Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Samedi 4 et dimanche 5 septembre 2021
Un concert de l’Orchestre Philharmonique de Berlin est toujours une fête en soi. Et deux concerts en deux jours c’est le paradis des mélomanes. Wilhelm Furtwängler, Herbert von Karajan, Claudio Abbado, Simon Rattle, ses directeurs successifs depuis les années 1930, se sont produits à Paris à la tête de cet orchestre-étalon, référence des phalanges symphoniques du monde, en divers lieux de la capitale française, Théâtre du Châtelet dans les années 1980, la Philharmonie aujourd’hui, après la Salle Pleyel… Or, chacune de ses prestations constitue un véritable événement.
A sa tête depuis août 2019, le chef autrichien d’origine russe quasi quinquagénaire Kirill Petrenko est l’un des chefs d’orchestre les plus doués de sa génération. C’est à l’Opéra de Lyon en janvier 2008 que je l’ai découvert pour ma part. Il était à la tête d’une production de La Dame de Pique de Tchaïkovski mise en scène par Peter Stein. Puis en ce même théâtre, ce fut en juin 2011 un Tristan und Isolde d’anthologie, malgré un effectif de cordes réduit, mis en scène par Alex Ollé de La Fura dels Baus… Au moment où celui qui l’a fait découvrir au public français, Serge Dorny, est devenu directeur de l’Opéra d’Etat de Munich, Kirill Petrenko qui en était le directeur musical, a quitté ses fonctions sitôt son élection au poste de directeur musical et artistique par les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, qui, à Paris, n’aura réuni que quinze femmes, essentiellement parmi les violons, à l’exception d’une corniste, d’une flûtiste et de la titulaire du célesta.
D’abord célébré comme chef de fosse, Kirill Petrenko s’est rapidement imposé sur l’estrade du chef symphonique. L’alliance de ce musicien austro-russe hors pair et de la phalange allemande n’a pas été longue à s’imposer au monde et à s’avérer fusionnelle. Rien en effet entre le son des Berlinois de l’ère Simon Rattle, qui a précédé Petrenko avant de prendre la direction de l’Orchestre Symphonique de Londres puis de l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise. Un son nouveau qui allie à la fois la luminosité de l’époque Claudio Abbado et l’assise grave du temps d’Herbert von Karajan.
Deux programmes en deux jours étaient proposés ce week-end par les Berlinois à la Philharmonie de Paris, représentatifs de l’art et de la personnalité de Kirill Petrenko, dont les affinités vont du XIXe siècle au début du XXe. Le premier d’essence germanique, le second aux contours slaves, avec des œuvres mêlant raretés et pages plus courues. Ainsi, samedi, l’Allemand Carl Maria von Weber et l’Autrichien Franz Schubert, deux compositeurs morts jeunes en 1826 et 1828, côtoyaient l’Hessois Paul Hindemith, mort en 1963. A une ouverture de l’opéra Oberon de Weber aux somptueux élans pastoraux ont fait écho les rares Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber que Hindemith a tirées de sa musique de ballet pour Messine brillantissimes de chatoyances de timbres et de virtuosité, tandis que le concert se concluait sur la Symphonie n° 9 en ut majeur D. 944 dite « La Grande » de Schubert, poétique et étincelante, avec un Scherzo à tirer les larmes.
Dimanche, Kirill Petrenko et les Berlinois ont consacré la première partie de leur second concert à deux œuvres russes parmi les moins courues de deux compositeurs célèbres, l’Ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Piotr Ilitch Tchaïkovski, brillantissime et au tragique exacerbé, et le trop délaissé Concerto pour piano et orchestre n° 1 en ré bémol majeur op. 10 de Serge Prokofiev, foisonnant et énergique sous les doigts vifs et aériens de la pianiste russe Anna Vinnitskaya, qui se produit régulièrement avec Kirill Petrenko. En seconde partie, une seule œuvre, le vaste poème symphonique en quatre parties Un conte d’été op. 29 de Josef Suk, compositeur violoniste tchèque gendre d’Antonin Dvorak et grand-père de l’immense violoniste Josef Suk dont Petrenko est, en dehors des chefs tchèques, l’un des champions les plus actifs. L’orchestration somptueuse de cette partition, ses longues phrases aux respirations larges et profondes, les contrastes extrêmes de dynamiques et le nuancier infini des intonations et des couleurs, la diversité de timbres et des impulsions des premiers pupitres de cordes particulièrement le violon solo Daishin Kashimoto et l’altiste Naoko Shimizu, bois (Emmanuel Pahud, Jonathan Kelly, Wenzel Fuchs, Daniele Damiano) et cuivres, dont on relève le traitement digne du gendre de Dvorak du cor anglais (Dominik Wollenweber), ont tout de la densité idoine pour l’expression des qualités phénoménales de l’Orchestre Philharmonique de Berlin.
Ainsi s’achevait une semaine particulièrement glorieuse pour la Philharmonie de Paris, avec deux orchestres d’exception venus de Franconie, l’Orchestre du Festival de Bayreuth, et de Prusse, l’Orchestre Philharmonique de Berlin, avec deux chefs Est-Européens quadragénaires, le Letton Andris Nelsons et l’Austro-Russe Kirill Petrenko.
Bruno Serrou
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