Innsbruck (Autriche). Festival de Musique ancienne. Tiroler Landestheater.
Mardi 16 août, mercredi 17 août 2016
Innsbruck, Tiroler Landestheater. Photo : (c) Bruno Serrou
Fondé en 1976 par le Britannique Howard
Arman, le Festival de Musique ancienne d’Innsbruck célèbre cet été son
quarantième anniversaire. Le chef italien Alessandro De Marchi, son directeur
artistique depuis 2010, a choisi pour l’occasion de présenter une programmation
proche de celle de la première édition, couvrant trois siècles d’histoire de la
musique, du XVIe au XVIIIe, avec quelques programmes
repris à l’identique. Pour ce faire, il a invité René Jacobs, qui, alors
contre-ténor, a donné le tout premier concert de l’histoire du festival.
Innsbruck. Photo : (c) Bruno Serrou
Capitale du Tyrol, avec ses cent
vingt mille habitants dont vingt mille étudiants, dans un pays, l’Autriche, où
la musique est reine, située entre Bavière et Italie, dotée d’un patrimoine
historique presque aussi riche que celui de Salzbourg mais en moins concentré,
avec notamment le beau théâtre qu’est le Landestheater, entourée de hautes
montagnes qui offrent une vue incroyable sur la ville, Innsbruck était toute
désignée pour accueillir un festival de grande ampleur. Comme à Salzbourg, et
plus qu’à Bayreuth, le public est particulièrement huppé, avec robes longues et
smokings descendant de limousines et se plaisant à musarder verre de champagne
à la main longtemps avant le début des représentations comme s’ils faisaient
eux-mêmes partie du spectacle, y compris les plus jeunes, même s’il se trouve parmi
ces derniers quelques jeans et encolures ouvertes.
Pendant plus d’un mois, de la
mi-juillet jusque fin août, les festivaliers peuvent voir et écouter les plus
grands spécialistes du répertoire baroque, et découvrir des ouvrages méconnus
ou quasi-inconnus, autant en concert que mis en scène, mais les œuvres vocales
sont omniprésentes. Tout ce qui a un rapport plus ou moins lointain avec cette
période couvrant deux siècles est proposé, du plus dramatique au plus léger,
jusqu’au quolibet et à l’autodérision, au risque de déplaire aux puristes.
Domenico Cimarosa (1749-1801), Il matrimonio secreto. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est la version intégrale, à l’exception
d’une aria du ténor, qui a été retenue pour les trois représentations de Il matrimonio secreto (Le mariage secret) de Domenico Cimarosa (1749-1801).
Les 3h20 de cet opéra burlesque en deux actes créé à Vienne en février 1792, soit
quelques mois après la mort de Mozart dont l’on ne trouve pas trace du génie,
quoique plaisant, non exempt de quelques tunnels, ont été avivés par une mise
en scène primesautière situant l’action dans une basse-cour. Les personnages
centraux sont poules, coqs et coquelet, et sont entourés de pintades, dindons,
canards, oies, pigeons. L’intrigue alambiquée se conclut bien évidemment sur
une happy end. Paolino et Carolina se
sont mariés en secret. Craignant d’être découverts, ils ne peuvent s’appartenir,
ce qui amplifie leur ardeur. Autour des amants, gravite des personnages de
commedia dell’arte, Geronimo, père de Carolina, marchand riche et cupide, le
compte Robinson, prétendant anglais, l’espiègle et ambitieuse Elisetta, aînée
de Carolina, la tante Fidalma, riche veuve associée de son frère Geronimo elle
aussi éprise de Paolino… Tout ce beau monde se dispute, caquette, se moque, rit
de bon cœur, dans arie, duos,
ensembles de haute voltige et toujours alertes, mais non dépourvus de poésie. C’est
précisément ce qu’Alessandro De Marchi, qui, à la tête de son Academia Montis
Regalis, chante dans son jardin, instillant à l’ensemble de la production un
onirisme de bon aloi. Dans une mise en scène de Renaud Doucet judicieusement éclairée poar Ralph Kopp animant
joyeusement une distribution facétieuse dans une scénographie primitiviste d’André
Barbe, les protagonistes prennent un évident plaisir à jouer, et malgré
quelques failles, le chant est bien servi. A commencer par les deux géniteurs,
dont la joute verbale du second acte est un moment d’anthologie. Le duo Renato
Girolami / Donato Di Stefano est inénarrable, se livrant un véritable combat de
coqs. Loriana Castellano, qui remplaçait au pied levé Vasselina Kasarova, a
campé avec vitalité la tante vindicative, Giulia Semenzato et Klara Ek formant
une fratrie bien caractérisée. Seul le Paolino de Jesus Alvarez, atteint d’une
infection soudaine, est apparu en retrait, ne chantant pas toujours juste et
ses aigus s’avérant tendus.
The Early Joke Barokksolistene. Photo : (c) Bru,no Serrou
Mercredi, dans la même salle du Tiroler
Landestheater, était proposée une soirée délirante autour de la musique des XVIIe
et XVIIIe siècles d’origines savantes et populaires puisées aux
sources vénitiennes, leipzigoises, new-yorkaises et londoniennes. Une leçon d’autodérision
d’interprètes de musique ancienne que leurs confrères d’autres répertoires
seraient bien inspirés de prendre en exemple. Ce groupe de dix instrumentistes
réunis sous l’intitulé signifiant The Early Joke Barokksolistene implanté à
Bergen et dirigé par le violoniste Bjarte Eike ne fait pas dans la légèreté
mais s’impose par la qualité du jeu instrumental. Le délire est optimum, et les
musiques déviées de leur sens primitif, voire moquée, les déviances prenant le
tour de quolibets, et les rythmes de Telemann, Purcell et consort tendant vers
le jazz et le cabaret, la ville de New York étant représenté par le célèbre P.D.Q
Bach (1807-1742), le représentant américain le plus fameux de la lignée du
Saxon Johann-Sebastian Bach. A l’entracte les puristes de la musique baroque
sont partis choqués de tant de liberté prise à l’égard de leur répertoire de
prédilection, tandis que ceux qui sont restés, l’immense majorité du public,
constitué en grande partie de jeunes, a pris beaucoup de plaisir à cette farce
toute germanique.
Bruno Serrou
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