Le classicisme épuré de Frank Peter Zimmermann éblouit par la sobriété
et l’autorité de son jeu, la pureté de sa sonorité. En trente CD, Warner
Classics présente dix-huit années d’un parcours à travers soixante-seize œuvres
de vingt-sept compositeurs, de Jean-Sébastien Bach à György Ligeti, soit près
de trois siècles de création musicale.
Le coffret rétrospectif de trente
CD que consacre Warner à Frank-Peter Zimmermann présente une synthèse de l’art
extraordinaire de l’un des plus grands violonistes de notre temps, entre 1984,
avec les Concertos pour violon
n° 3 et n° 5 de Mozart qu’il
reprendra plusieurs fois, et 2001, avec le Concerto
pour violon de Ligeti. Agé de 57 ans, ce merveilleux artiste allemand
n’est pas exclusif Warner Classics, loin s’en faut puisque sa discographie, qui
compte quantité d’enregistrements tout aussi capitaux et captivants que ceux
réunis dans ce coffret, se répartit entre plusieurs labels, Bis Records notamment
pour les intégrales des Sonates pour violon
et piano de Beethoven avec le pianiste Martin Helmchem et des Sonates et Partitas pour violon
seul de Bach, cette dernière ayant été entreprise durant le lock down
imposé par la pandémie de la Covid19.
Fondée sur une technique si parfaite qu’elle confine parfois au funambulisme, la virtuosité souple et naturelle, et la musicalité rayonnante de Zimmermann suscitent un chant incommensurable, tandis que son jeu et sa sonorité sont immédiatement identifiables grâce à un archet d’une délicatesse prodigieuse au service d’une grande liberté tant intellectuelle que spirituelle qui lui permet une grande simplicité, et de remettre constamment sur le métier les œuvres qu’il interprète dont ii renouvelle toujours la teneur. Finesse de timbre, légèreté de l’archet, sobriété du jeu, pureté d’exécution mettent en valeur les propriétés des œuvre qu’il joue, les élans lyriques et passionnés des compositeurs. Jouant depuis 2001 un Stradivarius de 1711, le Lady Inchiquin, qui a appartenu à Fritz Kreisler, il dit entretenir avec l’instrument une véritable histoire d’amour depuis 2001 malgré un intervalle de deux ans (2016-2018) dû à la faillite de son mécène.
Dans le coffret qu’il lui
consacre, Warner Classics publie les disques dans leur ordre chronologique tels
qu’ils étaient à l’origine, non seulement les pochettes mais aussi les
couplages. Si bien que plusieurs œuvres d’orchestre pur y figurent sans qu’y
intervienne le violoniste - ainsi en est-il des CD Ligeti, Weill, Saint-Saëns, Schumann,
et d’un Mozart (Symphonie n° 40) -, Zimmermann
pouvant également jouer en compagnie d’autres solistes. A noter parmi tant de
gravures exceptionneles, le superbe CD consacré en 1991 à des Sonates de musique française de Georges Auric,
Jean Françaix, Erik Satie, Darius Milhaud et Francis Poulenc, ainsi que celui
réunissant en 1990 les Sonates de Debussy
et Ravel à celle du Tchèque Janacek, deux disques avec le pianiste Alexander
Lonquich, également son partenaire dans les intégrales des Sonates pour violon et piano de Mozart et de Prokofiev, tandis que ses Concertos de Bach sont d’une grande probité, et ses Sonates d’Eugène
Ysaÿe, malgré leurs difficultés extrême, atteignent couleurs inédites. A noter que les concertos
sont tous dirigés par des chefs d’orchestre parmi les plus éminents, Gerd
Albrecht, Gary Bertini, Gianluigi Gelmetti, Mariss Jansons, Lorin Maazel,
Jukka-Pekka Saraste, Wolfgang Sawallisch, Jeffrey Tate, Franz Welser-Möst… Sa première
version du Concerto pour violon de Beethoven
est déjà d’une grande maturité, solide et profonde, et ses sonorités sont
brillantes, flatteuses, surnaturelles. Dirigés par Gianluigi Gelmetti, ses Concertos de Berg et de Stravinsky
