intuition, l’intelligence et la sensibilité. De 1920 jusqu'à la guerre civile de 1936, il sera la figure tutélaire de la musique à Barcelone et, grâce à son dévouement constant, l’Orchestre Pau Casals deviendra l’une des meilleures phalanges symphoniques d’Europe. Sa programmation comprenait des œuvres de compositeurs catalans tels que Isaac Albéniz (1860-1909), Juli Garreta (1875-1925), Enric Granados (1867-1916), Joan Lamote de Grignon (1872-1949) et son fils Ricardo (1899-1962), Enric Morera i Viura (1865-1942), Antonio Nicolau (1858-1933), Baltasar Samper Marquès (1888-1966), Eduard Toldrà i Soler (1895-1961) et Roberto Gerhard (1896-1970), ainsi que les plus grands compositeurs internationaux de son temps, comme Béla Bartók, Manuel de Falla, Maurice Ravel, Gustav Mahler, Igor Stravinsky, Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern. En 1926, il fonde l’Associació Obrera de Concerts dans le but de rapprocher la musique de la classe ouvrière sur le modèle d’Anselm Clavé dans le domaine du chant choral. Le public est si rapidement séduit et si enthousiaste que de nombreux pays s’intéressent au fonctionnement de l’association dont les membres se comptent par milliers…

Pablo Casals (1876-1973). Photo : DR

L’année suivante, à la suite de la proclamation de la Seconde République espagnole le 14 avril 1931, Pablo Casals est nommé par la Generalitat président du Conseil Catalan de la Musique. Lorsque les nazis promulguent les premières lois anti-juives en 1933, Casals se refuse à toute relation avec l’Allemagne, renonçant notamment à l’invitation de Wilhelm Furtwängler à jouer avec les Berliner Philharmoniker, et il manifeste son intention de ne plus s’y produire tant que « la vie musicale n’y sera pas libre ». Deux ans plus tard, il adopte la même attitude envers l’Italie en signe de protestation contre le fascisme. Pendant la guerre civile espagnole, il donne des concerts à Barcelone et à l’étranger au profit des blessés et des enfants, et en soutient pour la République espagnole.

Pablo Casals, chez lui, à Prades. Photo : DR

Puis ce fut la guerre civile en Espagne, tragique épisode dans la vie de Casals. Le 18 juillet 1936, durant une répétition de l’Orchestre Pau Casals au Palais de la musique de Barcelone, il reçoit l’appel du soulèvement militaire et dissout immédiatement la formation. Il continue néanmoins ses tournées en Europe et en Amérique du Sud, et organise des concerts de charité pour récolter de la nourriture, des vêtements et des médicaments. Il donne son dernier concert à Barcelone le 19 octobre 1938. Le général Gonzalo Quiepo de LLano, chef de la propagande nationaliste, le fit informer que s'il venait à être capturé, l’accusation d’agitateur antinationaliste serait émise et il lui ferait couper les deux bras au niveau des coudes... Casals dut donc s’exiler. Il choisit de s’installer non loin de sa terre catalane, de l’autre côté de la frontière, en Catalogne française, dans la petite ville de Prades, dans les Pyrénées Orientales où il allait s'occuper activement des réfugiés de son pays, tout en refusant de se produire sur scène puisque, désormais, les fascistes étaient presque partout au pouvoir, en Allemagne, en Russie, en Italie, en Espagne, et bientôt dans l’Europe entière, en Asie, en Amérique latine... Homme de convictions, farouchement épris de liberté, combattant opiniâtrement les dictatures, il avait refusé de jouer en Union soviétique dès 1917, en Allemagne à l'avènement de Hitler en 1933, en Espagne dès la victoire de Franco en 1939, puis dans tous les pays qui, aux lendemains de la guerre, pactiseront avec l'Espagne franquiste.

