Paris. Philharmonie. Jeudi 7 avril 2016.
Itzhak Perlman et Rohan Da Silva. Photo : (c) Itzhak Perlman
Itzhak Perlman célébrait le 4
août dernier ses soixante-dix ans. A cette occasion, Warner Classics réunissait
ses nombreux enregistrements EMI/VSM (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/10/cd-itzhak-perlman-ou-la-musique-absolue.html).
Personnalité au charisme sans
équivalent, Perlman est LE Violoniste de notre temps, et l’un des plus grands
de l’histoire de la musique. Son influence est considérable sur la scène
musicale internationale, autant comme artiste que comme pédagogue, organisateur
de concerts, mais aussi en raison de son immense popularité qui rejaillit sur
la Musique en son entier. Et ce violon aux sonorités chatoyantes, rondes et
pleines au nuancier infini, cette expressivité veloutée à fleur de peau qui
émane de doigts d’une agilité inouïe malgré le carrure extrême au point de
sembler à peine bouger tout en volant sur la touche de façon si aérienne qu’ils
en défient la physique, effleurant la corde comme en apesanteur pour exalter un
chant proprement miraculeux. Un violoniste vraiment unique, cela en dépit de la
poliomyélite contractée par Perlman dès l’âge de 4 ans, six mois après qu’il
eût commencé le violon, qui le condamne depuis lors à se déplacer avec des
béquilles et à jouer assis…
Itzhak Perlman. Photo : DR
C’est un hommage à son
compatriote Yehudi Menuhin (1916-1999) pour le centenaire de sa naissance qu’a
voulu rendre le violoniste israélo-américain, conformément à ce qu'Itzhak Perlman a annoncé au public.
Un public venu en nombre assister à ce récital, au point que pas un seul
fauteuil de la Philharmonie n’est resté vide. Se déplaçant et jouant sur un
siège roulant électrique, vêtu d’une chemise de cosaque mauve, tandis que son
pianiste, Rohan De Silva portait la même mais en noir, c’est sur le ton de
l’humour et de la légèreté que les deux musiciens ont ouvert la soirée, avec la Suite italienne pour violon et piano
d’Igor Stravinski. Cette œuvre publiée en 1925
qui s’inspire de Pergolèse puise
l’essentiel de son matériau dans le ballet Pulcinella
que Stravinski a composé en 1922. La tonalité ludique, la souplesse et la grâce
du jeu des deux musiciens ont donné à cette pièce sa coloration guillerette et
sa fluidité idiomatique. Mais le morceau de roi a été une somptueuse
interprétation du chef-d’œuvre de la musique de chambre romantique française,
la grande Sonate pour violon et piano en
la majeur de César Franck. De forme cyclique, cette œuvre de 1886 qui a été
écrite pour Eugène Ysaÿe requiert de ses interprètes, traités à parité, sens de
la narration et sens du tempo particulièrement affûtés. Ce qui est remarquable
avec Perlman est qu’il ne tire jamais la couverture vers lui, respectant
l’équilibre des rôles et le dialogue avec son partenaire, l’excellent Rohan Da
Silva, tandis que leur interprétation suscite tension et émotion. Un regret,
néanmoins, le fait que le pianiste sri-lankais n’ait pas choisi d’ouvrir en
grand le couvercle du Steinway de concert sur lequel il s’exprimait, empêchant
ainsi l’épanouissement des sonorités de l’instrument.
Rohan Da Silva et Itzhak Perlman à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
La
Sonatine pour violon et piano en sol
majeur op. 100 d’Antonin Dvorak appartient aux chefs-d’œuvre que le
compositeur tchèque a conçu durant sa période américaine, à l’instar de ses Symphonie n° 9 « du Nouveau
Monde » et du Quatuor à cordes
« américain ». Il s’agit en fait de l’œuvre ultime née à New
York. Dédiée aux enfants du compositeur, cette partition est relativement
simple, son inspiration d’une constante fraîcheur, son tour spontané et
prodigue. Toutes qualités propres à l’expression des prédispositions d’Itzhak
Perlman, dont l’interprétation solaire a été en totale péréquation avec les
rutilances de l’œuvre dans les passages d’une puissante allégresse alternant
avec une nostalgie intensément humaine. Au terme d’une vingtaine de minutes de
pur bonheur, Itzhak Perlman et Rohan De Silva ont donné une série de six pièces de
virtuosité appartenant habituellement au répertoire des bis, que Perlman a
présentées une à une avec un sourire et un humour communicatifs, à commencer
par deux pages de Fritz Kreisler, Dans le
style de Giovanni Battista Martini et Marche
miniature viennoise, suivi du Presto
en si bémol majeur de Francis Poulenc dans sa version pour violon et piano,
d’un morceau sans intérêt autre que de s’assurer l’adhésion d’un public
pourtant déjà amplement conquis, le thème mielleux que John Williams a écrit
pour le film la Liste de Schindler de
Steven Spielberg qui a bien évidemment déclenché une volée d’applaudissements pour ses
interprètes. Puis ce fut la Danse
hongroise n° 1 de Johannes Brahms dédiée à Yehudi Menuhin pour le
centenaire de sa naissance et à qui Perlman a acheté en 1986 le Stradivarius
Soil de 1714 sur lequel il a joué jeudi, la Berceuse
op. 16 de Gabriel Fauré, pour terminer sur une éblouissante interprétation de
la Ronde des lutins d’Antonio
Bazzini, morceau de bravoure de prédilection de Perlman, qui la joue l’air de rien, avec une
facilité d’extraterrestre, les doigts semblant à peine bouger sur le cordier.
Bruno
Serrou
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