La Côte-Saint-André (Isère), Chapiteau de la Cour du Château Louis XI,
samedi 29 août 2015
L'église Saint-André de La Côte-Saint-André au clair de lune du 29 au 30 août 2015. Photo : (c) Bruno Serrou
Absent cinq soirs de suite de l’affiche du festival qui
porte son nom, Hector Berlioz a retrouvé hier le plateau de la Cour du Château
Louis XI. Avec deux cantates de jeunesse, la Scène héroïque (La Révolution grecque), H. 21 composée en 1825-1826
revue en 1833, et Sardanapale, H 50
de 1830.
Eugène Delacroix (1798-1863), La Mort de Sardanapale (1827). Photo : DR
La Mort de Sardanapale
C’est avec cette seconde œuvre que Leonard Slatkin et l’Orchestre
National de Lyon, fidèles voisins du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André,
ont ouvert leur concert. Il s’agit de la cantate qui permit à Berlioz de
remporter en 1830 le Premier Grand Prix de Rome qui, à la quatrième tentative,
lui ouvrait les portes de l’Académie de France à Rome et du séjour à la Villa
Médicis. Cette œuvre pour ténor, chœur et orchestre créée le 30 octobre 1830 à
l’Institut de France se fonde sur un texte de Jean-François Gail sur le thème
imposé cette année-là tiré du tableau la
Mort de Sardanapale peint en 1827 par Eugène Delacroix (1798-1863) inspiré
d’un drame de Lord Byron. « Je terminai ma cantate quand la révolution [des
« Trois Glorieuses »] éclata, écrira plus tard Berlioz dans ses Mémoires. […] Et j’écrivais, j’écrivais
rapidement les dernières pages de mon orchestre, au bruit sec et mat des balles
perdues, qui, décrivant une parabole au-dessus des toits, venaient s’aplatir
près de mes fenêtres. » Cette cantate dont manuscrit est perdu est la plus
académique des quatre que Berlioz a écrites pour le Concours de Rome, ce qui
dit combien le jeune compositeur tenait au séjour en Italie. « Depuis que
le prix m’a été décerné, j’ai ajouté un grand morceau de musique descriptive,
pour l’incendie de Sardanapale ; je ne craignais plus les académiciens et
j’ai laissé agir mon imagination », reconnaîtra-t-il après avoir peaufiné
sa cantate. L’écoute de cette œuvre dit combien Berlioz a contenu sa verve créatrice
personnelle pour se fondre dans le moule rigide du jury constitué de membres
musiciens ou pas des cinq académies de l’Institut de France. Elle a néanmoins
permis au ténor Bogdan Volkov de déployer sa voix fruitée, fluide et sûre, et
aux effectifs choraux formés des Chœurs Spirito, de Lyon et Britten de s’échauffer,
avant d’aborder la seconde page berliozienne de la soirée.
Le Serment à Aghia Lavra de Theodoros P. Vryzakis (1814-1878) comémorant le soulèvement du 25 mars 1821. Photo : DR
La Révolution grecque
La Scène héroïque
La Révolution grecque, H 21, que Berlioz conçut à l’âge de vingt-deux ans,
en 1825-1826 avant de la réviser sept ans plus tard. Ecrite sur un livret d’Humbert
Ferrand (1805-1868), également signataire de celui de l’opéra inachevé les Francs-Juges op. 3. Esprit épris de
liberté, Berlioz célèbre ici la guerre d’indépendance du peuple grec contre l’occupant
turc commencée en 1821 et qui se conclura en 1829 sur la sortie de la Grèce de
l’Empire ottoman. Clin d’œil à la situation actuelle de la Grèce, la
programmation de cette cantate profane dit
combien Berlioz excelle dans les descriptions conflictuelles et guerrières,
tant sn orchestre est puissant, coloré, vibrant et extraordinairement
descriptif. L’Orchestre National de Lyon en a donné sous la direction un peu
relâchée de Leonard Slatkin une interprétation puissante voire tonitruante,
laissant néanmoins percer les deux voix de basse, l’une, celle de Derek Walton,
plus épanouie et colorée que l’autre, celle de Michel de Souza, tandis que les Chœurs
ont incarné le peuple guerre se libérant avec élan.