Pablo Casals (1876-1973). Photo : DR

En janvier 1939, il s’installe donc en Catalogne française, Grand Hôtel de Prades, dans la vallée du Conflent, où il vivra jusqu’en 1956. Il y prend soin de ses compatriotes incarcérés dans les camps de concentration français et s’implique, aux côtés du romancier Albert Camus, du poète René Char, et de l’écrivain André Malraux dans l’édification d’un caveau décent au grand poète catalan Antonio Machado… De 1939 jusqu’à sa mort en 1973, il se considèrera comme un exilé. Après la victoire des Alliés en 1945, sous le choc des bombardements atomiques sur le Japon et déçu par l’absence de toute intervention susceptible de renverser le régime franquiste, il décide de ne plus jouer publiquement son violoncelle en signe de protestation et refuse toute invitation jusqu’à ce que soit établi en Espagne un régime respectant les libertés fondamentales et tenant compte de la volonté du peuple. Fin 1946, il accepte néanmoins son premier élève d’exilé, Bernard Greenhouse, puis ce seront Zara Nelsova, Madeline Foley…

Pablo Casals et Eugene Istomin en l'abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, 1er Festival de Prades en 1950. Photo : DR

Cet isolement se poursuivra jusqu’en 1950. Devant son refus obstiné d'interrompre son exil à l’issue du Second Conflit mondial, les musiciens du monde entier se déplacent dans les Pyrénées Orientales pour célébrer avec lui le bicentenaire de la mort de Johann Sebastian Bach, lorsqu'un groupe de musiciens éminents dirigé par Alexander Schneider et Mieczyslaw Horszowski, le convainquent d’organiser un Festival Bach à Prades. C’est le début d'une série de festivals de très haut niveau que Casals animera jusqu’en 1966. C’est ainsi qu’est né le Festival Pau Casals de Prades, qui perdure aujourd’hui encore. En 1956, il décide avec son épouse Marta Montáñez de passer les hivers à Porto Rico, où il crée l’année suivante le Festival Casals de San Juan de Puerto Rico, un conservatoire et un orchestre symphonique, avant de présider en octobre à Paris le premier Concours international de violoncelle Pablo Casals. Le violoncelliste avait été nommé pour le prix Nobel de la paix en 1958, sans succès, et, en octobre de la même année, il accepta une invitation à jouer à l'Assemblée des Nations Unies, un lieu extraterritorial et politiquement neutre.

Pablo Casals (1876-1973). Photo : DR

En effet, Casals ne renoncera jamais à son combat en faveur de la paix. Préoccupé par le réarmement, il souhaitait utiliser sa renommée mondiale et sa seule arme, la musique, pour transmettre des messages de paix universelle. A cette fin, il composa son oratorio El Pessebre en 1943 qu’il achèvera en 1960, sur un texte de Joan Alavedra i Segurañas et qui sera orchestré par son frère Enric Casals, avec qui il a souvent collaboré. L’oratorio a été joué dans les villes les plus importantes d’Europe et d’Amérique. À partir de 1952, il donne chaque année des masters classes de violoncelle et de musique de chambre à l’Académie de musique d’été de Zermatt, en Suisse, et il commence à collaborer avec la Marlboro School of Music aux Etats-Unis, dans l’Etat du Vermont, où il donne chaque été des cours de maître de direction d'orchestre et de violoncelle. En 1961, il voyage en Israël et au Japon et, le 13 novembre de la même année, il prend la parole à la Maison Blanche devant le président John Fitzgerald Kennedy et y donne un concert qui bénéficie d’une couverture exceptionnelle des médias du monde entier. C'était sa première apparition publique aux États-Unis depuis l’avant-guerre. En 1963, il dirige El Pessebre aux Nations Unies pour le quinzième anniversaire de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, et il est nommé docteur honoris causa de l'Université de New York. Le 24 octobre 1971, il crée son Hymne de la paix des Nations Unies (Hymne des Nations Unies) sur un texte de Wystan Hugh Auden, et reçoit la Médaille de la Paix des Nations Unies. Il interprète pour l’occasion El cant dels ocells, pièce folklorique qui, harmonisée par ses soins, était devenue un symbole national pour les Catalans. Le compositeur Pablo Casals laisse entre autres une série d’œuvres d’inspiration religieuse dont le motet O vos omnes (1933), et de nombreuses mélodies comme Cançó de bressol et De cara al mar écrits en 1935 sur des textes de Joan Llongueras, ou la Ballade du nouveau Solveig de 1936 sur un texte de Ventura Gassol.

