Hans Zender (1936-2019). Photo : DR
Surtout connu comme chef d’orchestre - il dirige régulièrement en France, mais aussi à l’Opéra de Hambourg, tandis que le Festival de Bayreuth lui confie Parsifal dès 1975 -, Hans Zender est l’un des compositeurs les plus représentatifs de l’école allemande contemporaine aujourd’hui un peu négligée en France.
Disciple de Bernd Aloïs Zimmermann, l’auteur de Die Soldaten (les Soldats), il se place
dans la mouvance de Pierre Boulez tout en imposant une personnalité puissante.
Il s’intéresse depuis une quinzaine d’années aux télescopages de l’histoire de
la musique, à son interdépendance. Ainsi, ses Dialog mit Haydn (1982), Schubert
Chöre (1986), Cinq Préludes de Claude Debussy (1991), sont autant
d’étapes menant à son « interprétation composée » du cycle de
Schubert Der Winterreise conçue en 1993. Requérant une formation instrumentale inusitée au
début du XIXe siècle (machine à vent, saxophone, accordéon,
harmonica, percussion multiple...), cette « transformation
créatrice » transmuant les sons du piano en polychromie orchestrale,
greffe quelques ajouts d’invention libre (voix parlée, interludes, simultanéité
de mélodies additionnelles, etc.). Ecrite pour ténor et vingt-quatre musiciens,
elle souligne et déforme des pans entiers de l’original sans jamais le trahir,
alors même qu’elle instaure de nouveaux rapports entre poèmes et musique.
« Depuis que l’on a inventé la notation, rappelle Zender, la transmission
de la musique se fait selon deux réalités, celle du texte fixé par le
compositeur et celle de la réalité sonore, actualisée par l’interprète. Ma
propre lecture du Voyage d’hiver ne
cherche pas une nouvelle interprétation expressive, mais profite
systématiquement des libertés que chaque interprète s’attribue
intuitivement. » Cette interprétation envoûtante du chef-d’œuvre de
Schubert, sa force émotive et sa puissance évocatrice terriblement
contemporaine lui confèrent un impact singulier.
Né à
Wiesbaden le 22 novembre 1936, Hans Zender est l’une des figures les plus importantes de la
culture allemande. Compositeur, chef d’orchestre, pédagogue et penseur, il est
depuis les années 1960 aux avant-postes de la musique nouvelle, tout en
poursuivant de façon inlassable un dialogue créatif avec le passé. Il est de ces personnalités de la vie musicale contemporaine
qui combinent de façon convaincante plusieurs activités créatrices. En tant que
compositeur chef d’orchestre, à l’instar de son aîné Pierre Boulez et de son
cadet Péter Eötvös, son écriture profite pendant cinq décennies de sa connaissance
approfondie du « métier ». Cette expérience porte sur toutes les
formes instrumentales et vocales de la création contemporaine. À côté de
ce champ d’interactions fructueuses, qui ravive la très ancienne unité entre
compositeur et interprète et qui a donné son envol à la carrière internationale
de Zender, son activité de penseur et d’auteur a été particulièrement remarquée
en Allemagne. Ses essais et articles abordent les questions esthétiques
fondamentales de la musique.
Hors des sentiers battus, Zender a fait le pari
de ce que Bernd Alois Zimmermann appelait le pluralisme. Ainsi se penche-t-il
sur des démarches apparemment antinomiques, comme celles de Gustav Mahler et de
John Cage, d’Anton Bruckner et de Giacinto Scelsi, d’Olivier Messiaen, d’Earle
Brown et de Helmut Lachenmann. Ce qui les réunit, est une radicalité et
une indépendance intellectuelle qui se doublent d’une exigence spirituelle et
d’un goût pour l’exploration de mondes sonores inouïs.
