Il s'agit ici bien sûr d'une sélection. Et comme toute sélection, celle-ci est injuste et prête le flanc à la critique. Il suffit bien sûr de penser à Debussy, Ravel, Messiaen, Manoury, Scriabine, Prokofiev, Schönberg et à beaucoup d'autres. Mais les oeuvres ci-dessous sont représentatives de la diversité d'un siècle de création pour le piano du dernier siècle, toutes nations confondues.
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Charles Ives (1874-1954). Photo : DR
Charles Ives
(1874-1954)
Sonate pour piano n° 2 « Concord, Mass., 1840-1860 » (1911-1920 ; 1947)
Quatre mouvements : Emerson ; Hawthorne ; The Alcotts ; Thoreau
Durée : 50 minutes env. (Associated Publishers, New York -
Londres)
« Moderne par essence, l’écriture pour le piano de Ives
questionne, dit le pianiste américain Jay Gottlieb, l’un des plus ardents
défenseurs de son compatriote. A certains égards le geste pianistique annonce
ceux de Milhaud, Messiaen, Berio et même Xenakis. » Au sein d’un imposant
catalogue, l’œuvre pour piano de Charles Ives compte de nombreuses pièces parmi
lesquelles Three-page Sonata, Etudes, Varied Air and Variations ou les Trois pièces en quarts de ton pour deux pianos. Mais c’est la
seconde de ses sonates qui domine non seulement cette part de la création du
plus grand des compositeurs américains mais aussi son œuvre entière et la
création pianistique du XXè siècle.
Composée entre 1911 et 1915, révisée en 1947 sur l’instigation de
son créateur, John Kirkpatrick qui l’avait créée en 1939, cette immense
partition, d’un foisonnement, d’une variété et d’une richesse incomparables
est, comme les Variations dans
l’œuvre de Webern, la partition où toute la création d’Ives semble devoir
converger et d’où tout semble rayonner. Dans son recueil Essays before a sonata *, le compositeur présente sa Sonate « Concord » comme «un
ensemble de quatre pièces,appelé sonate à défaut d’un nom plus adéquat, puisque
la forme - peut-être même le matériau - ne le justifie pas. Il s’agit d’une
tentative pour montrer les impressions de quelqu’un sur l’esprit du
Transcendantalisme qui, dans la pensée de beaucoup, est associé à la ville de Concord
d’il y a plus d’un demi-siècle». Proche de ce mouvement philosophique qui postulait
que toute expérience peut engendrer une connaissance de l’univers entier, Ives
place chaque mouvement de sa sonate sous le sceau de l’une des personnalités
les plus représentatives de ce courant de pensée, Ralph Waldo Emerson
(1803-1882), Nathaniel Hawthorne (1804-1864), Bronson Alcott (1799-1888) et
Henry David Thoreau (1817-1862), précisant néanmoins que ces pages ne visent
pas à illustrer la vie ou l’œuvre de ces auteurs mais plutôt des « images
composites ». L’ensemble de l’œuvre est parcouru par le « thème du
destin » de la Symphonie n° 5 de
Beethoven, que l’Américain associe à un thème original qu’il dénomme « mélodie
de la foi humaine ». Deux autres motifs assurent la cohésion de
l’ensemble, deux motifs venant de deux hymnes, Missionary Chant et de Martyn.
Comme le montre l’ajout d’une flûte dans Thoreau, la seconde sonate d’Ives ne semble pas avoir trouvé dans
le seul piano l’exact support de l’expression de sa pensée face à la famille
intellectuelle de la ville de Concord, Massachusetts. Ives a en effet envisagé
de nombreuses possibilités pour chacun des mouvements : Emerson a d’abord été envisagé pour orchestre seul ou comme
concerto pour piano et orchestre, éventualité dont la partie d’alto pourrait
être un lointain écho, Hawthorn écrit
pour un ou douze pianos, Les Alcott
pour orgue ou piano avec voix ou violon, Thoreau
pour cordes « éventuellement colorées par une flûte ou un cor ». Du
point de vue de l’interprète, la Sonate
n° 2 d’Ives demande une technique infaillible doublée d’un sens inné de
l’improvisation mais apte à la plus extrême rigueur, rythmes et nuances étant
méticuleusement notés par le compositeur.
Bruno Serrou
* Editions Calder and Boyars Ltd., Londres 1969
A écouter : Donna Coleman (Etcetera) ; Jay
Gottlieb (Pianovox) ; Roger Muraro (Universal Classics)
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Anton Webern (1883-1945). Photo : DR
Anton Webern
(1883-1945)
Variations pour piano op. 27 (1936)
Trois mouvements : Sehr mässig (très modéré) ; Sehr schnell (très
vite) ; Ruhig fliessend (paisible et fluide)
Durée : 5 minutes env. (Universal Edition)
Unique recueil pianistique officiel d’Anton Webern, les Variations op. 27 constituent le point
central de la création du compositeur autrichien et, peut-être, son
aboutissement. Webern y exploite en effet les principes de la série à douze
sons et s’interdit toute interprétation ouvrant sur une quelconque
subjectivité. Découvert dès la fin de la Seconde Guerre mondiale alors même
qu’il avait été de son vivant le plus discret de la «Trinité viennoise» qu’il
formait avec son maître Arnold Schönberg et son condisciple Alban Berg, Anton
Webern allait servir de référence à la génération des compositeurs nés dans les
années 1920-1930 qui eurent vingt / vingt-cinq ans dans les années 1945-1955.
C’est en octobre 1935 que Webern entreprit ses Variations pour piano, qu’il n’acheva
qu’un an plus tard, en septembre 1936. Dédiée au pianiste Eduard Steuermann,
l’œuvre fut publiée quatre mois avant la création donnée à Vienne le 26 octobre
1937 par Peter Stadlen. Tendant toute entière à la variation continue depuis
l’opus 1, l’écriture du Viennois tendait aussi vers le dépouillement absolu, ce
qui l’incita sans doute pour sa première partition portant officiellement
l’intitulé variations à se tourner vers le piano, l’instrument le plus apte à
gommer tout élément décoratif au timbre au profit d’une sonorité et d’un
discours homogènes. Le piano possède une égalité de timbre pouvant voisiner
l’anonymat (Cl. Rostand), même si chaque son s’y trouve fortement
individualisé, le timbre instrumental étant conçu comme fondamental (=
structure), et non comme accessoire (= décoratif). Webern exploite la richesse
polyphonique du piano et opère une véritable mise à plat du timbre de
l’instrument. Le timbre du piano, traité par Webern comme une substance quasi
dématérialisée, abstraite, revêt à chaque note des sonorités mystérieuses. Les
silences mettent à nu le vide enveloppant la trame sonore ténue de l’écriture
webernienne.
En fait de variations il s’agit d’avantage d’une suite, comme
l’envisageait Webern lui-même, ou d’une sonate en trois mouvements, reprenant
en beaucoup plus resserré la Sonate op.
109 de Beethoven. Il ne s’agit pas ici de variations sur un thème mais de
variations en tant que telles, Webern réalisant de façon extrême l’idée de
variations continue implicitement contenue dans l’emploi de l’écriture
dodécaphonique. Le premier mouvement est de forme tripartite, le deuxième de
forme binaire avec reprise, seule la troisième étant constituée de véritables
variations, un thème suivi de quatre variations. Mais au-delà de cette
complexité structurelle, l’œuvre peut atteindre à une réelle émotion, une
poésie des plus denses.
B. S.
A écouter : Maurizio Pollini (DG) ; Yuri
Takahashi (Denon) ; Charles Rosen (Sony Classical)
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Pierre Boulez (1925-2016). Photo : (c) Ircam
Pierre
Boulez (1925-2016)
Sonate pour
piano n° 2 (1948)
Quatre mouvements : Extrêmement rapide ; Lent ; Modéré, presque
vif ; Vif
Durée : 30 minutes env. (Editions Amphion)
Née deux ans après la première et neuf ans avant la troisième, cette
dernière étant restée inachevée, la Sonate
pour piano n° 2 de Pierre Boulez puise dans Beethoven, et, à travers Bach
dont il utilise la symbolique des notes (si bémol, la, do, si), rend hommage à
Schönberg. « Quand je lui ai demandé, se souvient Claude Helffer*, le premier
pianiste à jouer les trois Sonates de Boulez dans un même concert en octobre
1969 et qui les jouait toujours par cœur, si ces citations de Bach étaient un
hommage à Bach ou à Schönberg, il m’a répondu “les deux”. »
« Le Scherzo, qui
se situe dans la ligne de celui de la Sonate
op. 106 “Hammerklavier” de
Beethoven, a été composé le premier, rappelait encore Helffer. Il est de
facture classique dans le fait que la partie scherzo se présente toujours sous une forme nouvelle, et que s’intercalent
à chaque fois des trios différents. L’idée originelle est de construire une
sonate en épuisant les formes classiques. Après cette sonate, Boulez partira de
l’idée que c’est le matériau qui doit donner la forme, alors qu’ici la forme
s’applique au matériau. De ce noyau que constitue le scherzo est né le concept
de cette sonate en quatre mouvements.