Le tombeau de Pablo Casals au cimetière de Vendrell. Photo : DR

Pablo Casals meurt des suites d’une crise cardiaque le 22 octobre 1973 à l’hôpital de San Juan de Porto Rico. Sa dépouille est transférée dans son pays natal, la Catalogne, sitôt le retour de la démocratie en Espagne. Le corps de Pablo Casals repose au cimetière de Vendrell depuis novembre 1979. En 1972, l’année qui précéda son décès, a été créée la Fondation Pau Casals, et, en 1974, est inaugurée la Villa Casals-Museu Pau Casals qui est achevée en 1976 et où se trouve depuis 1981 l'Auditorium Pau Casals. En 1998, la Casa nadiua de Pau Casals a été inaugurée. En décembre 2016, le Gouvernement de la Generalitat de Catalogne a créé le Guardó Pau Casals pour la propagation internationale de la Culture catalane. Ainsi, Pau Casals est-il toujours vivant…

Bruno Serrou


Bibliographie sélective 

Josep Maria Corredor i Pomés, Conversations avec Pau Casals (1955, réédité et remis à jour en 1967) 

Correspondance Pau Casals et Josep Trueta et Raspall (2009) 


Discographie sélective 

Pablo Casals, The Complete HMV Recordings (9 CD Warner Classics) 

Pablo Casals Song of the Birds, Cello Encores (1 CD Alto) 

Pablo Casals, The Philips Legacy (7 CD Decca) 

Pablo Casals, Portrait Pablo Casals (10 CD The Intense Media) 

Pablo Casals au Festival de Marlboro (10 CD Sony Classical)


Dossier réalisé à partir de celui qui m'a été demandé par la rédaction du magazine espagnol Scherzo 

 


dimanche 22 octobre 2023

Première lyonnaise passionnante du chef-d’œuvre de Richard Strauss, "Die Frau ohne Schatten" (La Femme sans Ombre)

Lyon. Opéra National de Lyon. Vendredi 20 octobre 2023 

Richard Strauss (1864-1949), Die Frau ohne Schatten. Josef Wagner (Barak), Ambur Brais (la Femme de Barak). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Ecrit avant les événements qui entraînèrent la désagrégation de l’empire austro-hongrois, resté dans les cartons du compositeur tout au long du Premier Conflit mondial jusqu’à sa création à l’Opéra de Vienne en 1919, Die Frau ohne Schatten (La Femme sans Ombre) n’est pas le plus joué ni le plus directement accessible des opéras de Richard Strauss. Il s’agit pourtant de son œuvre centrale, celle vers laquelle toute sa création lyrique converge avant de s’épanouir vers d’autres sphères, l’esprit créateur du compositeur bavarois comme celui de son librettiste autrichien Hugo von Hofmannsthal, y étant contenu.

Richard Strauss (1864-1949), Die Frau ohne Schatten. Sara Jakubiak (l'Impératrice), Lindsay Ammann (la Nourrice). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Parabole métaphysique fusionnant intimement l’ésotérisme mozartien de La Flûte enchantée et la mythologie wagnérienne, du Ring à Parsifal en passant par Tristan und Isolde, pour faire œuvre éminemment originale, La Femme sans Ombre a la réputation d’être un ouvrage complexe, essentiellement à cause de son livret pourtant d’une ineffable poésie. La musique, d’une mobilité inouïe, est l’une des plus vivantes et polychromes de l’histoire de la musique. Chaque mesure en effet réserve une infinité de strates, de textures, de lignes mélodiques, harmoniques et de timbres, offrant à l’oreille maintes occasions de se perdre dans les méandres d’une écriture aux reliefs infinis à chaque écoute. L’orchestre est d’une sensualité ensorcelante, suscitant une jouissance sonore inépuisable.

