mardi 26 janvier 2021

Ludovic Tézier sur tous les fronts

 
Ludovic Tézier. Photo : (c) Sony Classical

Il est des musiciens heureux, ce qui est plutôt rare aujourd’hui. Ludovic Tézier est de ceux-là. Il est en effet en pleine représentations d’une nouvelle production de Thaïs de Jules Massenet à l’Opéra de Monte-Carlo, tandis que paraît son premier CD monographique Verdi

« Je suis clairement privilégié. J’ai beaucoup de chance d’être à Monaco. J’ai du travail et j’ai la bonne fortune de pouvoir me produire en public. Monaco constitue en effet en Europe, avec l’Opéra de Vienne et les Opéras espagnols, l’une des rares exceptions dans un monde confiné où le spectacle vivant est au point mort. » Son renom international permet à Ludovic Tézier d’être des castings les plus huppés de la planète lyrique. Il est en effet de ceux que les grands théâtres d’Opéra s’arrachent, et le peu qui fonctionnent actuellement font appel à lui pour les grands rôles de baryton du répertoire, ce qui fait de lui l’un des rares à pouvoir chanter devant un public malgré la pandémie.

« En ce moment les musiciens se confrontent à quelque chose de très violent, s’alarme Tézier. La vie est n’est plus qu’une suite de grands malheurs dans le monde entier, mais, réduits au silence, les artistes souffrent particulièrement. Ils survivent, certes, mais leur sensibilité exacerbée, le fait qu’ils sont habitués à travailler des heures durant sur des œuvres de cinq heures font qu’ils paient cher cette crise implacable. Nous qui ne pouvons pas nous passer de notre art qui nous est consanguin, et nous n’avons jamais ressenti aussi fort la notion de famille qui nous est dans ce contexte approprié. » Durant le premier confinement, rappelle le baryton, les artistes avaient très rapidement trouvé le moyen de rester actifs tout en gardant le contact avec le public en maintenant les liens par des rendez-vous réguliers sur Internet, et grâce à la télévision et à la radio, qui ont constitué de véritables relais. « J’ai été diffusé en long et en large par le biais de retransmissions multiples sur des sites web. Mais du point de vue revenus, cela ne rapporte guère aux artistes. Le plus terrible, c’est d’entendre de la bouche d’un ministre britannique qui, diplômé de Cambridge, ou de lire d’une ex-plume du président Macron sorti de l’ENA dont l’avenir est assuré, n’ont aucun souci à se faire quant à leur avenir que les artistes devraient changer de métier ou se produire gratuitement dans la rue, et de voir qu’un premier violon de l’Orchestre du Metropolitan Opera de New York soit obligé de s’exiler en Allemagne pour continuer à vivre de son métier. Le but des politiques serait-il de vouer le secteur de la culture à la déshérence ? »

Photo : (c) Sony Classical

Pour Ludovic Tézier, la Covid frappe dramatiquement une génération de jeunes musiciens épatante. « Ces jeunes ont la combativité, l’allant, le talent, ils excellent sur la scène, s’enthousiasme-t-il. Pourtant, ils prennent dans la figure un véritable tsunami. Le débat scientifique peut perdurer, mais à long terme ce parapluie est une catastrophe. Mais la vie a aussi sa part de risques, et il est bon qu’un pays comme l’Espagne ouvre ses théâtres. Certes, personne ne veut mourir de la Covid, mais de là à mourir d’ennui, et si cela continue, nous allons finir par nous planter ! »

La nouvelle production de Thaïs de Jules Massenet de l’Opéra de Monte-Carlo à laquelle Ludovic Tézier participe actuellement (1), après un mois de répétitions, est une « victoire du beau sur le drame, une flamme en nos pénombres vertigineuses, pour mes collègues et amis injustement meurtris par le sort et le public que la musique apaise dans son incommensurable malheur ». En avril, Tézier devrait incarner son premier Amfortas de Parsifal. « Une première que m’offre l’Opéra de Vienne (2) dans un rôle que je devais aborder l’été dernier à Bayreuth et dont je rêve depuis mon adolescence, quand mon père m’offrit sur mon insistance à l’Opéra de Marseille ma première expérience lyrique, avec un Parsifal qui allait décider de ma vocation. »

Eminent interprète de Giuseppe Verdi, Ludovic Tézier publie ce mois-ci chez Sony Classical une remarquable anthologie (3) des grands rôles de baryton du compositeur italien, de Nabucco à Falstaff en passant par Ernani, Macbeth, Rigoletto, Le Trouvère, La Traviata, Un bal masqué, La force du destin, Don Carlos/Don Carlo et Otello. « J’ai tenu à enregistrer ces pages dans les conditions du live, retenant la meilleure de quatre prises, au risque parfois de sons parasites. » Tézier propose dans ce disque un voyage au cœur de l’univers verdien, sans chronologie mais en alternant tensions et détentes, construisant une véritable dramaturgie audio, jouant avec la complicité de Frédéric Chaslin et de l’Orchestre de l’Opéra de Bologne des silences les plus habités, des couleurs vocales et orchestrales, « du gris de certains accords à l’aigu le plus éclatant ». Un CD qui constitue un véritable joyau du plus grand baryton français contemporain.

Bruno Serrou

1) Du 22 au 28/01. www.opera.mc/fr. 2) Du 1er au 11/04. www.wiener-staatsoper.at. 3) 1CD « Ludovic Tézier Verdi » Sony Classical

 

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