jeudi 6 octobre 2022

CD : Warner Classics réunit la totalité de ses enregistrements de Frank-Peter Zimmermann, le plus grand violoniste allemand contemporain


Le classicisme épuré de Frank Peter Zimmermann éblouit par la sobriété et l’autorité de son jeu, la pureté de sa sonorité. En trente CD, Warner Classics présente dix-huit années d’un parcours à travers soixante-seize œuvres de vingt-sept compositeurs, de Jean-Sébastien Bach à György Ligeti, soit près de trois siècles de création musicale.  

Le coffret rétrospectif de trente CD que consacre Warner à Frank-Peter Zimmermann présente une synthèse de l’art extraordinaire de l’un des plus grands violonistes de notre temps, entre 1984, avec les Concertos pour violon n° 3 et n° 5 de Mozart qu’il reprendra plusieurs fois, et 2001, avec le Concerto pour violon de Ligeti. Agé de 57 ans, ce merveilleux artiste allemand n’est pas exclusif Warner Classics, loin s’en faut puisque sa discographie, qui compte quantité d’enregistrements tout aussi capitaux et captivants que ceux réunis dans ce coffret, se répartit entre plusieurs labels, Bis Records notamment pour les intégrales des Sonates pour violon et piano de Beethoven avec le pianiste Martin Helmchem et des Sonates et Partitas pour violon seul de Bach, cette dernière ayant été entreprise durant le lock down imposé par la pandémie de la Covid19.

Fondée sur une technique si parfaite qu’elle confine parfois au funambulisme, la virtuosité souple et naturelle, et la musicalité rayonnante de Zimmermann suscitent un chant incommensurable, tandis que son jeu et sa sonorité sont immédiatement identifiables grâce à un archet d’une délicatesse prodigieuse au service d’une grande liberté tant intellectuelle que spirituelle qui lui permet une grande simplicité, et de remettre constamment sur le métier les œuvres qu’il interprète dont ii renouvelle toujours la teneur. Finesse de timbre, légèreté de l’archet, sobriété du jeu, pureté d’exécution mettent en valeur les propriétés des œuvre qu’il joue, les élans lyriques et passionnés des compositeurs. Jouant depuis 2001 un Stradivarius de 1711, le Lady Inchiquin, qui a appartenu à Fritz Kreisler, il dit entretenir avec l’instrument une véritable histoire d’amour depuis 2001 malgré un intervalle de deux ans (2016-2018) dû à la faillite de son mécène.

