Paris. Philharmonie. Les Musiques de Picasso. Lundi 22 septembre 2020
Photo : (c) Bruno Serrou
Dans la ligne de ses grandes
expositions thématiques autour de la musique, plus particulièrement de celles consacrées à Paul Klee (Paul Klee :
Polyphonies) en 2011 et à Marc Chagall (Marc
Chagall, le triomphe de la musique)
en 2015, la Philharmonie de Paris consacre jusqu’au 3 janvier prochain une
exposition sur Pablo Picasso et à ses relations à la musique, ou plutôt « ses
musiques », tandis que le grand peintre andalou, à l’instar de Victor
Hugo, disait à qui voulait l’entendre ne pas aimer la musique : « Au
fond quand on parle d’art abstrait, on dit toujours que c’est de la musique,
remarquait Picasso à Hélène Parmelin. Quand on veut en dire du bien on parle
musique. Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas la musique. »
Arlequin à la guitare, Paris, 1918. Photo : (c) Bruno Serrou
Une
déclaration de Picasso qui peut surprendre quand on sait ses relations avec les
compositeurs et les chorégraphes, les musiques traditionnelles, populaires et
savantes, ses tableaux et sculptures où figurent musiciens, danseurs,
instruments de musique qu’il se plaisait à collectionner (violons, luths,
mandolines, banjo, cithares, guitares, balalaïka, clarinette, flûte de pan, diaules,
tambours, tambourins, xylophone bala
et tenora, épinette des Vosges,
harpe, orgues de barbarie, clairons, etc.), violonistes croqués dans les rues
de Barcelone, joueurs de flûte peints à Mougins, orchestres, saltimbanques, musiciens
de cirques, fanfares, corridas, guitaristes et guitares cubistes, aubades, danseurs,
ballets, ses amitiés avec les compositeurs comme Stravinski, Satie, Falla, Poulenc,
Auric, Honegger, ses rencontres avec Rostropovitch, Manitas de Plata et sa
troupe de gitans, pour le flamenco, les coplas andalous.
Joueur de diaule assis (1956), Joueur de flûte debout (1956), Joueur de diaule (1954-1956). Photo : (c) Bruno Serrou
L’importance accordée par Picasso
à la musique en tant que sujet d’inspiration place l’artiste espagnol dans la
tradition de l’art pictural remontant à l’antiquité, se prolongeant au Moyen
Âge et à la Renaissance, pour s’épanouir au XIXe siècle et jusqu’à
nos jours, avec compositions et natures mortes, et se plaçant dans l’esprit
de Renoir, Degas et Toulouse-Lautrec dans ses scènes de danse et de cabaret.
Homme à la mandoline, Paris, automne 1911. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est Jean Cocteau rencontré par
l’intermédiaire d’Edgar Varèse avant le départ de ce dernier pour les
Etats-Unis, qui lui propose de collaborer au ballet Parade composé par Erik Satie, et qu’il fait la connaissance des
compositeurs du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius
Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre) pour lequel il réalise le
frontispice du livret Le Coq et l’Arlequin,
ainsi qu’Igor Stravinski et Serge de Diaghilev, le directeur fondateur des
Ballets Russes. Ainsi conçoit-il décors, costumes, rideaux de scène des ballets Le Tricorne de Falla, Parade de Satie, Pulcinella de Stravinski, il fréquente les compositeurs Maurice
Ravel, Jean Wiéner, Virgil Thomson, René Leibowitz, Luigi Nono, les chefs d’orchestre
Ernest Ansermet, Igor Markevitch, les instrumentistes Pablo Casals, Alfred
Cortot, Wanda Landowska, Sviatoslav Richter, Arthur Rubinstein, Andrés Segovia,
jusqu’au chanteur d’opérette Luis Mariano…
Costumes de Picasso pour le ballet Parade d'Erik Satie, Paris 1917. Photo : (c) Bruno Serrou
Présentée en neuf sections, placée
sous la brillante autorité de Cécile Godefroy, commissaire du projet, sous les
conseils avisés de la musicologue Elise Petit, l’exposition rassemble une vingtaine
d’instruments de musique ayant appartenu à Picasso. Accueilli par l’installation
intitulée Le Chant des Mondes qui réunit trois grandes sculptures représentant trois
joueurs de flûte et de diaule tandis que l’on entend les sons de la nature venus des
hauteurs de Cannes où vivait alors Picasso dans les années 1950, le visiteur
suit un parcours qui le conduit en huit escales ; Musiques d’Espagne, où l’artiste,
Andalou de naissance et Catalan de cœur, vit jusqu’en 1904 avant d'y séjourner régulièrement jusqu’en
1934, et dont il n’oubliera jamais les accents et les couleurs, assistant souvent à des
corridas et aimant se plonger dans les chants et les danses flamenco et les
musiques gitanes. La deuxième section, Le Musicien Arlequin, où l’on retrouve
Picasso à Paris, où il fréquente les cabarets, les cafés-concerts et les salles
de spectacle de la place de Clichy, se liant aux poètes Max Jacob et Guillaume
Apollinaire, ainsi que la chanteuse Yvette Guilbert. La troisième section est
consacrée aux Instruments cubistes, présents dans la peinture de Picasso dès
1909 qu’il décline sur une grande variété de supports et de techniques en
deux et trois dimensions et dont il fera une source d’inspiration de premier
plan dans l’aventure cubiste.