Orchestre National de Lyon, Choeur Spirito, Choeurs et Solistes de Lyon, Choeur Britten. Photo : (c) Bruno Serrou
La Neuvième Symphonie
Mais c’est l’hymne à la fraternité qu’est la Neuvième Symphonie de Beethoven que l’Union
Européenne s’est approprié pour indiquer son objet, l’union des peuples d’Europe
en une même entité pour un avenir commun et fraternel qui a constitué le clou
de la soirée. Beethoven aura été omniprésent dans cette édition du Festival
Berlioz de La Côte-Saint-André qui aura réuni les figures romantiques musicale
et politique que sont l’enfant du pays pour la première et Napoléon Bonaparte
pour la seconde. Composée en 1822-1824, créée à Vienne le 7 mai 1824, cette Symphonie n° 9 en ré mineur op. 125 dédiée
au roi Frédéric-Guillaume III de Prusse ouvre de nouvelles perspectives au
genre symphonique, dont elle transcende les limites fixées par le classicisme,
plus particulièrement par des compositeurs comme Joseph Haydn et Wolfgang Amadeus
Mozart. Berlioz s’en souviendra, débordant avec ses propres symphonies le cadre
beethovenien qui lui servira de socle pour sa Symphonie fantastique en cinq mouvements et, plus encore, avec sa Symphonie « Roméo et Juliette »
pour solistes et chœur, et, plus tard, Gustav Mahler, entre autres, dans ses Symphonies n° 2, n° 3 et n° 8 « des
Mille ». Cette œuvre monumentale dans laquelle Wagner verra « la
dernière des symphonies » et qui traumatisa Brahms au point qu’il mit
quinze ans pour arriver à bout de la première de ses quatre symphonies, marque
de fait un tournant dans l’histoire de la symphonie en particulier et de la
musique en général. Beethoven envisageait depuis longtemps de mettre en musique
l’Hymne à la Joie du poète dramaturge
allemand Friedrich von Schiller (1759-1806) dont il utilisa l’un des vers en
1805 dans le finale de son opéra Fidelio.
En 1808, il composa ce qui se présente comme une grande esquisse préparatoire à
la Neuvième Symphonie, la Fantaisie pour piano, chœurs et orchestre en
ut mineur op. 80 sur un poème de Christophe Kuffner (1780-1846) dont le
thème principal de la section chantée préfigure l’Hymne à la Joie. Outre l’originalité vocale pour quatre solistes et
chœur, le finale introduit dans l’orchestre deux piccolos, un contrebasson et trois
tessitures de trombones, qui interviennent également dans le Scherzo, et une
riche percussion pour la « musique turque ».
Sylvia Schwartz, Henriette Gödde, Leonard Slatkin, Bogdan Volkov, Michel de Souza, Orchestre National de Lyon, Choeurs et Solistes de Lyon, Choeur Britten. Photo : (c) Bruno Serrou
Leonard Slatkin a dirigé mollement cette œuvre qui
célèbre pourtant avec force la grandeur de l’humanité, et n’a pas fait
tressaillir le public dans le Scherzo
pourtant porteur de la mélodie du finale, malgré les efforts du timbalier pour
susciter l’effroi, ni donné à l’Adagio molto
e cantabile le souffle généreux et le caractère chaleureusement chantant
qui aurait dû donner des frissons à l’auditeur, tandis que le finale a manqué d’élan
et d’homogénéité, chaque section semblant se succéder sans jamais s’enchainer
et moins encore s’enchâsser - ce n’est pourtant pas faute d’engagement de la
part des violoncelles et des contrebasses. Malheureusement placés devant l'orchestre autour du pupire du chef alors que Beethoven spécifie que « venues du cœur, qu[e les voix solistes] retournent au chœur », le quatuor vocal n’a pas démérité, avec d’excellentes
interventions de la soprano Sylvia Schwartz, de la mezzo-soprano Henriette
Gödde et, surtout, du ténor Bogdan Volkov, cela malgré le choix de la basse
porté sur Michel de Souza au lieu de Derek Walton, qui avait pourtant convaincu
dans la Scène héroïque La Révolution
grecque de Berlioz. Préparés par Michel Tétu, les Chœurs Spirito, de Lyon
et Britten ont heureusement porté le message humaniste de l’Hymne à la Joie.
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Joueurs de serpents sous la Halle de la Côte-Saint-André. Photo : (c) Bruno Serrou
Histoire de cuivres
Dans l’après-midi, sous la halle médiévale de La
Côte-Saint-André, tandis que se déroulait une brocante napoléonienne, les
cuivres du Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz ont présenté au public la
panoplie des cuivres anciens qu’ils ont également joués, courant du serpent de
l’époque Renaissance aux timbres caverneux et bruts aux divers ophicléides
introduits par Berlioz dans son orchestre, en passant par cors à piston,
trompettes à perces et trombones de toutes tailles.
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Au programme de ce dimanche 31 août, qui est aussi la
journée de clôture du Festival Berlioz 2015, un récital d’orgue en l’église de
Voiron à 17h par Maria Magdalena Kaczor, un concert Haydn/Beethoven par le
Quatuor Zaïde, toujours à 17h, mais en l’église Saint-André à La
Côte-Saint-André, La Clique des Lunaisiens au Musée Hector-Berlioz à 18h et,
pour conclure en apothéose, la Fête musicale et funèbre par l’Orchestre de la
Garde Républicaine dirigé par François Boulanger sous le chapiteau de la Cour
du Château Louis XI
Bruno Serrou
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