Paris. Centre Georges Pompidou. Grande Salle. Samedi 1er juillet 2023
C’est une journée de festival particulière qui attendait de façon quasi
improvisée le public de ManiFeste ce 1er juillet. Les violentes manifest-ations
qui submergent chaque fin de journée depuis mardi 27 juin les villes de France,
notamment Paris et son quartier Châtelet-Beaubourg, ont conduit l’Ircam, son
organisateur implanté au cœur de ce quartier à l’ombre du Centre Pompidou à
avancer les deux concerts prévus samedi 1er juillet, plus
particulièrement celui de la soirée auquel s’est substituée une répétition
générale publique en début d’après-midi…
Il s’est agi d’un concert qui associait les stagiaires de l’Académie instrumentale de musique contemporaine de ManiFeste et l’Ensemble Intercontemporain dont huit des membres ont été leurs coaches (la flûtiste Sophie Cherrier, le hautboïste Philippe Grauvogel, le clarinettiste Alain Billard, les percussionnistes Gilles Duret et Samuel Favre, le pianiste Dimitri Vassilakis, la violoniste Hae-Sun Kang, l’altiste Odile Auboin et le violoncelliste Éric-Maria Couturier). Deux formations d’étudiants en stage à l’Ircam réunis sous les intitulés d’Ensemble Next, qui réunit les étudiants post-master de la formation Artist Diploma - Interprétation et Création du Conservatoire de Paris, et l’Ensemble ULYSSES, qui rassemble des jeunes artistes de 18 à 30 ans venant de toute l’Europe pour une tournée d’été, ont été associés à l’Ensemble Intercontemporain pour un concert des œuvres travaillées pendant le stage sous la direction infaillible de la chef taïwanaise Lin Liao, disciple de Péter Eötvös.
Quatre œuvres de courte durée, de dix à vingt minutes (dix, douze, seize et vingt, soit cinquante-huit minutes au total), ont constitué un concert de plus de quatre vingt dix minutes. C’est dire combien les changements de plateaux n’ont pas été une sinécure, d’autant moins que l’ensemble une fois en place, la chef s’est faite désirée, mettant un temps fou pour sortir de sa loge… Le programme a été introduit et conclu par deux œuvres de grande qualité avec électronique en temps réel. Composée en 2020-2021 pour vingt-quatre instrumentistes - deux flûtes (aussi piccolo et flûte basse), deux hautbois, deux clarinettes (aussi clarinette basse), basson, deux cors, deux trompettes, deux percussionnistes, deux pianos, harpe, trois violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse - et électronique en temps réel créée le 3 décembre 2021 à la Cité de la musique - Philharmonie de Paris par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Léo Margue, la pièce d’ouverture, Géranomachie (qui renvoie à la mythologie grecque de batailles sanglantes entre des oiseaux migrateurs et des nains) de la compositrice grecque Sofia Avramidou (née en 1988) est d’une énergie et d’une invention sonore impressionnantes qui suscitent un conflit explosif entre les mondes naturel (l’orchestre) et artificiel (l’informatique).
L’œuvre concluant le concert était signée du Chilien Roque Rivas (né en 1975). Il s’agissait de l’éblouissant Assemblage de 2011-2012 créé le 16 juin 2012 dans le cadre de ManiFeste pour piano solo, ensemble de vingt instrumentistes - deux flûtes (aussi piccolo), hautbois (aussi cor anglais), deux clarinettes (deuxième aussi clarinettes basse et contrebasse), basson, deux cors, trompette, trombone, trois percussionnistes, clavier électronique, harpe, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique live d’une richesse de timbres, d’une fluidité, d’une élocution, d’une vigueur singulières, engendrant un groove fort communicatif et une écriture foisonnante. Tenue par le talentueux Dimitri Vassiliakis, la partie piano scintille sonne d’une façon qui n’est pas sans évoquer celle de Pierre Boulez, avec un clavier aux résonnances et octaves sonnant de façon éblouissante, tandis que Roque Rivas explore les capacités d’interactions dans le dialogue entre soliste et ensemble et l’articulation entre acoustique et électronique.
Entre ces deux œuvres avec électronique en temps réel, deux pièces exclusivement acoustiques. En premier lieu, le séduisant Les lueurs se sont multipliées composé en 2015 par le Basque Espagnol Mikel Urquiza (né en 1988). Créée le 28 juin 2015 par l’ensemble L’Instant Donné à La Charité-sur-Loire dans le cadre du festival Format Raisins, cette œuvre pour septuor - flûte (aussi flûte basse), clarinette (aussi clarinette basse), piano, percussion, violon, alto, violoncelle - puise son titre dans la première phrase du roman L’emploi du temps de Michel Butor (1926-2016) publié en 1956, tandis que l’œuvre elle-même s’inspire d’un autre roman de Butor, La Modification (1957) dans lequel un jeune Parisien marié, Jacques Revel, voit ses rêves de vie avec sa maîtresse se diluer dans le cours du voyage en train qui le mène de Paris à Rome, où précisément le compositeur se rendait pour un séjour à la Villa Médicis, tous ces éléments mis ensemble inspirant à son auteur des pages sombres traversées de fulgurances rutilantes et de chatoyantes sonorités.
Seconde partition acoustique de ce concert, cette fois pour vingt et un instruments - deux flûte (première aussi piccolo, seconde aussi flûte alto), hautbois (aussi cor anglais), deux clarinettes (seconde aussi clarinette basse), saxophone, basson, cor, trompette, trombone, accordéon, deux percussionnistes, piano, deux violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse -, l’austère et complexe Speicher I (Stockage I) premier volet composé en 2009-2010 d’un cycle de six pièces pour ensembles conçues entre 2009 et 2013 par le compositeur allemand Enno Poppe (né en 1969) et créé le 10 avril 2010 à Witten par Klangforum Wien dirigé par Beat Furrer, est d’une grande difficulté d’exécution, ce que les musiciens de l’ensemble à trois composantes constitué pour l’Académie a résolu avec brio, dynamisme et précision.
Bruno Serrou
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