Paris. Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Vendredi 31 mars 2023
Une soirée sortant de l’ordinaire,
ce vendredi Théâtre de l’Athénée, la plus théâtrale que sacrée Petite Messe solennelle que Gioachino
Rossini a composée voilà cent soixante ans, cette fois dans une version mise en
scène et avec un piano au lieu de deux et un accordéon se substituant à l’harmonium.
C’est dans sa maison de Passy que le « Cygne de Pesaro » compose en 1863 sa Petite Messe solennelle à la demande du comte Alexis Pillet-Will pour sa femme Louise. Agé de 71 ans, Rossini a cessé officiellement de composer depuis trente-quatre ans… L’œuvre est créée le 14 mars 1864 en la chapelle privée de l’hôtel particulier du commanditaire, rue Moncey dans le neuvième arrondissement de Paris, en présence notamment des compositeurs DFE Auber, Giacomo Meyerbeer et Ambroise Thomas.
Comme en convient le compositeur
dans sa dédicace où il reconnaît être « né pour l’opera buffa » dont il reste des traces incontestables dans
cette messe, il était tentant de prendre Rossini au pied de la lettre et tirer de
sa messe un spectacle plus ou moins ludique. « Petite messe solennelle, à quatre parties, avec accompagnement de
deux pianos et harmonium, composée dans ma villégiature de Passy. Douze
chanteurs de trois sexes, hommes, femmes et castrats, seront suffisants pour
son exécution, savoir huit pour les chœurs, quatre pour les solos, total douze
chérubins. Bon Dieu, pardonne-moi, le rapprochement suivant : douze aussi
sont les apôtres dans le célèbre coup de mâchoire peint à fresque par Léonard
[de Vinci], dit la Cène, qui le
croirait. Il y a parmi tes disciples de ceux qui prennent des fausses notes !
Seigneur, rassure toi, j’affirme qu’il n’y aura pas de Judas à mon déjeuner et
que les miens chanteront juste et con
amore tes louanges et cette petite composition qui est, hélas !, le
dernier péché mortel de ma vieillesse. »
Dans sa version originale, cette messe en deux parties et quatorze numéros réunit quatre solistes (soprano, contralto, ténor, basse), un chœur mixte, deux pianos et un harmonium. Ce faible nombre d’exécutants contraste avec les effectifs habituellement utilisés pour une œuvre reposant sur un texte d’office liturgique, ce qui lui valut le qualificatif de petite. Mais en 1867, afin d’éviter qu’une main étrangère s’en charge, Rossini orchestre en 1867, version qui sera créée à titre posthume le 24 février 1869 au Théâtre Italien.
Jouant de l’ambiguïté offerte par la musique de Rossini, œuvre spirituelle dans l’acception comique de opéra bouffe plutôt que tenant de la spiritualité d’essence religieuse, alliant ainsi le comique et le sacré, la production de La co[opéra]tive, le Théâtre de Cornouailles de Quimper, le Bateau Feu de Dunkerque, Les 2 Scènes de Besançon, le Théâtre Impérial de Compiègne, l’Opéra de Rennes et Angers Nantes Opéra présentée par Théâtre de l’Athénée tient de Charlie Chaplin et de Jacques Tati, les protagonistes enchaînant les gags en se croisant, se heurtant, chutant. Le spectacle s’ouvre dans l’enceinte d’un lieu saint pour sportifs, un gymnase où apparaît un premier personnage qui prend des mesures sur le sol, tandis qu’un autre essaie d’attirer l’attention d’une jeune femme en tentant de lancer un ballon dans un panier de basket, interrompu par d’autres intervenants qui installent une brocante dans le gymnase. Si le gros de la troupe est formé de membres du Chœur de chambre Mélisme(s), se joignent à eux quatre chanteurs solistes et trois comédiens. L’accordéon donne un tour populaire avec ses sonorités de musique de rue, qui amène fort loin du salon bourgeois où l’œuvre a été créée.
Chef dynamique (Gildas Pungier, gouailleur et bonhomme), solistes excellents (les sopranos Estelle Béréau et Violaine Le Chenadec, l’impressionnante contralto Blandine de Sansal, le ténor Sahy Ratia, la basse Ronan Airault) et chœur aux fortes personnalités, tous transformés en authentiques comédiens par les deux metteurs en scène, Emily Wilson et Jos Huben, donnent tous son charme et son allant à cette Petite messe solennelle hors normes. Beaucoup d’humour en effet, un rien moqueur mais jamais excessif ni irrespectueux, d’où émergent de magnifiques tableaux (Qui tollis, Sanctus, Agnus Dei), un Crucifixus aux attributs de tango, et un Cum Sanctu Spirito fort enjoué… Colette Diard (piano) et Elodie Soulard (accordéon) servent solidement la partition en sollicitant avec bonheur couleurs, caractères, élans, virtuosité.
Bruno Serrou
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