Le mouvement initial se fonde sur la même structure sérielle que le
Scherzo, mais cette fois sur le
modèle de la Sonate “Waldstein” op. 53
de Beethoven. Le début du morceau expose des fragments rythmiques irréguliers,
puis se présentent des thèmes en accords rappelant celui en mi majeur de la Waldstein, puis ce sont développement,
réexposition, coda. Le deuxième mouvement est à la fois très lent et très
tendu. C’est l’une des très grandes réussites de Boulez. L’écriture est très
webernienne, mais encore plus distendue parce que l’ambitus du clavier est plus
grand que chez Webern. On peut aussi l’approcher de l’introduction (Adagio molto) du deuxième mouvement de
la Waldstein. Il s’agit d’un thème
avec variation, thème en cinq fragments développé sous forme de variation.
Quant à la série, Boulez la traite comme Berg l’a fait dans Lulu, de telle sorte qu’il soit
impossible de l’identifier. Après la détente du scherzo, le finale est un vrai morceau de bravoure. Ici c’est
encore l’exemple beethovenien, avec une association de la forme rondo et, dans
la mouvance du Quatuor n° 13 et de l’Opus 106, de la formule fugue. L’idée de
Boulez est de coordonner la forme rondo et la formule fugue, ce que Schumann
avait déjà tenté dans le finale de son Quatuor
avec piano. Dans la sonate de Boulez la fugue est exposée mesure 33, et se
compose de cinq éléments. L’œuvre se conclut sur le rétrograde de BACH, dont la
forme originelle avait été exposée sept fois. Dans cette deuxième sonate on
perçoit en outre une légère influence de Messiaen dans l’utilisation de canons
rythmiques. Boulez utilise pour la dernière fois la forme classique, qu’il
pousse à l’extrême, jusqu’aux limites de l’implosion, au point qu’il est le
seul à l’époque à écrire quelque chose de radicalement nouveau pour le piano :
la Sonate de Jean Barraqué n’est achevée qu’en 1952, année où Stockhausen
commence ses premières Klavierstücke.
B. S.
A écouter : Sonates I-III, Claude Helffer (Astrée Auvidis) ; Herbert Henck
(Wergo) Sonate n° 2, Maurizio Pollini
(DG)
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Karlheinz Stockhausen (1928-2007). Photo : DR
Karlheinz
Stockhausen (1928-2007)
Klavierstücke XI (1956)
Durée : la durée d’exécution est tributaire du choix de
l’interprète (Universal Edition)
Commencé en 1952, le cycle des Klavierstücke
de Karlheinz Stockhausen constitue l’une des sommes les plus remarquables du
piano du XXe siècle. Si le Klavierstück
IX est l’une des pièces pour piano les plus jouées du compositeur allemand,
le Klavierstück XI est l’une des plus
célèbres du répertoire du second XXe siècle. Ecrite en 1956, en
pleine genèse de Gruppen, créée le 22
avril 1957 à New York par David Tudor, dédiée à Doris Stockhausen, née Andreae,
la Klavierstück XI propose une notion nouvelle d’écriture, la « forme
ouverte », forme que Stockhausen fonde sur le concept de musique aléatoire.
« Le Klavierstück XI n’est rien
d’autre qu’un son, dont les partiels, les composants, sont organisés d’après
des règles statistiques, écrit le compositeur. Les composants du son sont au nombre de dix-neuf, et leur ordre
est déterminé au hasard. [...] J’ai indiqué les caractéristiques principales :
puissance, durée, staccato ou legato... »
« Dix-neuf structures, spécifie
Stockhausen par ailleurs, sont disposées sur une feuille de très grand format.
