Pour son sixième album deux ans après le précédent, Soul of
Yiddish, la chanteuse comédienne
Noëmi Waysfeld livre un disque enchanteur, Le temps de rêver. Cette fois avec la complicité de musiciens
classiques, David Kadouch au piano, les quatre archets du Quatuor Dutilleux et
celui du contrebassiste Antoine Rozenbaum.
Entendus en répétition en juillet
2021 durant le Festival Pablo Casals de Prades qui patronne ce disque, Noëmi Waysfeld et le
Quatuor Dutilleux m’avaient enthousiasmé et bouleversé dans ce même programme
associant habilement mélodies françaises de Gabriel Fauré (1845-1924), Henri
Duparc (1848-1933), Ernest Chausson (1855-1899), Francis Poulenc (1899-1963), Henri
Sauguet (1901-1989), Joseph Kosma (1905-1969), et chansons de Charles Trenet
(1913-2001), Léo Ferré (1916-1993) et Serge Gainsbourg (1928-1991), le tout
arrangé avec tact par l’altiste du quatuor, David Gaillard. Cette fois, intégrés
à ce recueil de quatorze mélodies réunies sous le titre Le Temps de rêver inspiré des premiers mots d’un vers de Louis
Aragon, les mêmes impressions d’accomplissement et d’émotion émanent du CD que ces mêmes artistes viennent de publier, CD au minutage hélas fort court -
comme en sont prévenus dès l’abord les admirateurs d’Aragon qui savent comment se termine
le vers du titre de l’album : « … est bien
court ». Les arrangements de Thomas Duran et de David Gaillard,
respectivement violoncelliste et altiste du Quatuor Dutilleux, sont une
totale réussite, autant pour les compositeurs du répertoire classique que pour
ceux des chansons sélectionnées avec soin.
Par le biais de ces mélodies à la frontière de deux mondes, Noëmi Waysfeld, de sa voix mobile, colorée, sensible et tendre au timbre souple et malléable, explore un univers poétique de grande beauté et des plus variés et inspirés, de Charles Baudelaire (1821-1867) à Louis Aragon (1897-1982), en passant par Sully Prudhomme (1839-1907), Paul Verlaine (1844-1896), Paul Eluard (1895-1952) et Jacques Prévert (1900-1977), qui ont avivé l’imaginaire de quantité de compositeurs et de chanteurs populaires. Avec la complicité de ses arrangeurs issus du Quatuor Dutilleux, l’enchaînement alternant musique classique et musique populaire s'avère d’une cohérence enchanteresse, la sélection des pages tirées de la seconde catégorie considérées dès leur création comme des classiques de la chanson étant bien venue, y compris celle de Serge Gainsbourg, qui se considérait comme un humble amateur en regard des Mozart, Beethoven et surtout Chopin, qu’il admirait et à qui il emprunta des thèmes pour ses chansons. Sont aussi proposées deux mélodies avec un David Kadouch d’une musicalité enjôleuse, d’une part de Francis Poulenc sur des vers de Paul Eluard, Ce doux petit visage, d’autre part Les bijoux de Léo Ferré sur un poème de Louis Aragon arrangé par Alberto Martin Diaz.
Un disque touchant et original
interprété par des musiciens de tout premier plan qui dialoguent avec la voix
poignante au nuancier moiré de Noëmi Waysfeld dont il émane une troublante
émotion qui (ré)concilie deux modes d’expression musicale,
« savant » et « populaire », a priori antinomiques mais
tout compte fait complémentaires et puisant souvent aux mêmes sources
d’inspiration.
Bruno Serrou
1 CD Sony Classical 19658796862. Durée : 44mn 47s. Enregistrement : 2022. DDD
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