Dans le coffret qu’il lui consacre, Warner Classics publie les disques dans leur ordre chronologique tels qu’ils étaient à l’origine, non seulement les pochettes mais aussi les couplages. Si bien que plusieurs œuvres d’orchestre pur y figurent sans qu’y intervienne le violoniste - ainsi en est-il des CD Ligeti, Weill, Saint-Saëns, Schumann, et d’un Mozart (Symphonie n° 40) -, Zimmermann pouvant également jouer en compagnie d’autres solistes. A noter parmi tant de gravures exceptionneles, le superbe CD consacré en 1991 à des Sonates de musique française de Georges Auric, Jean Françaix, Erik Satie, Darius Milhaud et Francis Poulenc, ainsi que celui réunissant en 1990 les Sonates de Debussy et Ravel à celle du Tchèque Janacek, deux disques avec le pianiste Alexander Lonquich, également son partenaire dans les intégrales des Sonates pour violon et piano de Mozart et de Prokofiev, tandis que ses Concertos de Bach sont d’une grande probité, et ses Sonates d’Eugène Ysaÿe, malgré leurs difficultés extrême,  atteignent couleurs inédites. A noter que les concertos sont tous dirigés par des chefs d’orchestre parmi les plus éminents, Gerd Albrecht, Gary Bertini, Gianluigi Gelmetti, Mariss Jansons, Lorin Maazel, Jukka-Pekka Saraste, Wolfgang Sawallisch, Jeffrey Tate, Franz Welser-Möst… Sa première version du Concerto pour violon de Beethoven est déjà d’une grande maturité, solide et profonde, et ses sonorités sont brillantes, flatteuses, surnaturelles. Dirigés par Gianluigi Gelmetti, ses Concertos de Berg et de Stravinsky associés au Tzigane de Ravel captés en 1991 sont magnifiques, Zimmermann étant assurément l’un de leurs interprètes les plus inspirés. Dans Beethoven, le Concerto et deux Romances avec Jeffrey Tate, le jeu de Zimmermann est à la fois épuré et précis, combinant lyrisme et intensité, exactement dans le caractère beethovénien, le soliste dialoguant avec l’excellent English Chamber Orchestra dirigé par un Jeffrey Tate particulièrement clair, fluide, suprêmement équilibré, transparent comme le doit une formation de chambriste. Il faut y ajouter le Triple Concerto traité en 1985 comme une véritable musique de chambre par le trio de solistes dont aucun ne tire la couverture à lui, avec aux côtés de Zimmermann le violoncelliste Robert Cohen et le pianiste Wolfgang Manz qui concertent avec l’English Chamber Orchestra dirigé cette fois par Jukka-Pekka Saraste. Dans les deux Concertos de Brahms le violon intervient, celui pour violon et le « double » avec violoncelle, enregistrés live, Zimmermann instaure dans le second avec Heinrich Schiff un dialogue sensible et épanoui, dans la plus pure tradition romantique. Malgré la direction plus ou moins pesante de Wolfgang Sawallisch, le Concerto pour violon sous l’archet de Zimmermann est un moment d’anthologie. A l’instar des Concertos de Schumann dont il tire la substantifique moelle sous la direction de Hans Vonk, de Dvorak avec l’Orchestre Philharmonique de Londres et Franz Welser-Möst, celui de Sibelius remarquablement dirigé par Mariss Jansons à la tête du Philharmonia Orchestra.

Photo : DR

La musique de chambre que Frank-Peter Zimmermann se plaît à jouer avec ses amis, choisissant soigneusement ses partenaires en raison de l’intimité nécessaire à l’interprétation de ce répertoire, n’est pas absente dans ce coffret. Prokofiev, avec intégrale de l’œuvre pour violon où il va jusqu’à enregistrer les deux parties de la Sonate pour deux violons, une lecture captivante de la Sonate de Janacek, les deux Quatuors avec piano de Mozart, et le Trio avec cor de Brahms. Dans Paganini, sa technique est si stupéfiante de naturel qu’elle se fait oublier au profit de la seule musicalité que Zimmermann tire de ces pages de haute voltige. Lorsqu’il enregistra ces Caprices en 1985, Zimmermann avait vingt ans, il disait alors vouloir jouer ces pièces comme des mélodies de Mozart, dont il avait gravé pour EMI quelques mois plus tôt, en 1984 précisément, deux des cinq Concertos pour violon dans lesquels il révèlait déjà une affinité singulière avec le classicisme qu’il joue depuis lors avec une élégance suprême dans un style intemporel. Ces pages, qu’elles soient de Paganini ou de Mozart, sont à la fois juvéniles et spectaculaires, et imposent déjà son jeu d’une sûreté absolue. Mais ce sont précisément ses Mozart qui constituent le fer de lance de sa discographie, avec les splendides intégrales des quinze Sonates pour Violon et piano ainsi que des cinq Concertos, dont deux versions des Troisième et Quatrième d’entre eux, le tout constituant des versions de référence incontestables et incontestées de la discographie mozartienne. 

Frank Peter Zimmermann excelle également dans le répertoire du XXe siècle, comme l’attestent ses gravures des Concertos de Berg, Weill - son ultime enregistrement EMI -, et Ligeti, pour Teldec en 2001 dans le Concerto pour violon que son maître Saschko Gawrilow avait créé en 1990, mais aussi ses Janacek, Ravel, outre bien sûr Prokofiev déjà évoqués.

Bruno Serrou

30 CD Warner Classics 0190296 317880. Durée : 29h 49mn. Enregistrements : 1984-2001. 


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