Lille. Opéra de
Lille. Dimanche 13 mars 2016.
Wolfgang Mitterer (né en 1958), Marta. Elsa Benoît (Marta). Photo : (c) Frédéric Iovino
Sur un livret original de sa jeune compatriote Gerhild
Steinbuch (32 ans), très noir mais où l’humour point à chaque instant, Wolfgang
Mitterer (né en 1958) signe avec Marta,
six ans après Massacre, une œuvre
maîtresse. L’Opéra de Lille, la salle française qui fait le plus en faveur de
la création lyrique avec l’Opéra de Lyon, a une nouvelle fois eu la main
heureuse dans ses choix d’auteurs et d’équipes de production.
Wolfgang Mitterer (né en 1958), Marta. Georg Nigle (Grot), Ursula Hesse von den Steinen (la reine Ginevra). Photo : (c) Frédéric Iovino
Ecrivons-le sans attendre : Marta est une réussite totale. Réussite du livret d’abord. Un texte
qui associe sous l’aspect d’un conte réalité, science-fiction, mystère,
onirisme, réminiscences, tragi-comédie, le tout renvoyant autant à l’histoire
qu’au secret des âmes, et qui soutient d’un bout à l’autre l’attention.
Réussite musicale ensuite, avec une partition qui s’avère à la fois créatrice
et respectueuse des canons de l’opéra, le compositeur se plaisant à créer des
sons inouïs tout en offrant aux chanteurs de grands airs et à l’orchestre de superbes
mélodies. Réussite scénique enfin, avec une mise en scène au cordeau de Ludovic
Lagarde, directeur de la Comédie de Reims, dans une scénographie d’Antoine
Vasseur, sobre et élégante, dans laquelle une éblouissante distribution s’exprime
avec naturel grâce à une direction d’acteur souveraine. Une telle prouesse ne
peut être atteindre que grâce au fait que dès l’origine du projet, compositeur,
metteur en scène et ensemble instrumental ont été associés par l’Opéra de
Lille, les deux premiers ayant choisi la librettiste.
Wolfgang Mitterer (né en 1958), Marta. Ursula Hesse von den Steinen (le reine Ginevra). Photo : (c) Frédéric Iovino
L’action se déroule dans un monde sans espoir d’avenir,
puisque les enfants en sont bannis. Dans un pays indéterminé dont un capitaine-dictateur
(ténor) entend créer un ordre nouveau sans enfants, Ginevra (mezzo-soprano), épouse
du roi falot Arthur (ténor aigu), est parvenue à cacher sa fille Marta
(soprano), qu'elle a eu avec Grot dit l’outsider (baryton), pour lui éviter le destin
des autres enfants, dont le propre fils du roi. Les adultes n'ont rien d'autre
à faire que de brûler leur peau au soleil, s’étant retirés dans la
représentation viciée d’un monde meilleur enfoui dans le passé. Enfermée dans
une vitrine comme spécimen de ce que pouvait être l'enfance, Marta grandit et finit
par se révolter. Si bien que les adultes de son entourage s’entretuent et elle
finit elle-même dans la mort. Cette fin d’où seul le peuple réussit à
réchapper, ramène de l’aveu-même de Mitterer à l’Hamlet de Shakespeare. D’où peut-être le choix d’une traduction
anglaise d’un texte originellement écrit en allemand.
Wolfgang Mitterer (né en 1958), Marta. Elsa Benoît (Marta), Tom Randle (le Capitaine). Photo : (c) Frédéric Iovino
Autre explication plausible de l’usage de la langue de
Shakespeare, le fait que cette intrigue noire au développement
cinématographique renvoie aux jours obscurs de l’Allemagne réunie à l’Autriche
sous l’empire de l’ordre nouveau nazi. Quoi qu’il en soit, ce livret est
admirablement mis en musique. Le petit ensemble de douze musiciens avec guitare
électrique, électronique et amplification utilisées avec habileté, exalte des
couleurs foisonnantes, cuivrées et sombres. L'oreille ne cesse d'être titillée
par des sonorités charnelles inlassablement renouvelées. L’inspiration de
Mitterer est puissante et foncièrement originale, et l’on reconnaît
immédiatement sa pâte, ce qui est la marque des plus grands. Intégrant le jazz
et la pop’ music avec raffinement, le compositeur organiste autrichien a une
écriture virtuose qui suscite une vélocité inouïe dans la fosse et une magnificence
mélodique ahurissante dans l’opéra contemporain. Le chant est omniprésent, et
la conduite vocale ne contraint jamais les chanteurs à outrepasser leurs
possibilités et à faire des sauts d’intervalles assassins, soutenus en outre
par une amplification mesurée. L'écriture chorale à huit voix est tout aussi exceptionnelle.
Les voix sont enveloppées dans un halo instrumental empli de vie. Cet opéra
d’un peu plus de quatre vingt dix minutes est un véritable joyau.
Wolfgang Mitterer (né en 1958), Marta. Martin Mairinger (le roi Arthur). Photo : (c) Frédéric Iovino
D'autant que la production est sans faille. Mise en
scène, scénographie, ensemble instrumental aguerri à la création, chef,
distribution, tout est superlatif. L'opéra de Lille offre ainsi à la création
lyrique des moyens hors du commun. La soprano française Elsa Benoît, qui vient
d’être engagée dans la troupe de l’Opéra Studio de l’Opéra d’Etat de Bavière,
est une Marta fraîche et touchante, jusque dans la révolte, la mezzo-soprano allemande
Ursula Hesse von den Steinen campe une reine de noble stature, le baryton
allemand Georg Nigl donne de sa voix cuivrée une force noble au personnage de
Grot, le ténor américain Tom Randle est un capitaine vindicatif et, ténor léger
autrichien tendant au falsetto, Martin Mairinger un roi judicieusement veule.
Parfaitement préparés par Geoffroy Jourdain, les Cris de Paris excellent dans
la diversité de ses rôles autant individuellement que collectivement, à
l’instar de l’Ensemble Ictus, magnifique formation belge en résidence à l’Opéra
de Lille qui excelle dans ce répertoire, d’une précision et d’une homogénéité
exemplaires, dirigé avec nuance par le chef britannique Clément Power.
Wolfgang Mitterer (né en 1958), Marta. Photo : (c) Frédéric Iovino
Il serait regrettable, voire préjudiciable pour l’avenir
de la création lyrique, que cette œuvre remarquable et cette production exemplaire
ne soient pas reprises par d’autres scène, après la représentation de l’Opéra
de Reims le 19 avril 2016.
Bruno Serrou
Bonsoir,
RépondreSupprimerVoilà un blog comme nous les aimons avec un spécialiste émérite qui sait de quoi il parle, et nous souhaitons, si vous le permettez, mettre un lien de celui-ci sur notre site web : http://a-1-one-radio-web-broadcast.blogspot.fr/ pour que nos auditeurs puissent le visiter souvent.
Très cordialement et musicalement
Did MERCER music director / marguerite DUPUIS
A.1.ONE.RADIO.WEB.BROADCAST
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Did MERCER music director / marguerite DUPUIS
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