associés au Tzigane de Ravel captés
en 1991 sont magnifiques, Zimmermann étant assurément l’un de leurs interprètes
les plus inspirés. Dans Beethoven, le Concerto
et deux Romances avec Jeffrey Tate, le
jeu de Zimmermann est à la fois épuré et précis, combinant lyrisme et intensité, exactement dans le caractère beethovénien, le soliste dialoguant avec
l’excellent English Chamber Orchestra dirigé par un Jeffrey Tate particulièrement
clair, fluide, suprêmement équilibré, transparent comme le doit une formation
de chambriste. Il faut y ajouter le Triple Concerto traité en 1985 comme une véritable musique de chambre par le trio de solistes dont aucun ne tire la
couverture à lui, avec aux côtés de Zimmermann le violoncelliste Robert Cohen
et le pianiste Wolfgang Manz qui concertent avec l’English Chamber Orchestra dirigé cette fois par Jukka-Pekka Saraste. Dans les deux Concertos de Brahms où
le violon intervient, celui pour violon et le « double » avec
violoncelle, enregistrés live, Zimmermann instaure dans le second avec Heinrich
Schiff un dialogue sensible et épanoui, dans la plus pure
tradition romantique. Malgré la direction plus ou moins pesante de Wolfgang Sawallisch, le Concerto pour violon sous l’archet de
Zimmermann est un moment d’anthologie. A l’instar des Concertos de Schumann dont il tire la substantifique moelle sous la
direction de Hans Vonk, de Dvorak avec l’Orchestre Philharmonique de Londres et
Franz Welser-Möst, celui de Sibelius remarquablement dirigé par Mariss Jansons à la tête
du Philharmonia Orchestra.
La musique de chambre que Frank-Peter Zimmermann se
plaît à jouer avec ses amis, choisissant soigneusement ses partenaires en
raison de l’intimité nécessaire à l’interprétation de ce répertoire, n’est pas
absente dans ce coffret. Prokofiev, avec intégrale de l’œuvre pour violon où il va jusqu’à enregistrer
les deux parties de la Sonate pour deux violons, une lecture captivante de la Sonate de Janacek, les deux Quatuors
avec piano de Mozart, et le Trio
avec cor de Brahms. Dans Paganini, sa technique est si stupéfiante de naturel qu’elle se fait oublier au profit de la seule musicalité que Zimmermann tire
de ces pages de haute voltige. Lorsqu’il enregistra ces Caprices en 1985, Zimmermann avait vingt ans, il disait alors vouloir
jouer ces pièces comme des mélodies de Mozart, dont il avait gravé pour EMI
quelques mois plus tôt, en 1984 précisément, deux des cinq Concertos pour violon dans lesquels il révèlait déjà une affinité
singulière avec le classicisme qu’il joue depuis lors avec une élégance suprême dans un style
intemporel. Ces pages, qu’elles soient de Paganini ou de Mozart, sont à la fois
juvéniles et spectaculaires, et imposent déjà son jeu d’une sûreté absolue.
Mais ce sont précisément ses Mozart qui constituent le fer de lance de sa discographie, avec les splendides
intégrales des quinze Sonates pour Violon
et piano ainsi que des cinq Concertos,
dont deux versions des Troisième et Quatrième d’entre eux, le tout
constituant des versions de référence incontestables et incontestées de la discographie mozartienne.
Frank Peter Zimmermann excelle également dans le répertoire du XXe siècle, comme l’attestent ses gravures des Concertos de Berg, Weill - son ultime enregistrement EMI -, et Ligeti, pour Teldec en 2001 dans le Concerto pour violon que son maître Saschko Gawrilow avait créé en 1990, mais aussi ses Janacek, Ravel, outre bien sûr Prokofiev déjà évoqués.
Bruno Serrou
30 CD Warner Classics 0190296 317880. Durée : 29h 49mn. Enregistrements :
1984-2001.
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