Paris. Festival Présences de Radio France. Auditorium. Jeudi 11 février
2016
L'Auditorium de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
Comme la
soirée d’hier à Radio France a été longue... Pourtant, sur le papier, elle
paraissait courte : moins de quatre vingt dix minutes... Mais le temps est
souvent question de relativité. Surtout en matière musicale ! Réunissant
uniquement des compositeurs italiens de renom, à l’exception d’un inconnu, du
moins pour moi, il m’était apparu attractif, avec rien moins que Ivan Fedele,
Stefano Gervasoni, Marco Stroppa et, surtout, un grand aîné mort trop tôt, Bruno
Maderna... Ce pour quoi j’avais relevé le défi de la SNCF-Ile-de-France
amplifié par l’éloignement de la Maison de la Radio dans un XVIe
arrondissement mal desservi, soit deux heures de transports aller (il est plus
long de rallier le Quai John F. Kennedy depuis la gare de Lyon que cette
dernière et Fontainebleau), et trois heures de galère retour (les travaux
nocturnes sur la ligne perdurent depuis deux ans, et obligent à emprunter un
bus depuis Melun jusqu’à Fontainebleau).
Enrique Mazzola et l''Orchestre National d'Ile-de-France. Photo : (c) Orchestre National d'Ile-de-France
Arrivé à
Radio France jusqu’à la Porte D, qui est à l’exact opposé de la Porte A, et une
fois les contrôles sécurité dédoublés franchis, la surprise d’une salle peu
garnie m’arrendait. Les rangs de fauteuils étaient quasi désertés… Seuls les
passionnés de création musicale étaient en relativement forte délégation, même
s’ils ont été loin d’être tous au rendez-vous. Certes, me suis-je dit, les
absents ayant toujours tort, le nombre de sièges vides n’est pas un critère…
Marco Stroppa (né en 1959). Photo : DR
Mais j’ai
rapidement déchanté, car, dès la toute première œuvre, la déception a été au
rendez-vous. A cause essentiellement d’un orchestre sans cohésion aux sonorités
acides, auteur de décalages rédhibitoires. Ainsi, le premier opus du
catalogue de Marco Stroppa (né en 1959), Metabolai,
composé en 1982 par un créateur prometteur de 23 ans où le piano tient une
place quasi concertante bien que placé en retrait, isolé de l’orchestre côté
jardin. Ses accords en creux résonnant pénètrent l’auditeur dans sa chair, mais
la formation Mozart (bois et cuivres par deux - sans trombones -, timbales et
cordes) a mis à nu d’entrée les carences d’un orchestre dirigé de façon relâchée
par son directeur musical, le chef espagnol Enrique Mazzola, disciple de
Daniele Gatti.
Stefano Gervasoni (né en 1962). Photo : DR
Autre grand de la musique italienne de la même génération que
Stroppa, Stefano Gervasoni (né en 1962), dont le Un leggero ritorno di cielo composé en 2003 pour vingt-deux
instruments à cordes (six premiers et six seconds violons, quatre altos, quatre
violoncelles et deux contrebasses à cinq cordes) s’est avéré ne pas être la
pièce la plus représentative, malgré un travail exigeant en divisi, à la façon des Métamorphoses pour vingt-trois cordes de
Richard Strauss, mais en moins raffiné. Là aussi, les cordes de l’ONDIF sont
apparues rêches et atones.
Ivan Fedele (né en 1953), Valentina Coladonato (soprano), Enrique Mazzola et l'Orchestre National d'Ile-de-France. Photo : (c) Bruno Serrou
L’œuvre
la plus forte et originale de la soirée a été celle d’Ivan Fedele (né en 1953), Time like that.
Ce grand cri pour la paix s’achevant dans la mélancolie, écrit en 2012 pour
soprano amplifiée et un orchestre fourni (trois flûtes, deux hautbois, deux
clarinettes, trois bassons, quatre cors, deux trompettes, trois trombones,
timbales, percussion, quatorze premiers et douze seconds violons, dix altos,
huit violoncelles, six contrebasses), repose sur des discours de trois lauréats
du Prix Nobel de la Paix, Lech Walesa (1983), Barack Obama (2009) et Aung San
Suu Kyi (1991). Incapable de nuancer en-deçà du mezzo-forte, malgré l’insistance de son chef, l’Orchestre National
d’Ile-de-France a été en outre sujet à décalages prononcés, et n’a pu rendre l’aspect
solaire de l’écriture de Fedele.