Richard Strauss (1864-1949), Die Frau ohne Schatten. Lindsay Ammann (la Nourrice), Sara Jakubiak (l'Impératrice), Photo : (c) Bertrand Stofleth

Cette partition admirable où l’orchestre pourtant foisonnant ne couvre jamais le chant - même le ténor, une fois n’est pas coutume chez Richard Strauss, n’a pas à souffrir d’une ligne impossible -, est très peu programmée en France. Donné pour la première fois dans l’Hexagone en 1965 à l’Opéra de Strasbourg, il a fallu attendre 1972 pour que l’ouvrage entre au répertoire de l’Opéra de Paris. Encore s’agissait-il de la fameuse production de l’Opéra de Vienne dans une mise en scène d’August Everding réunissant un cast inoubliable (James King, Leonie Rysanek, Walter Berry, Christa Ludwig) autour de Karl Böhm, le chef autrichien disciple du compositeur portant l’ouvrage à bout de bras depuis des lustres, le donnant notamment pour la réouverture de l’Opernhaus de Vienne en 1955. Depuis sa reprise en 1980 avec une distribution différente, à l’exception de Walter Berry (Christoph von Dohnanyi, René Kollo, Hildegard Behrens, Gwynneth Jones), « Frosch » a retrouvé l’Opéra de Paris en décembre 2012 après vingt-deux ans d’absence dans une production inédite et à Bastille. Hugues Gall, qui appréciait particulièrement l’ouvrage (il l’avait monté à Genève dans une mise en scène d’Andreas Homiki reprise à Paris, Théâtre du Châtelet), avait confié la production au metteur en scène étatsunien Robert Wilson.

Richard Strauss (1864-1949), Die Frau ohne Schatten. Lindsay Ammann (la Nourrice), Julian Orlishausen (le Messager des Esprits). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Créé le 10 octobre 1919 à l’Opéra d’Etat de Vienne dont il venait d’être nommé directeur aux côtés du chef autrichien Franz Schalk, qui dirigea la première de l’ouvrage dans une mise en scène et une scénographie d’Alfred Roller, Richard Strauss a fait ainsi pour La Femme sans Ombre op. 65 une exception en ne réservant pas à l’Opéra de Dresde la première de son sixième opéra à l’instar de ce qu’il avait déjà fait le 4 octobre 1916 pour la seconde version d’Ariane à Naxos op. 60, alors Opéra de la Cour (Hofoper) de Vienne. Pour La Femme sans Ombre, Strauss retrouve le gigantisme de l’orchestre, plus encore que celui d’Elektra, avec plus de cent-cinq musiciens dans la fosse, et fait appel à cinq chanteurs (deux sopranos, mezzo-soprano, ténor, baryton-basse) aux voix d’airain, auxquels s’ajoutent un chœur, une maîtrise et un ballet… Pour son entrée à son répertoire, l’Opéra de Lyon a tenu compte de l’étroitesse de sa fosse, choisissant de réaliser pour y répondre une version pour orchestre réduit à soixante-quinze musiciens, soit soixante-dix pour cent de l’effectif global requis par la partition. Mais, il convient de saluer sans attendre l’exploit exceptionnel réalisé par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sous la baguette généreuse et inspirée de son directeur musical Daniele Rustioni qui a réussi à donner l’illusion de la présence du grand orchestre symphonique initialement prévu, se mettant pleinement au service du magicien des sons qu’est Richard Strauss, même s’il y a manqué de-ci-de-là l’ensorcellement des timbres d’une sensualité emplie de mystères et d’enchantements, et d’offrir au demeurant au public lyonnais la totalité de la partition, ce que seuls Wolfgang Sawallisch avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise en 1987 (3 CD Warner Classics) et Sir Georg Solti avec le Philharmonique de Vienne en 1991 (3 CD Decca) ont donné au disque. Daniele Rustioni transporte telle de la lave en fusion l’orchestre de l’Opéra lyonnais indubitablement ravi de jouir de tant de beautés instrumentales, enveloppant les chanteurs de sonorités envoûtantes sans jamais les couvrir.

