Paris. Opéra de Paris - Palais Garnier. Jeudi 24 janvier 2019
Alessandro Scarlatti (1660-1725), Il primo omicidio. Photo : (c) Bernd Uhlig / Opéra national de Paris
L’un des plus grands maîtres incontestés du
retour à l’authenticité de l’interprétation dans le style baroque, vivant en
outre à Paris depuis des lustres, a fait sa première apparition jeudi dans la
fosse de l’Opéra de Paris, le Belge René Jacobs. Il n’y avait pas même été
invité au temps de sa splendeur vocale, et ce n’est que le 24 janvier qu’il y a
fait ses débuts de chef d’orchestre, alors que le monde entier l’invite et le
bichonne depuis des décennies.
Alessandro Scarlatti (1660-1725), Il primo omicidio. Brigitte Christensen (Eve), Thomas Walker (Adam), Kristina Hammarström (Caïn), Olivia Vermeulen (Abel). Photo : (c) Bernd Uhlig / Opéra national de Paris
Autre débuts in loco, Alessandro Scarlatti (1660-1725). En effet, aucune œuvre du
maître de l’opéra napolitain n’y avait été jusqu’à présent programmée. Et ce n’est
même pas avec l’un de ses ouvrages scénique qu’il fait son entrée au répertoire
de l’Opéra de Paris, mais avec l’un de ses oratorios scéniques, genre créé
au XVIIe siècle pour la Chiesa Nuova des Oratoriens de Rome s’inscrivant
dans le renouveau de la Contre-Réforme, Il
primo omicidio (Le premier meurtre)
composé en 1707. Le livret d’Antonio Ottoboni plonge dans le quatrième chapitre
de la Genèse, contant le meurtre
originel d’Abel par Caïn. Ainsi, les personnages ne sont autres qu’Adam et Eve
et leur deux fils, ainsi que Dieu et Lucifer. La structure de l’œuvre enchaîne
récitatifs et airs, dont le systématisme quelque peu lassant est amorti par
trois remarquables duos.
Alessandro Scarlatti (1660-1725), Il primo omicidio. Photo : (c) Bernd Uhlig / Opéra national de Paris
La musique de Scarlatti est d’une
grande introspection spirituelle. Son propos prête davantage au recueillement
qu’au spectacle visuel, mais le metteur en scène plasticien Romeo Castellucci,
qui avait réalisé Moïse et Aron de
Schönberg à Bastille, a réussi la gageure d’un spectacle d’une grande beauté
plastique. La première partie se déroule derrière un rideau opaque dans la
manière du premier acte de Moïse et Aron,
des aplats de couleurs dans le style Rothko, un retable du duecento italien, une gestique austère façon Robert Wilson. Dans la
seconde partie, Castellucci a la curieuse idée de remplacer les protagonistes
par des enfants qui miment les chanteurs, qui s’expriment depuis la fosse.
Est-ce pour affirmer l’innocence des premiers hommes, y compris d’Abel qui
découvre la mort en tuant son frère ?... Malgré la prestation des enfants,
l’effet n’est guère convainquant, en raison du décalage permanant entre ce que
l’on voit et ce que l’on entend, la distance entre la fosse et le plateau annihilant
tout effet de jumelage.
Alessandro Scarlatti (1660-1725), Il primo omicidio. Robert Gleadow (Lucifer). Photo : (c) Bernd Uhlig / Opéra national de Paris
Uniforme et sans portée dramatique,
le spectacle serait ennuyeux si ce qu’il est donné à entendre n’était pas
magistralement interprété. A la tête de l’orchestre géré par son fils, le B’Rock
Orchestra (B pour Baroque et pour Belge) basé à Gand dont le noyau dur compte une vingtaine de musiciens
belges et internationaux, qui entendent se concentrer sur l’exécution axée sur
l’intensité expressive, René Jacobs dispose ici d’une formation d’excellence
qui, sous sa direction dramatique et supérieurement ressentie, lui permet d’exalter
des sonorités larges, amples, contrastées, sensuelles et lumineuses magnifiées
par un jeu précis et sûr, un allant et une homogénéité parfaite. Particulièrement
équilibrée, la répartition des masses dans la fosse se fonde sur la symétrie et
la stéréophonie enveloppant subtilement l’ensemble de l’espace du théâtre.
Jacobs chante ici dans son jardin, avec une partition qu’il connaît de fond en
comble, pour l’avoir souvent dirigée et même enregistrée en 1997 (CD Harmonia
Mundi), chantant la partie de Dieu tout en dirigeant l’Akademie für alte Musik
de Berlin.
Alessandro Scarlatti (1660-1725), Il primo omicidio. Photo : (c) Bernd Uhlig / Opéra national de Paris
Pour
ses débuts à l’Opéra national de Paris, tenant compte de la taille
(conséquente) du palais Garnier, René Jacobs a renforcé les effectifs
instrumentaux, ajoutant aux cordes des hautbois, des flûtes à bec et des
trombones. Et choisi d’enrichir le continuo (deux orgues, deux clavecins, deux
luths, une harpe). Sans être éblouissante mais homogène, la distribution vocale
se plie harmonieusement à la vision du chef belge, avec la soprano suédoise Kristina
Hammarström (Caïn), la mezzo-soprano hollandaise Olivia Vermeulen (Abel), le
ténor britannique Thomas Walker (Adam), la soprano norvégienne Brigitte
Christensen (Eve), le contre-ténor bavarois Benno Schachtner (Dieu) et le
baryton-basse canadien Robert Gleadow (Lucifer), tous doublés par de jeunes
acteurs sortis de la Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra
national de Paris.
Bruno Serrou
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