Alberto Colla (né en 1968). Photo : (c) Alberto Colla
La
seconde partie du concert a été ouverte sur une pièce interminable - quoique courte
- d’Alberto Colla (né en 1968). Présenté par Enrique Mazzola comme un
compositeur de grand talent dont il dit être son protégé depuis qu’il l’a
remarqué en 2001 durant un concours organisé par la Scala de Milan pour le
centenaire de la mort de Giuseppe Verdi, concours dont il était membre du jury,
Colla nous a ramenés aux pires moments de Présences, à l’époque ou René Bosc en
était le directeur artistique, programmant les Jean-Jacques Di Tucci, Richard Dubugnon
et autres. On trouve de tout (Ravel - lever du jour de Daphnis et Chloé -, Mahler, Richard Strauss - la Femme sans ombre -, Richard Wagner - Lohengrin -, etc.) dans cette Sérénade
sur la modulation des vents (sont-ce les instruments à vent de l’orchestre -
trois flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, trois bassons, quatre cors, deux
trompettes, trois trombones -, ou ceux de la nature ? Je n’ai pas la
réponse), commande de Radio France donnée hier soir en création mondiale… Cela
dit, repérer les sources fait passer plus vite la pilule…
Bruno Maderna (1920-1973) avec son fils Andreas en 1973. Photo : (c) Pit Ludwig
Les deux
dernières œuvres du programme étaient signées Bruno Maderna (1920-1973), magnifique
compositeur mort trop jeune pour avoir brûlé la vie par les deux bouts, membre
actif de l’Ecole de Darmstadt, éminent chef d’orchestre au répertoire plus
éclectique que celui de son ami Pierre Boulez, qui écrivit à la suite de son
décès son admirable requiem qu’est Rituel
in Memoriam Bruno Maderna. La première pièce de Maderna donnée hier soir, Serenata per un Satellite, date de 1969
et est dédiée à Umberto Montalenti, alors directeur du Centre européen de
Recherche spatiale de Darmstadt. Œuvre d’essence aléatoire, sa partition est
constituée de trames de modules indiquant le parcours de l’œuvre constitué de
croix, de courbes et de croisements à combiner librement à chaque exécution,
offrant ainsi une infinité de possibles, tandis que la représentation graphique
de la partition imprimée suggère des trajets orbitaux d’un satellite dans l’espace,
à l’instar de l’orchestre (piccolo, hautbois d’amour, clarinette, percussion,
et, côtés cordes, les seuls premiers et seconds violons) disposé d’originale
façon sur le plateau. Mazzola s’est plu à montrer la partition au public,
rappelant que le chef peut faire ce qu’il veut pourvu que les notes écrites soient
toutes jouées. Mais une fois la partition sur son pupitre, il s’est empressé d’y
coller des antisèches… La seconde œuvre de Maderna, Music of Gaiety (1971), est un concerto pour violon et hautbois sur
des thèmes baroques orchestrés par Maderna pour cordes, trois hautbois et deux
bassons. Au terme de l’exécution de cette dernière œuvre, je n’ai pu que me
dire « quel gâchis ! », alors que l’on est dans un festival de
musique contemporaine, de ne pas en avoir profité pour jouer une seconde pièce
originale de Maderna, qui est si peu joué alors qu'il est l’un des compositeurs
italiens les plus doués de la génération des années 1920…
Autre
sujet d’exaspération, la productrice de France Musique, Anne Montaron, qui
présentera sans doute le concert le jour de sa diffusion, n’en finissait pas, dans
ses préambules aux œuvres jouées devant un public qui avait toutes les
explications souhaitables dans le livre-programme, avec ses questions posées à
trois des compositeurs de la soirée (Stroppa, Fedele, et surtout, Colla, dont
les propos étaient traduits par le chef, qui, avant de laisser son poulain s’exprimer,
a raconté les circonstances de leur rencontre). Un chef bavard, de noir vêtu portant
chaussures fermées par des lacets rouges, qui est revenu à la charge pour
présenter fièrement la Sérénade pour un
Satellite de Maderna…
Bruno
Serrou
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