Violon, Paris 1915. Photo : (c) Bruno Serrou
La section 4, Musique et Poésie, montre combien
la relation de Picasso avec Guillaume Apollinaire a été déterminante, avec la
guitare déclinée sous toutes les formes, et les poèmes que le peintre compose
et qui renvoient aux rythmes entêtants du taconeo
et des palmas du flamenco. Les
sections 5 et 6 présentent la part la plus connue de la création de Picasso,
puisqu’il s’agit des Ballets et de ses Amitiés musicales.
Partie de la collection privée d'instruments de musique de Pablo Picasso. Photo : (c) Bruno Serrou
Intitulée Aubades, la
Section 7 démontre combien Picasso dans les années 1930 était empli de l’iconographie
remontant à l’Antiquité, avec bergers musiciens, muses incarnant le bonheur pastoral,
la sensualité solaire. La Flûte de pan, thème de la huitième section, tient
dans l’œuvre de Picasso une place centrale dans le cadre de sa période néoclassique, où la
musique se fait célébration.
L'Aubade, Mougins, 19-20 janvier 1965. Photo : (c) Bruno Serrou
L’exposition se termine sur les derniers tableaux
de Picasso peints à Mougins entre 1966 et 1972, présentés sous l’intitulé Le
Peintre-Musicien, l’artiste s’y incarnant sous les traits de musiciens,
guitariste ou flûtiste, au sein de rondes champêtres, d’aubades et de concerts
intimes à l’érotisme exacerbé, comme une ultime célébration dionysiaque avant
la mort.
Danseuse et guitariste, 29 janvier 1954. Photo : (c) Bruno Serrou
Initialement prévue du 3 avril au
16 août 2020, reportée du 22 septembre 2020 au 3 janvier 2021, cette exposition remarquablement présentée (je recommande
vivement au visiteur de se munir des écouteurs gracieusement mis à la disposition du public
à l’entrée afin de goûter aux illustrations sonores tout aussi denses qui
accompagnent l’exposition) est à voir et à revoir à satiété, riche et multiple,
reflet de l’imaginaire foisonnant du plus grand, du plus prolifique et du plus protéiforme des artistes du XXe
siècle.
Bruno Serrou
Les Musiques de Picasso, Musée de la Musique, Philharmonie de
Paris., jusqu’au 3 janvier 2021. Du mardi au jeudi, 11h-18h, du vendredi au
dimanche 11h-20h (vacances scolaires mardi, mercredi, jeudi 10h-19h, samedi,
dimanche 10h-20h). Tarifs : tarif plein : 12€ ; tarifs réduits :
9 et 6€. Renseignements et réservations : (+33) (0)1.44.84.44.84. www.philharmoniedeparis.fr/expo-picasso.
221, avenue Jean-Jaurès. 75019-Paris.
Publications : Catalogue de
l’exposition Les Musiques de Picasso.
Sous la direction de Cécile Godefroy. Coédition Gallimard / Philharmonie de
Paris. 312 pages, 45€. Pour les enfants : Cahier d’activité Les Musiques
de Picasso. Editions de la Philharmonie de Paris, 13,90€. Les Musiques de Picasso, carnet d’exposition de Cécile Godefroy. Découverte Gallimard, 9,50€. Disques : Les Musiques de Picasso, 2CD Harmonia
Mundi, 11,50€.