Paris. Opéra national de Paris. Palais Garnier. Dimanche 7 mai 2023
Très belle production de Robert Carsen d‘Ariodante de George Friedrich Haendel
à l’Opéra national de Paris- Garnier, avec de beaux costumes écossais et des
clins d’œil à l’actualité de la cour des Windsor, avec paparazzi et finale au
milieu de touristes admirant les mannequins de cire des enfants du roi Charles
III.
Douze ans presque jour pour jour
après l’entrée de l’ouvrage à son répertoire avec Anne Sofie von Otter et
Patricia Petibon, les Musiciens du Louvre et Marc Minkowski dans un mise en
scène de Jorge Lavelli, l’Opéra de Paris retrouve Ariodante dans une mise en scène de Robert Carsen. Le Canadien excelle
dans l’opéra baroque, particulièrement dans Haendel, dont on se souvient
particulièrement de la remarquable production d’Alcina en 1999, avec il est vrai une distribution digne du Chevalier à la rose de Richard Strauss,
reprise en 2004 et 2021. Cette fois, il s’agit du trente-cinquième des
quarante-six opéras de Haendel qui précède de trois mois Alcina, et qui suit le pastiche Oreste
le 18 décembre 1734. A eux trois, ils constituent la première moitié des six
ouvrages lyriques du compositeur saxon pour le Royal Opera Covent Garden de
Londres où Ariodante a été créé le 8
janvier 1735.
Il s’agit d’un dramma per musica en trois actes sur un livret anonyme adapté de Ginevra, principessa di Scozia écrit par
Antonio Salvi (1664-1724) pour Giacomo Perti en 1708 et réutilisé par Antonio
Vivaldi en 1736. Ce texte puise dans les cinquième et sixième chants de l’Orlando furioso (1505-1532) de l’Arioste
(1474-1533). Dans cet épisode, le chevalier Renaud, qui passe par l’Ecosse, est
témoin de l’histoire de la noble figure du prince Ariodante et de Ginevra,
fille du roi d’Ecosse, qui sont sur le point de se marier.
Comme c’est souvent le cas dans la vie, la fiction dépasse la réalité. Ainsi en est-il de cet Ariodante, qui se déroule dans l’enceinte d’un château écossais garni de tapisseries vertes et de trophées de chasse où vit une cour qui préfigure la famille régnante britannique des Windsor dont toutes les télévisions ont abreuvé leurs publics d’images du couronnement du successeur de la reine Elizabeth II, le roi Charles III, d’où ont émergé d’innombrables costumes écossais, le metteur en scène tirant malicieusement la morale de l’intrigue dans le château devenu musée empli de figurines de cire représentant le nouveau couple royal, leurs enfants, belles-filles et petits-enfants parcouru par des touristes du monde entier, mais plus spécifiquement asiatique. Dans le cours des trois actes, au sein d’une scénographie raffinée de Robert Carsen et Luis F. Carvalho - qui signe les élégants costumes -, sept personnages fort bien dessinés par le metteur en scène, un vieux roi sans nom fatigué de régner et de sa progéniture, deux frères, Ariodante et Lurcanio, épris de deux femmes aux caractères antinomiques, Ginevra et Dalinda, cette dernière secrètement amoureuse du fourbe duc d’Albany Polinesso, éconduit par Ginevra, intrigues qui rameutent une horde de paparazzi avides de scoops, ragots, rumeurs et scandales en tous genres... Les manigances de Polinesso augmentées des accusations de Lurcanio à l’encontre de Ginevra, ruinent les espoirs des promis et la réputation de l’innocente princesse qui finit par être emportée par la folie d’autant plus fatalement qu’elle apprend bientôt la nouvelle du suicide de son promis.
L’adaptation de Robert Carsen, qui amalgame légende de l’Arioste et actualité de la couronne d’Angleterre, fonctionne à merveille. D’autant plus que les ballets réglés par Nicolas Paul sont bien venus participant à l’intrigue, une fois n’est pas coutume. Associant en outre folklore et danse de cour, ils participent d’onirique façon à la magie de ce spectacle, au premier acte dans le cours de la fête organisée pour l’annonce du mariage du couple princier, et surtout dans le deuxième acte la danse des ombres tandis que Ginevra cauchemarde dans son lit.
Animée par une direction d’acteur réglée au cordeau, la distribution particulièrement équilibrée. En tête d’affiche de cet opéra où une femme tient un emploi d’homme (un castrat lors de la création) et un homme chante avec une voix aiguë, Emily D’Angelo campe un avenant Ariodante de sa voix au velours de mezzo-soprano, Olga Kulchynska, voix au timbre charnel, est une Ginevra touchante et déterminée, le contre-ténor Christophe Dumaux est un Polinesso tortueux à la voix à la puissance et aux colorations typiquement haendéliennes, Tamara Banjesevic incarne de sa voix onctueuse une touchante Dalinda. Matthew Brook (le Roi), Eric Ferring (Lurcanio) et Enrico Casari, qui font leurs débuts à l’Opéra de Paris, participent amplement à la réussite de cette production, à l’instar de l’ensemble d’instruments anciens The English Concert fondé en 1972 par le claveciniste Trevor Pinnock, qui, pour sa première prestation dans la fosse de Garnier, sonne juste, clair et précis sous la direction un rien trop plane et près du texte de Jarry Bicket, son directeur musical depuis 2007.
Bruno Serrou
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