Richard Strauss (1864-1949), Die Frau ohne Schatten. Julian Orlishausen (le Messager des Esprits), Lindsay Ammann (la Nourrice). Photo : (c) Bertrand Stofleth

L’action de La Femme sans Ombre se déroule dans un empire oriental imaginaire situé entre Mongolie et Bengale. Il s’agit d’une parabole féerique reliant un couple du monde des esprits à un autre du monde des humains et leurs quêtes respectives de bonheur et d’épanouissement luttant contre les forces des ténèbres dans leur quête de descendances. Le livret allie le théâtre fantastique traditionnel viennois d’un Schickaneder et des éléments tirés de Freud et de diverses religions, orientales et occidentales, le principe sous-jacent étant qu’une femme ne projette pas d’ombre tant qu’elle n’est pas une entité complète, c'est-à-dire tant qu’elle n’a pas mis au monde un enfant. Pour atténuer cette image machiste, Strauss insistait sur le fait que le véritable héroïsme de l’homme est l’amour et le soutien à sa famille. Sur le plan musical il s’agit d’une œuvre de synthèse entre la première façon de Richard Strauss, particulièrement d’Elektra et du Chevalier à la rose sans les valses, et du Schönberg atonal dans les accords plaintifs qui accompagnent les monologues de l’Empereur.

Richard Strauss (1864-1949), Die Frau ohne Schatten. Sara Jakubiak (l'Impératrice), Vincent Wolfsteiner (l'Empereur). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Dans une scénographie nocturne emplie de magies où la nature est reine de Fabien Lédé et les costumes de Marek Adamski magnifiés par les éclairages énigmatiques de Marc Heinz, la mise en scène du Polonais Mariusz Treliński, actuel directeur artistique du Grand Théâtre de Varsovie - dont j’avais eu le plaisir de découvrir le travail à l’Opéra de Wroclaw en mars 2012 avec une production du Król Roger (le Roi Roger) de Karol Szymanowski -, sert à la perfection l’ouvrage de Strauss et ses infinis mystères, faisant de La Femme sans Ombre une œuvre à la fois puissamment dramatique et fascinante sertie d’une direction d’acteur d’une remarquable efficacité. La distribution est d’une homogénéité enchanteresse, avec à sa tête le couple de Teinturiers exceptionnel formé par la soprano canadienne Ambur Braid, voix puissante, ample, souple au timbre fuité, d’une présence digne d’une véritable tragédienne et au jeu d’une liberté fascinante, et du rayonnant baryton-basse autrichien Josef Wagner, Barak d’une bonté extraordinaire et doué d’un art de l’écoute impressionnant. Le couple impérial est tout aussi remarquable, avec l’Empereur généreux et puissant du ténor bavarois Vincent Wolfsteiner et l’Impératrice séduisante et douloureuse de la soprano étasunienne Sara Jakubiak, voix colorée et lumineuse qui s’était notamment illustrée cet été au Festival de Salzbourg dans La Passion grecque de Bohuslav Martinu. Entre les deux couples, la Nourrice éperdue à la terrifiante destinée brillamment campée par la mezzo-soprano étatsunienne aux graves gutturaux Lindsay Ammann. Les dix-sept rôles secondaires sont tous remarquablement distribués, à commencer par les trois frères de Barak, Pawel Trojak (le Borgne), Pete Thanapal (le Manchot) et Robert Lewis (le Bossu).

Bruno Serrou 

jeudi 19 octobre 2023

Nathalie Stutzmann et l’Orchestre de Paris, entente cordiale à la Philharmonie

Paris. Philharmonie. Mercredi 18 octobre 2023 

Nathalie Stutzmann. Photo : DR

Depuis sa première apparition avec l’Orchestre de Paris en octobre 2021, Nathalie Stutzmann est devenue une grande de la direction d’orchestre, de celles dont les plus grandes institutions musicales internationales se disputent la présence. 