Le pianiste doit les jouer dans un ordre laissé au hasard - donc jamais le même
d’une exécution à l’autre (et d’un interprète à l’autre). Un tempo, une
intensité, des modes d’attaques sont indiqués à la fin de chaque structure... Dès
lors que le regard du pianiste s’arrête pour la troisième fois sur la même structure,
l’œuvre est terminée. »
Stockhausen propose dans la onzième de ses Klavierstücke une organisation mobile autour de dix-neuf formants
ou séquences déterminés (hauteur, rythme, durée), développés dans un ordre
choisi arbitrairement par l’interprète, et affectés d’indications (tempo,
dynamique, mode de jeu) notées à la fin de la séquence précédente. Leur ordre
étant choisi instinctivement, ils s’influencent directement : le groupe retenu
détermine le caractère de celui qui suit. De l’aveu même du compositeur,
l’œuvre réclame un interprète imprévisible et créateur. Les formants ont six
durées, les types d’attaques, d’intensités et de tempos sont au nombre de six,
il y a trois sortes d’accents et autant de silences... Dans cette pièce,
Stockhausen expérimente ses vues sur le temps, la durée, l’aléatoire. Quelques
mois plus tard, Boulez, qui avait débattu de la Klavierstück XI avec son auteur à qui il reprochait notamment
l’excès de liberté accordé à l’interprète et la dilution de la forme, développait
sa propre perception de la « forme ouverte » dans sa Troisième Sonate, restée inachevée.
Stockhausen demande que ce Klavierstück
soit interprété au moins deux fois dans un même concert. « La musique pour
piano de Stockhausen, selon le pianiste Florent Boffard, c’est la
contemplation, la grandeur, les hauteurs, les reliefs, les grands volumes, les
vastes espaces, les sommets qui déchirent le bleu du ciel... Dans les Klavierstücke on est au plus haut du
Mont-Blanc et on contemple la chaîne des Alpes. Ils nous proposent souvent une
globalité à admirer sous des angles différents. C’est une vision totale,
cosmique, parfaitement maîtrisée, équilibrée, en tout cas fort bien répartie
dans le temps et qui peut donner le vertige. »
B. S.
A écouter : Klavierstücke I-XI,
Herbert Henck (Wergo) ; Aloys Kontarsky (Sony Classical)
Klavierstücke
I-XII, David
Tudor (Rat)
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Iannis Xenakis (1922-2001). Photo : DR
Iannis
Xenakis (1922-2001)
Mists (1980)
Durée : 13 minutes env. (Editions Salabert)
Composé en 1980, créé l’année suivante à Edinburgh par son
dédicataire Roger Woodward, Mists (brouillards)
est la troisième partition pour piano d’Iannis Xenakis. C’est aussi la plus
longue.
« Le brouillon de la pièce a été tracé sur du papier
millimétré, avec un graphique des arborescences, rappelle le pianiste Claude
Helffer, qui fut l’un de ses grands interprètes. Xenakis écrit tout ce qui lui
passe par la tête et c’est à l’interprète de se débrouiller pour donner au
public l’impression qu’il joue tout. Pour Xenakis l’œuvre tient aussi de
l’ascèse, ce dépassement de soi de l’interprète, car l’essentiel de
l’interprétation repose sur les notions d’effort, de dépassement, de tension
que donne l’exécution de ses œuvres. Le pianiste tend vers ce qui est écrit
sans y parvenir toujours.
«L’idée de départ est la même que celle de Herma, œuvre pour piano avec laquelle Mists a une grande parenté, en ce sens que Xenakis y est utilise
les notions mathématiques d’addition, la réduction et de complémentarité. Dans Herma, il avait fixé ses ensembles à
l’oreille, sans calculs. Mais, séjournant en 1974 à Bali, il a été frappé par
la notion de mode balinais, et a décidé de forger ses propres modes, ses
propres échelles à partir de théories mathématiques. Tout, dans Mists, est fondé sur le choix d’une
échelle qui s’étend sur la totalité du clavier et peut transposer. Et comme il
fallait un élément contrastant, il a dessiné lui-même des arborescences qu’il
intègre à partir de la mesure 80. Tout chez Xenakis est mesuré à quatre temps.
Pour l’interprète, le danger est de se mettre à battre les quatre temps. Ce
qu’il ne faut surtout pas faire, comme le confirme la plaisante théorie de
Xenakis, qui dit “les bornes kilométriques le long de la route ne changent pas
le paysage”.
Ces modes, poursuivait Helffer, peuvent être utilisés de deux
façons. Ou bien linéairement en les déployant de manière régulière mais avec
chaque fois des modes rythmiques différents de telle sorte que l’on perde toute
notion de mesure, ou bien, comme dans Herma,
en utilisant les mêmes modes ou leur transposition par le calcul des
probabilités. Xenakis est très attentif au respect des indications
d’interprétation portées sur la partition. Il est aussi très attaché à la
sonorité. Outre cette utilisation des « modes » qu’il obtient par une
théorie mathématique, les arborescences s’intercalent dans la pièce, à laquelle
elles donnent un aspect plus ramassé. Si l’on ne peut jouer toutes les notes –
problème que l’on saura toujours surmonter à force de jouer l’œuvre –, il ne
faut surtout pas perdre de vue le tempo, qui est capital. Xenakis dit que, tout
comme un avion, la partition doit décoller. Si on ne joue pas Xenakis à la
vitesse voulue, cela ne décolle pas. Il faut se lancer.
