Paris, Philharmonie de Paris, jeudi 3 septembre 2015
Andris Nelsons. Photo : DR
Somptueuse affiche pour l’ouverture de saison musicale
parisienne offerte par la Philharmonie de Paris à son public. La plus grande salle de concerts parisienne a en effet invité pour
l’occasion le Boston Symphony Orchestra dans le cadre de sa première tournée en
Europe avec son nouveau directeur musical, Andris Nelsons, qui vient de
succéder à l’Américain James Levine. En prélude à sa cent trente cinquième
saison, la somptueuse phalange états-unienne, l’un des fameux « Big Five »
US qui est aussi le plus « français des orchestre d’outre-Atlantique »
(ses trompettistes continuent à jouer sur des instruments à pistons, alors-même
que les orchestre français adoptent de plus en plus la trompette à palettes), a
présenté un programme germano-russe plongeant dans le postromantisme, avec une œuvre
de la fin du XIXe siècle allemand et une du deuxième tiers du XXe
siècle russe.
Boston Symphony Orchestra Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
Avant son arrivée, le Boston Symphony Orchestra n’avait
pas caché leur plaisir de découvrir la nouvelle salle parisienne où s’est déjà
produit leur nouveau « boss » et dont la réputation s’est rapidement
répandue à travers le monde, comme l’atteste l’exigence de Simon Rattle lorsqu’il
a été approché par le London Symphony Orchestra, posant comme condition que
Londres suive l’exemple de Paris en construisant avant sa venue un salle de
concert comparable à la Philharmonie de Paris, alors-même que Londres dispose
déjà d’un parc plutôt fourni et de qualité. L’on a bien perçu d’ailleurs que l’orchestre
nord-américain, malgré l’expérience du lieu son chef letton, a tâtonné dans la
mise en place de ses pupitres, les équilibres entre ayant été loin d’être convainquants.
Ainsi, avoir placé dans le Don Quichotte
de Richard Strauss le tuba ténor à côté de la clarinette basse a fait que
chacune des interventions de cet instrument n’a cessé de couvrir cordes et bois,
tandis que le violoncelle solo n’a pas toujours été clairement perceptible,
au-delà des moments au cours desquels il se doit de se fondre au sein de l’orchestre.
En outre, placé au centre des fauteuils d’orchestre, excellente place au
demeurant, le temps de réverbération relativement lent a suscité plusieurs fois
un écho parfois gênant.
Yo-Yo Ma (violoncelle), Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra répètent Don Quichotte de Richard Strauss Philharmonie de Paris. Photo : (c) Philharmonie de Paris
Don Quichotte de
Richard Strauss
L’on sait les affinités d’Andris Nelsons pour Richard
Strauss (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/01/la-jeunesse-du-chef-andris-nelsons-et.html
; http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/03/jonas-kaufmann-andris-nelsons-et-le.html),
et le chef letton, disciple de Mariss Jansons, n’a pas failli dans Don Quichotte. Avec un orchestre aux
textures lumineuses et plus souples que celles des orchestres avec lesquels il
s’était produit jusqu’à présent à Paris (Orchestre de Paris, City of Birmingham
Symphony Orchestra, Royal Concertgebouw Orchestra), il a réussi la gageure
d’exalter l’écriture foisonnante et sensuelle du compositeur bavarois, mais
aussi à lui donner une profondeur, un souffle métaphysique qui siéent à cette œuvre
épique. Ample
partition à l’écriture dense, virtuose et à l’orchestration foisonnante, le
trop rare poème symphonique Don Quichotte
op. 35 (1897) sous-titré « (Introduzione, Tema con Variazioni e Finale)
Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque pour grand
orchestre », variations qui, au nombre de dix, content en autant
d’étapes les aventures du chevalier à la triste figure (personnalisé par le
violoncelle solo) immortalisé par Miguel de Cervantès accompagné de son écuyer
Sancho Pança (alto) et du fantôme de Dulcinée (violon), premier volet du
diptyque Held und Welt de Richard
Strauss dont la seconde partie n’est autre que Une Vie de Héros op. 40
(1897-1898) - diptyque au demeurant très peu proposé par les organisateurs de
concert. La lecture d’Andris Nelsons a été épique à souhait, le chef letton
tirant profit de la fluidité et des timbres luminescents de son orchestre de
Nouvelle Angleterre, qui se sont avérés d’une plénitude plus affermie que celle
du violoncelliste soliste tenu par l’une des figures les plus populaires parmi
les musiciens, Yo-Yo Ma (1). L’Américain d’origine chinoise né en France a été
peu présent dans cette œuvre, comme s’il était fatigué, ne parvenant pas
toujours à se faire entendre, tirant de son instrument des sonorités sans
volume et trop fines, ne donnant pas en outre la dimension chevaleresque de l’anti-héros
straussien, préférant l'onirisme mais omme luttant avec un
instrument réfractaire que l’on sentait pourtant capable de puissance et de
colorations carnées. Malgré son immense talent, Ma n'a pas témoigné de vigueur et d'héroïsme, malgré des
gestes parfois emphatiques et des mimiques pompeuses, préférant l'introspection et la méditation. En revanche, le remarquable premier alto du BSO, Steven Ansell, membre fondateur du Muir
String Quartet, avec son jeu incroyablement sûr et ses sonorités ardentes
et charnues, a incarné un extraordinaire Sancho Pança ,à l’instar de Malcolm
Lowe, son Concertmaster, qui a campé une ardente Dulcinée.
Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou
Symphonie n° 10 de Dimitri Chostakovitch
Tandis que paraît chez DG leur
enregistrement de la même œuvre réalisé au Symphony Hall de Boston en avril
dernier (1), le Boston Symphony Orchestra et Andris Nelsons ont donné la Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93 que
le chef letton avait déjà dirigée à la tête du Royal Concertgebouw d’Amsterdam
en mars dernier en cette même Philharmonie de Paris (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/somptueux-concert-du-royal.html)
Commencée peu après la mort de Serge
Prokofiev et de Joseph Staline (le compositeur écrit dans ses Mémoires qu’il y est question de
Staline, alors qu’il avait déclaré lors de la création qu’il avait voulu y
exprimer les sentiments et passions humains), achevée en octobre de la même
année, créée à Leningrad le 17 décembre 1953 sous la direction d’Evgueni
Mravinski, la Dixième Symphonie de
Chostakovitch s’ouvre sur un vaste Moderato
sombre et pessimiste qui donne à l’œuvre entière une tristesse incommensurable.
Les thèmes longuement étirés et la tension croissante qui perdure jusqu’à
l’ultime point culminant ramènent au climat de la Huitième Symphonie composée dix ans plus tôt. Disciple De Mariss
Jansons, Nelsons a été formé à l’aune de l’univers de Chostakovitch. Comme son
maître, il gomme le côté messe de gloire à la révolution soviétique pour lui
donner un tour quasi brucknérien. Le jeune chef letton avait su trouver avec le
Concertgebouw d’Amsterdam le juste équilibre des masses, clairement définies
dans l’espace, tirant un merveilleux parti de l’acoustique de la Philharmonie,
ménageant de bouleversants et intenses moments tout en retenue et en nuances,
parfois à la limite du silence, pour mieux souligner les saillies et les
violences hallucinées, faisant ainsi de cette symphonie un requiem pour
Staline, le dictateur sanguinaire, et pour Prokofiev, le compositeur muselé par
le précédent au point de mourir le même jour que lui, le 5 mars 1953, quatre
mois avant que Chostakovitch s’attèle à cette Dixième Symphonie.
Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra. Photo : (c) Philharmonie de Paris
Le Boston Symphony Orchestra s’est
avéré moins investi et moins sûr dans cette œuvre qu’il l’est dans le somptueux
enregistrement évoqué plus haut (2). Néanmoins, la clarté, la vélocité des
pupitres, la rutilance des cuivres, le velouté des bois étaient bien tels qu’on
les attendait de la part de cet extraordinaire ensemble. Mais, là aussi, comme
dans Strauss, les équilibres n’étaient pas parfaits, l’acoustique, qui avait
été extraordinairement exploitée et valorisée lors en mars dernier dans la même
œuvre et avec le même chef, mais avec le Concertgebouw, apparaissant moins
flatteuse et chaude avec le Boston Symphony Orchestra - mais,
en mars, je n’étais pas assis à l’orchestre mais à la corbeille. Néanmoins, emportant la
partition avec vivacité, Nelsons affine le côté musique de propagande,
s’attardant pour les magnifier sur les moments où le compositeur laisse couler
son aspiration épique. Il instille ainsi une densité mâle au pathos et à la
pompe qui submergent si l’on n’y prend garde cette œuvre. Son long corps entièrement
enfoui dans l’orchestre, il structure le sombre et accablant mouvement initial
tel un architecte, donnant d’un geste ample mais précis de la main droite, alternativement
avec ou sans baguette, départs, nuances et expressions, tandis que la main
gauche marque la moindre modulation de tempo, occasion de gouter l’onirisme
volubile des solos de clarinette puis de flûte, enfin des deux piccolos
suprêmement chantants. La gestique du chef estonien est très expressive, et
captive le regard du spectateur autant que celui des musiciens. Il pétrit dans
la main gauche la pâte sonore, souligne la moindre inflexion du discours et
dessine jusqu’à la plus discrète intention du compositeur. Nelsons dirige l’air
de ne pas y toucher le bref mais implacable Scherzo
aux rythmes fantastiques. Dans le complexe Allegretto,
où Chostakovitch intègre un thème fondé sur ses initiales allemandes [D Sch -
ré (D) mi bémol (Es), do (C), si (H)] dont le climat renvoie à celui du
mouvement initial dont le premier thème réapparaît au cœur du morceau. Ce
pessimisme patent magnifié par le chant plaintif des hautbois, flûte et basson
solos, s’éclaire peu à peu dans la frénésie de l’Allegro final, où la musique se fait soudain simple et enjouée.
Tout au long de l’exécution de l’œuvre, il était impossible de résister au
lustre des mémorables soli de bois, particulièrement
de clarinette et de flûte, mais aussi de basson, de cor anglais (Robert Sheena)
et de hautbois, tandis que solo de cor (James Sommerville) et de violon (Malcolm
Lowe) se sont particulièrement distingués, à l’instar des altos, des
violoncelles et des contrebasses dans leur ensemble, sans que le tutti des BSO atteigne le niveau de
plénitude de celui du RCO.
Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra dans leur bis. Photo : (c) Bruno Serrou
Peut-être était-ce dû à la fatigue suscitée par la longue tournée européenne du Boston Symphony Orchestra qui touchait à sa fin à Paris... Néanmoins, pour répondre aux appels insistants du nombreux public venu écouter ce fabuleux orchestre et son chef exceptionnel, et pour en rester à Chostakovitch, Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra ont donné en bis un foudroyant Galop tiré de l'opérette Moscou-Tcheriomouchki (Moscou quartier des cerises).
Bruno Serrou
1) Sony Classical vient de
publier un CD intitulé « Yo-Yo Ma obrigado
Brazil Live in Concert » (SK 90970)
2) CD « Chostakovitch Under
Stalin’s Shadow » DG 479 5059 (avec la Passacaille
servant d’interlude de l’Acte II de Lady
Macbeth du District de Mtsensk)
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