Nathalie Stutzmann, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Depuis sa première prestation avec l’Orchestre de Paris, Nathalie Stutzmann, ex-contralto estimée dans le monde entier devenue chef d’orchestre en 2008, se forgeant un solide expérience en créant l’année suivante son propre ensemble, Orfeo 55, a été nommée directrice musicale de l’Orchestre Symphonique d’Atlanta, devenant la deuxième femme à diriger un grand orchestre américain, la première à avoir été invitée par l’Orchestre de Philadelphie, avant de faire ses débuts au Metropolitan Opera de New York dans la Flûte enchantée et Don Giovanni, avant d’être invitée pour la première fois au Festival de Bayreuth pour y diriger Tannhäuser qu’elle reprendra l’été prochain.

Nathalie Stutzmann, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Deux ans après une Symphonie n° 5 de Tchaïkovski tendue jusqu’à la déchirure, menée avec l’énergie du désespoir, Nathalie Stutzmann a retrouvé la phalange parisienne dans une symphonie célébrant la nature et les verts pâturages, avec la Symphonie n° 6 en fa majeur « Pastorale » op. 68 (1807-1808), la symphonie paire la plus développée et la plus jouée de Beethoven. Œuvre programmatique et descriptive, elle préfigure la symphonie à programme qu’Hector Berlioz reprendra à son compte ainsi que le poème symphonique que Liszt allait développer. Chef profondément enracinée dans le théâtre lyrique à la tête d’un orchestre virtuose, Nathalie Stutzmann a donné de cette partition toutes les dimensions dramatiques et champêtres dont le point culminant a été un impressionnant orage, tandis que bois et cuivres ont rivalisé de panache et de jouissance sonore.

Sheku Kanneh-Mason, Nathalie Stutzmann, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

La première partie était entièrement russe, avec deux des compositeurs qui eurent le plus à souffrir du stalinisme, commençant par l’Ouverture sur des thèmes juifs op. 34b composée en 1920 pour piano par Serge Prokofiev au début de son exil aux Etats-Unis et qui l’orchestra en 1934 après son retour en Russie bien qu’il n’appréciait guère ces pages qui connurent malgré lui le succès. Beaucoup plus couru, le Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre en mi bémol majeur op. 107 que Dimitri Chostakovitch composa en 1959 pour Mstislav Rostropovitch en quatre mouvements, les trois derniers s’enchaînant sans pause. L’œuvre en son entier est dominée par le thème de Dimitri Chostakovitch dans sa transcription allemande DSCH (ré - mi bémol - do - si), tandis que le compositeur reprend l’une des mélodies favorites de Staline connue sous le nom Suliko, en la distordant de façon lugubre et violemment ironique, démontrant ainsi que, cinq ans après la mort de son tortionnaire, il était loin de lui avoir pardonné… Confiée au violoncelliste britannique Sheku Kanneh-Mason devenu subitement quasi universellement connu à la suite de sa participation à un mariage princier diffusé en mondovision, la partie soliste de l’œuvre est apparue trop sage et lustrée, manquant singulièrement de violence, de tragique, d’humour acerbe, en un mot de caractère, malgré les efforts de Nathalie Stutzmann et de l’Orchestre de Paris, qui a pour sa part brillé de ses sonorités de braise. En bis, le violoncelliste a donné une Mélodie apathique de son cru.

Bruno Serrou

mercredi 18 octobre 2023

Le London Symphony Orchestra et son nouveau directeur musical Antonio Pappano ont chauffé à blanc la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 17 octobre 2023 

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra. Photo : (c) Julien Mignot

Concert de feu hier soir à la Philharmonie de Paris par le London Symphony Orchestra dirigé avec fougue et une rectitude rythmique au cordeau par son nouveau directeur musical Antonio Pappano, dans un programme pourtant traditionnel mené à bâton rompu, le poème symphonique Also sprach Zarathustra op. 30 de Richard Strauss et la Symphonie n° 7 en la majeur op. 92 de Ludwig van Beethoven qui n’a que peu rarement autant mérité son surnom d’Apothéose de la danse que lui avait donné Richard Wagner.