L’écriture de Xenakis a engendré des sonorités que l’on n’avait
jamais entendues au piano jusqu’alors. Le grand apport de Xenakis c’est
d’amener, probablement non par des moyens non musicaux mais par des moyens
théoriques, un piano inouï que l’on n’avait jamais entendus et qui sont
extraordinaires, concluait Helffer.
Recueilli par B. S.
A écouter : Claude Helffer (Harmonia
Mundi) ; Klara Kormendi « Contemporary piano music »
(Hungaroton)
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György Ligeti (1925-2006) et Pierre-Laurent Aimard. Photo : DR
György
Ligeti (1923-2006)
Etudes pour piano (1985-2001)
Dix-huit Etudes achevées (Editions Schott, Mayence)
« Le piano est mon instrument favori. Je lui voue une
véritable passion », me confiait en 1996 György Ligeti. Pendant seize ans,
le compositeur hongrois a engrangé les Etudes
pour piano comme autant de jalons gouvernant l’ensemble de sa création. « Si j’étais sûr d’avoir vingt
ans devant moi, je pourrais écrire quantité d’études, assurait-il. J’ai encore des centaines d’idées… »
Alors que le piano semblait ne plus devoir inspirer la fibre créatrice des
compositeurs depuis plus de vingt ans, l’attrait de clavier semblait devoir se
revivifier depuis le début de la décennie 1991-2000. Au-delà des trois
remarquables partitions d’Iannis Xenakis, le signal du retour du piano semble
avoir été donné par György Ligeti, par le biais de ses Etudes, qui empruntent la voie tracée dans les années 1972-1985 par
Maurice Ohana dans le même type d’œuvres.
C’est à partir de 1983 que le piano s’impose définitivement dans
l’œuvre de Ligeti. Entreprises en 1985, les Etudes
sont devenues le centre de la création du compositeur. Ligeti y revient
toujours. Cette « redécouverte » du clavier correspond à un certain
nombre de « coups de foudre » musicaux, notamment les œuvres pour
piano mécanique de Conlon Nancarrow, les musiques traditionnelles d’Afrique
centrale, les musiques occidentales du dernier tiers du XIVe siècle
ainsi que différents aspects des sciences mathématiques. « Comme toute
musique virtuose nouvelle, rappelle Pierre-Laurent Aimard*, les Etudes posent des problèmes apparemment
insolubles à l’interprète. Pourtant, les problèmes qu’elles soulèvent placent
le pianiste dans une situation limite, mais après avoir semblé injouable, elles
deviennent très difficiles, puis difficiles avant d’entrer finalement dans les
doigts, faisant ainsi reculer les limites de la technique pianistique. Si
quelqu’un crée une situation inédite, il faut un laps de temps aux interprètes
pour engranger les nouveaux mécanismes. Le piano de Ligeti ne se livre qu’à la
condition que l’interprète lui donne toutes ses forces, ses forces d’existence,
d’énergie, de conviction, d’émotion intellectuelle, physique. Si l’on ne sort
pas rompu d’un concert, c’est que l’on n’a pas réussi livrer l’essence des œuvres.
La musique de Ligeti n’est pas une musique de bon temps, elle pousse ses interprètes
jusqu’au point de rupture. »
L’unité conceptuelle du cycle des Etudes pourrait être la polyrythmie ou polymétrie. Il faut en effet
au pianiste une très grande assurance et une sensibilité rythmique poussée à son
summum, même si ce dernier « n’exécute pas la folie qu’entend l’auditeur,
mais des accents décalés, les doigts jouant de façon totalement uniforme,
technique déjà utilisée dans Continuum »
(Ligeti). En dépit des difficultés infinies que recèle cette musique,
l’auditeur peut goûter à loisir l’évolution de chacune des Etudes, dont il saura même aisément retenir les mélodies. « Ce
qui montre combien Ligeti est grand, convient Aimard, c’est qu’il arrive à
donner naissance à une musique facilement accessible. Elle a une identité
puissante, une prégnance très forte, alors qu’elle utilise un matériau fort
simple que tout le monde peut retenir. Comme celle de Beethoven. »
B. S.
A écouter : Etudes I-XIV, Pierre-Laurent Aimard (Sony Classical)
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