Genève (Suisse). Grand Théâtre. Vendredi 20 novembre 2015.
A plus d’un siècle de distance,
la comédie de William Shakespeare le
Songe d’une nuit d’été écrite en 1594-1595 a directement inspiré deux purs
joyaux du théâtre lyrique : la musique de scène en onze numéros de Felix
Mendelssohn-Bartholdy en 1843 rendue célèbre par son ouverture de 1827, et l’opéra en
trois actes de Benjamin Britten. Ce dernier a lui-même adapté le livret avec l’assistance
de son ami le ténor Peter Pears pour son propre Festival d’Aldeburgh où il a
été créé en 1960. Pour son cinquième opéra, conçu six ans après le tragique Tour d’écrou d’après Henry James, le
compositeur britannique a opté pour la féerie, l’humour primesautier. Britten réussit la gageure de rendre dans son opéra toute la dimension fantasque et poétique de la pièce de
Shakespeare, qui, au fil des interventions malicieuses et maladroites de l’elfe
Puck, démonte l’éphémère, l’inconstance et les contradictions de l’amour. Cela
avec des moyens à la fois conformes à la grande tradition lyrique et originaux,
particulièrement avec l’introduction de la voix de contre-ténor pour le
personnage d’Oberon, le langage parlé pour son serviteur Puck, et, surtout, un
orchestre de chambre aux couleurs foisonnantes incarnant l’éveil de la nature,
le romantisme du royaume des fées, le grotesque des artisans athéniens.
Tout en coupant une grande moitié
du texte de Shakespeare et en faisant débuter l’action de son opéra par la scène
du rêve qui ouvre le deuxième acte de la comédie éponyme, Britten a veillé à ne
point trahir le dramaturge élisabéthain, sauvegardant autant l’esprit que la lettre de la comédie en
ajoutant sa musique d’une force expressive et d’une diversité de couleurs et de
climats qui pénètre jusqu’au tréfonds de l’âme des personnages de cette histoire
complexe. L’action du Songe d’une nuit d’été
se déroule en Grèce, tout d’abord au cœur d’une forêt puis dans un palais, et
réunit pour mieux les désunir deux couples de jeunes amants, le tout sous le
contrôle du roi des elfes, Oberon, qui charge son serviteur Puck de le
réconcilier avec son épouse Titania. La scène la plus célèbre de la comédie de
Shakespeare, naturellement reprise par Britten, est celle de l’apparition du
tisserand Bottom affublé d’une tête d’âne que la magie de Puck fait aimer de la
reine.
Pour cette rêverie qui a fait les
beaux soirs du Festival d’Aix-en-Provence dans une production de Robert Carsen
créée en 1991 reprise avec succès l’été dernier, Katharina Thalbach situe
les trois-quarts de son action sur un tronc de femme nue amplement offert dont
les cavités et aspérités se font à la fois forêt vallonnée, trappes pour les
apparitions, niches pour les actions plus ou moins simultanées, le tout éclairé
par une lune laiteuse, avant de laisser place pour la scène finale à un tréteau
de commedia dell’arte, le tout judicieusement
conçu par Ezio Toffolutti, qui, pour le premier décor, pourrait s’être inspiré de
ce qu’a fait Alfons Flores pour la production de La Fura dels Baus du Grand macabre de György Ligeti à la
Monnaie de Bruxelles en 2009. Le public genevois, qui en a vu d’autres en
matière de sexe sur cette même scène du Grand Théâtre (rappelons ici les
productions d’Olivier Py de la Damnation
de Faust en 2003 et de Lulu en 2010) s’est volontiers laissé
porter par l’humour de l’œuvre mêlée à l’insolence onirique d’une mise en scène
pleine de surprises de la comédienne berlinoise, fille du metteur en scène
suisse Benno Besson et dont la propre fille, Anna Thalbach, campe un Puck
malicieux gaffeur au port d’acrobate.
Les dix-neuf rôles sont parfaitement
incarnés et remarquablement animés par une direction d’acteurs au cordeau. Le
contre-ténor américain Christopher Lowrey est un Oberon de noble stature, sa
reine, la soprano slovène Bernarda Bobro, a de l’abattage, la soprano
américaine Dana Beth Miller, le ténor Shawn Mathey, le baryton allemand Stephen
Genz et la mezzo-soprano américaine Stephanie Lauricella forment deux couples
d’une jeunesse inépuisable, tandis que le Bottom de la basse russe Alexey
Tikhomirov est un inaltérable battant. Ajoutons à cela la fine équipe d’enfants
personnifiant la petite troupe d’elfes. Dirigé avec précision et allant par le
chef américain Steven Sloane, l’Orchestre de la Suisse romande participe avec
éclat à la féérie en relevant sans faillir le défi de l’écriture singulièrement
virtuose de Britten.
Bruno Serrou
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