Lyon. Festival de l'Humanité. Opéra national de Lyon. Mercredi 16 mars 2016
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Rachel Harnisch (Rachel). Photo : (c) Opéra national de Lyon
Neuf ans après que Gérard Mortier en eut confié la mise en scène à
Pierre Audi à l’Opéra-Bastille, Serge Dorny programme à l’Opéra de Lyon La Juive de Jacques Fromental Halévy
(1799-1862), ouvrage pour lequel il fait appel à Olivier Py.
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Nikolaï Schukoff (Eléazar), Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie). Photo : (c) Opéra national de Lyon
Créé le 23 février 1835, Salle Le Peletier, La Juive
disparaissait de l’affiche de l’Opéra de Paris un siècle plus tard, un soir d’avril
1934, avant sa six centième représentation. Le succès de l’ouvrage est conforté
par le fait qu’il a été choisi pour l’inauguration du Palais Garnier en 1875. Sa
disparition soudaine concorde avec la montée en puissance du nazisme et de son
antisémitisme. Le livret d’Eugène Scribe est l’archétype du grand opéra à la
française en vogue à l’époque, avec ses vers de mirliton aux ressorts
dramatiques emplis d’actions spectaculaires aptes à inspirer une musique aux élans
passionnés et au lyrisme rutilant permettant l’introduction de grands chœurs et
de ballets dans des décors enrichis d’effets spéciaux et de figurants en
abondance. Bref, tous les ingrédients du futur mélo hollywoodien soutenu par une
musique de cirque. Si bien qu’aujourd’hui l’on ne peut que féliciter les
théâtres de donner l’ouvrage tronqué de près d’une heure et demie, plus
particulièrement de ses ballets.
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Rachel Harnisch (Rachel), Enea Scala (Leopold). Photo : (c) Opéra national de Lyon
Resté dans les mémoires essentiellement par le fameux air
« Rachel, quand du Seigneur » spécialement écrit pour le ténor
Adolphe Nourrit, qui interprétait à la création le rôle d’Eléazar, ce mélodrame d’Halévy
est peu donné aujourd’hui en raison sans doute des difficultés inhérentes à son
écriture vocale qui nécessite une distribution de premier plan (et deux ténors
de haute pointure, alors qu’il est déjà difficile d’en trouver un), sachant
associer vaillance et élégance. L’ouvrage n’est pas exempt de longueurs, même
réduit à trois heures au lieu de quatre heures trente, qui font perdre le fil,
particulièrement dans la première heure. Il s’y trouve de bons moments,
dramatiquement forts, humainement intenses, tandis que le sujet est d’une
pérenne actualité, le tout étant agrémenté d’une prosodie claire mais dont le corollaire
est la perception patente de la faiblesse des vers.
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Rachel Harnisch (Rachel), Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie). Photo : (c) Opéra national de Lyon
C’est en tout cas ce que j’ai ressenti le soir de la première lyonnaise,
sous la direction un trop fervente de Daniele Rustini, qui succédera dans deux
ans à Kazushi Ono au poste de directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra de
Lyon. Certes, le chef italien souligne le lyrisme de la partition mais en aplanit
les raffinements, mettant au contraire en évidence le tour pompeux, malgré un
orchestre lyonnais en grande forme, notamment les pupitres de violoncelle, où
l’on se surprend à relever quelque trait annonciateur de Don Carlos de
Verdi, mais aussi les bois et les cuivres.
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie), Enea Scala (Leopold). Photo : (c) Opéra national de Lyon
La mise en scène d’Olivier Py est en revanche spectaculaire. Py
met en évidence l’actualité de La Juive,
l’intolérance religieuse, le fanatisme obscurantiste, la misogynie. Le décor de
son fidèle scénographe Pierre-André Weitz, est impressionnant. Au sommet d’un escalier
monumental, un cadre de bibliothèque tournant lentement sur lui-même de cour à
jardin derrière lequel s’étend une forêt d’arbres dénudés, souligne le
manichéisme du livret d’autant plus qu’il est éclairé en noir et blanc. L’action
se déploie au sein de cette imposante bibliothèque qui renvoie à celle vue la
veille dans Benjamin, dernière nuit.
Celle de Weitz est en constante transformation, sa verticalité formant un mur renvoi
les voix, ce qui permet aux chanteurs de passer sans dommage la rampe sonore
excessivement exaltée de l’orchestre de Rustini.
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Roberto Scandiuzzi (Cardinal Brogni), Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie), Enea Scala (Leopold). Photo : (c) Opéra national de Lyon
La distribution réunie à Lyon est de belle tenue. Digne successeur
de Neil Shicoff dans ce même rôle, Nikolaï Schukoff fait sien le rôle d’Eléazar,
personnage mû si violemment par la rancœur qu’il en sacrifie par le feu sa
fille adoptive qu’il avait pourtant sauvée des flammes enfant. Sa voix est solide
et malléable (les murmures du début de l’air le plus fameux de l’œuvre), et il
vit littéralement ce rôles. Tout aussi fragile en cardinal de Brogni (que Py
transforme étonnement en pape), Roberto Scandiuzzi a les graves et la densité
requis par ce personnage en constante évolution. Le falot Léopold est bien
campé par Enea Scala, voix ferme et puissante. Vincent Le Texier anoblit de son
altière stature le personnage de Ruggiero, et Charles Rice est un élégant
Albert.
Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Roberto Scandiuzzi (Cardinal Brogni), Rachel Harnisch (Rachel). Photo : (c) Opéra nationalo de Lyon
Côté femmes Sabina Piértolas est une princesse Eudoxie aux aigus
rayonnants, séduisante et sensuelle, vêtue d’une robe noire dont les dentelles
laissent percer les attraits sa voix solide et brûlante. Rachel Harnisch est
une Rachel ardente et tragique, son timbre de braise, sa voix d’airain, sa
diction parfaite portent la plus petite inflexion de cet ouvrage où elle est
omniprésente.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire