Lyon. Opéra national de Lyon. Vendredi 18 et samedi 19 mars 2022
Les secrets
de famille sont généralement lourds de conséquences. C’est ce que confirme le
festival de l’Opéra de Lyon qui se tient jusqu’en avril
Deux nouvelles productions qui attendaient depuis deux
saisons d’être présentées mais reportées pour cause de pandémie. L’une qui fait
partie des grands succès populaires de l’art lyrque, Rigoletto de Giuseppe Verdi qui se fonde sur un texte adapté de
l’un des plus grands poètes dramaturges de la littérature française, Victor
Hugo, l’autre qui restait inédit en France quatre vingt dix huit ans après sa
création en 1924 à l’Opéra de Cologne sous la direction d’Otto Klemperer, Irrelohe de Franz Schreker sur un texte
du compositeur. Deux œuvres aux destins que tout oppose donc, y compris à Lyon,
tant les réussites sont distinctes…
C’est un Rigoletto scéniquement foutraque et décevant qui a ouvert le festival. La mise en scène de l’Allemand Axel Ranisch prise de tête et fatras également auteur d’une vidéo pour le moins envahissante et abscons, car exprimant soit le contraire de ce que montre le plateau soit faisant redondance. L’action se passe entre bandes rivales de truands au milieu de HLM berlinoises des années 1960… Heureusement, le chef Italien Daniele Rustioni et l’orchestre dont il vient d’être nommé directeur musical sont remarquables.
La soprano arménienne Nina Minasyan est une Gilda bouleversante à la ligne de chant impeccable, le baryton slovaque Dalibor Jenis un Rigoletto intense au timbre corsé, la basse italienne Gianluca Buratto un Sparafucile sépulcral, la basse ukrainienne Roman Chabaranok un impressionnant Monterone, tandis que le ténor sicilien Enea Scala déçoit en duc de Mantoue.
Entre les deux soirées d’opéras, Théâtre des Célestins, une plage d’introspection autour de la musique de Jean-Sébastien Bach intitulé Trauernacht (Nuit funèbre) spectacle de haute spiritualité sur des extraits de cantates sacrées et de la Matthäus Passion pour quatre chanteurs, un comédien et onze instrumentistes en forme de Tafelmusik de katie Mitchell et Raphaël Pichon créé voilà six ans au Festival d’Aix-en-Provence. Pour cette reprise, l’action qui se déroule autour d’une table à l’issue d’un enterrement a été revue par Robin Tebbutt et l’ensemble est dirigé par Simon-Pierre Bestion. Grand moment de recueillement et de réflexion en cette funeste période, avec notamment l’excellent baryton Romain Bockler et l’orchestre d’élèves des classes de musique ancienne du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon.
Mais l’événement de ce festival est indubitablement la première française d’Irrelohe du compositeur autrichien né à Monaco Franz Schreker (1878-1934). La réussite est totale. Cette œuvre oubliée parce que classée « dégénérée » par les nazis son auteur étant juif, donc interdit à l’instar de Korngold et Zemlinsky, puis rejetée par l’avant-garde de l’après-guerre, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour l’entendre enfin grâce à un premier enregistrement. Comme il l’avait fait avec succès pour Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) après que Strasbourg eût monté Die ferne Klang (Le Son lointain), l’Opéra de Lyon a tout fait pour qu’Irrelohe connaisse à son tour la consécration. Et il y est magnifiquement parvenu.
A l’instar de Rigoletto, il s’agit d’un drame de la malédiction. Un comte obsédé sexuel au lourd atavisme propriétaire du château d’Irrelohe fait de nombreuses victimes, et l’un de ses enfants naturels qui est amoureux d’une jeune femme que séduit ce père maudit. Là aussi il s’agit de vengeance, et la musique y est omniprésente jusque sur la scène avec cinq musiciens incendiaires.
Irrelohe se fonde sur une musique tendue jusqu’à l’implosion, d’un érotisme exacerbé. L’orchestre foisonnant déborde de toutes parts tout en ménageant des plages extatiques. La mise en scène de David Bosch émane d’un authentique directeur d’acteurs, enrichie d’une remarquable vidéo en noir et blanc du décorateur Falco Hérold, tandis que dans la fosse l’expérimenté Bernhard Kontarsky, époustouflant d’énergie, galvanise un Orchestre de l’Opéra de Lyon de braise et des chœurs toujours excellents.
Dans cette partition écrite pour des voix d’essence wagnérienne, l’Eva de la soprano canadienne Ambur Braid est en tête d’une distribution de très grande classe qui compte rien moins que quatre autres rôles principaux brillamment tenus par le ténor suisse Tobias Hächler (le comte Heinrich), la basse polonaise Piotr Micinski (le Forestier), la mezzo-soprano allemande Lioba Braun (la vieille Lola) et son compatriote baryton Julian Orlishausen (Peter, fils de Lola et de Heinrich).
Bruno Serrou
Jusqu’au
7 avril. Rés. : 04.69.85.54.54. www.opera-lyon.com
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