Hans Zender a été profondément marqué par la
pensée extrême-orientale, dont ses œuvres portent des traces multiples. Au-delà de sa culture et de sa pratique des musiques du passé
ou des périodes récentes, son cheminement artistique suit diverses rencontres
musicales, les jeunes compositeurs de Darmstadt puis Olivier Messiaen et Bernd
Alois Zimmermann, plus tard l’école américaine de John Cage, Morton Feldman, Earle
Brown, et l’Italien Giacinto Scelsi, compositeurs et styles qui ne se cumulent
ou se combinent. Il est le reflet de plusieurs inspirations philosophiques, d’Héraclite
et Nietzsche à Adorno, Derrida, Nancy, Georg Picht et à l’école japonaise
de Kyoto.
Auteur
d’une cinquantaine d’œuvres, Hans Zender a commencé ses études de piano, de
direction d’orchestre et de composition (il est l’élève de Wolfgang Fortner) en
1956 à l’Académie supérieure de Musique de Francfort et à celle de
Fribourg-en-Brisgau. En 1963, il se rend à la Villa Massimo de Rome, qui
accueille l’académie allemande à l’instar de la Villa Médicis pour la France.
Il y fait deux séjours jusqu’en 1969 et y compose ses premières œuvres, dont
les Tre Pezzi per oboe (Trois Pièces pour hautbois) et Trois Nocturnes
pour clavecin. En 1964, il est chef titulaire de l’orchestre de l’Opéra de Bonn
jusqu’en 1968, puis Directeur général de la musique à Kiel de 1969 à 1972 et de
Hambourg de 1984 à 1987. De 1987 à 1990 il est chef de l’Orchestre de Chambre
de la Radio néerlandaise et Principal chef invité du Théâtre de La Monnaie de
Bruxelles. Mais c’est l’Orchestre Symphonique de la radio de Sarrebruck qu’il
dirige le plus longtemps, de 1971 à 1984. Il a également dirigé dans le cadre
des Festivals de Bayreuth, Salzbourg, Berlin et Vienne. De 1999 jusqu’à la
dissolution de la phalange allemande, il est Chef invité permanent de l’Orchestre
Symphonique du Südwestfunk de Baden-Baden et Fribourg. En 2004, il crée avec
son épouse la Fondation Hans et Gertrud Zender, et il se voit décerner en 2011 le
Prix Européen de la musique d’église.
Hans
Zender enseigne la composition à l’Académie supérieure de Musique de Francfort
de 1988 à 2000. Membre de l’Académie des Arts de Berlin depuis 1989 et de l’Académie
des Beaux-Arts de Munich depuis 1994.
D'abord influencé par Bernd Alois Zimmermann et
par Pierre Boulez, il se détourne de la musique sérielle dont il refuse le
dogmatisme, et se tourne vers la spiritualité, l’art et les philosophies d’Extrême-Orient. L’œuvre
de Zender puise aussi dans la littérature et la pensée occidentales, Héraclite,
la Bible, Maître Eckhart (Kantate nach
Worten von Meister Eckhart, 1980), saint Jean de la Croix (Tre canciones, 2005). Parmi ses œuvres les plus représentatives le cycle vocal Hölderlin lesen (Lire Hölderlin) composé entre 1979 et 2000, les sept Lo-Shu (1977-1997), les cinq Kalligraphie pour orchestre (1997-2003),
les neuf Cantos (1965-2009), Bardo pour violoncelle et orchestre
(2000) et l’opéra Chief Joseph
(2003). Outre son travail sur le
Winterreise de Schubert, Henze s’est attaché à des Chœurs du compositeur viennois, ainsi qu’à Cinq Préludes de Debussy, à la Fantaisie
de Schumann et aux Variations Diabelli
de Beethoven.
Hans Zender est mort à Meersburg (Bade-Wurtemberg) le 22 octobre
2019, quelques semaines avant ses 83 ans.
Bruno Serrou
A lire :
Hans Zender, Essais sur la musique.
Ecrits rassemblés par Pierre Michel et traduits par Martin Kaltenecker et
Maryse Staiber. Editions Contrechamps (2016)