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra. Photo : (c) Julien Mignot

C’est avec l’œuvre requérant l’orchestre le plus fourni que le chef italien a choisi d’ouvrir le programme, le Tondichtung « Also sprach Zarathustra » op. 30 que le compositeur bavarois composa et créa en 1896 d’après le roman philosophique éponyme de Friedrich Nietzsche. Dès l’appel solennel rendu célèbre par le cinéaste britannique Stanley Kubrick venu des hautes sphères originelles de l’orgue, trois trompettes et timbales au lustre stupéfiant, le chef italien a captivé l’attention de l’auditeur, le scotchant carrément dans son fauteuil, pour ne plus le lâcher, tant la narration était d’une densité, d’une poésie, d’une chaleur pénétrantes. Commencée avec l’énergie requise et respirant large, il a mené avec son orchestre fascinant de maîtrise, de nuances et de couleurs, avec un sens du théâtre époustouflant trahissant le chef lyrique à l’expérience unique en tant que directeur musical de Covent Garden, le crescendo qui sourd du centre de la terre pour éclater au grand jour et partir en fusion happé par le soleil. Tirant brillamment parti d’un Orchestre Symphonique de Londres stupéfiant de beauté, Pappano a dégagé les lignes de force de ce vaste poème symphonique de trente-cinq minutes, œuvre parmi les plus célèbres de son auteur, cela dès la grandiose introduction symbolisant l’Univers dominé par l’orgue et les trois trompettes, ces dernières d’une beauté, d’une puissance et d’une assurance éblouissantes chez les Berlinois. Le chef et l’orchestre ont tenu en haleine la salle entière trente-cinq minutes durant, rivalisant de virtuosité et d’onirisme, exaltant une polyphonie foisonnante et une orchestration somptueuse de leurs sonorités de braise, la précision de leurs attaques, la fluidité de leurs textures. C’est le souffle coupé que le public a écouté les dernières mesures du Chant du voyageur dans la nuit qui parachève l’œuvre pianissimo.

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra. Photo : (c) Julien Mignot

En seconde partie, l’homme de théâtre qu’est le chef britannique aux origines italiennes Antonio Pappano, qui commença sa carrière comme répétiteur au New York City Opera et fut pendant dix ans directeur musical du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles (1992-2002) avant d'occuper les mêmes fonctions au Royal Opera House Covent Garden depuis vingt-et-un ans, a porté son dévolu sur la partition d’orchestre la plus chorégraphique de Ludwig van Beethoven, la Symphonie n° 7 en la majeur op. 92. Achevée en mai 1812, cette œuvre a été créée dix-neuf mois plus tard, le 8 décembre 1813, à l’Université de Vienne, sous la direction du compositeur, à l’occasion d’un concert au profit des soldats autrichiens et bavarois blessés à la bataille de Henau. Le succès fut immédiat, au point que Beethoven a dû reprendre l’Allegretto en son ensemble. Cette réussite n’a pas faibli depuis, et Richard Wagner, grand admirateur de Beethoven, attribuera à la Septième le qualificatif d’« Apothéose de la danse », sans doute parce que, de toutes les symphonies de Beethoven, celle-ci est la plus intensément rythmée. Ce qu’Antonio Pappano, sûr de la virtuosité emplie de panache et de la dextérité analytique des musiciens dont il est le nouveau « boss » mais qu’il connaît bien pour le diriger depuis des années, qualités et qu’il a mises clairement en évidence hier soir, insufflant à l’œuvre une énergie savoureusement festive et débridée, suscitant quarante minutes durant une interprétation vraiment magnétique.

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra. Photo : (c) Julien Mignot

Devant l’enthousiasme enflammé du public, Antonio Pappano et le LSO ont donné en bis une page d’orchestre de musique française, la Pavane en la dièse majeur op. 50 (1887) de Gabriel Fauré.

Bruno Serrou