jeudi 30 juillet 2015

Pierre Amoyal, le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec ont ouvert le Festival Pablo Casals de Prades 2015

Prades (Pyrénées-Orientales), Festival Pablo Casals, Eglise Saint-Pierre de Prades et Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, dimanche 26 et lundi 27 juillet 2015

L'Abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou

Créé voilà soixante-cinq ans par le grand violoncelliste dont elle porte le nom arrivé à Prades en 1939 après le coup d’Etat franquiste et la chute de la République espagnole à Barcelone, le Festival Pablo Casals irrigue depuis sa fondation toute une région de la Catalogne française, le Conflent, de Rodès à Mont-Louis, avec Prades, la capitale, pour épicentre.

Le retable baroque de l'Eglise Saint-Pierre de Prades. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est à Prades qu’a été organisé à l’instigation de Casals le tout premier concert, le 2 juin 1950, au pied du célèbre retable de l’église Saint-Pierre qui évoque la vie de l’apôtre à qui le Christ a confié les clefs du paradis. Au programme, Jean-Sébastien Bach, bicentenaire de la mort du Cantor de Leipzig oblige et seul compositeur à pouvoir sortir Casals de son mutisme. Ce concert a réuni autour de lui rien moins que son confrère Paul Tortelier, les violonistes Isaac Stern, Alexander Schneider, Joseph Szigeti, l’altiste William Primrose, le pianiste Rudolf Serkin… En un mot comme en cent, les plus grands musiciens de la planète. Ils y ont découvert des édifices d’une âpre beauté, telle l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa rénovée grâce à Casals et dont les pierres racontent l’histoire du festival dont elle est le centre névralgique. « Nous allons aussi sur les traces des peintres, remarque Michel Lethiec, directeur artistique du festival. Par exemple à Céret, où Picasso, ami des musiciens, a offert une collection d’assiettes au musée. La conservatrice nous y accueille et nous mettons en regard musique et peinture. Nous improvisons sur les œuvres exposées qu’elle présente. Nous faisons la même démarche au musée de Sérignan. Au Palais des Rois de Majorque de Perpignan, où jouait Casals, nous offrons chaque année un concert grand public gratuit. Nous allons jusque dans l’Hérault, à Saint-Guilhem-le-Désert, où le maire nous prête l’abbaye de Gellone. » Autres cadres uniques pour un festival, la Grotte des Grandes Canalettes, le Prieuré de Serrabonne, les églises de Cattlar, Corneilla-de-Conflent, Villefranche-de-Conflent et Vinça, Vernet-les-Bains, le Grand Hôtel de Molitg-les-Bains où Casals descendait pour des cures et où son piano est toujours exposé tandis que son carillon le Chant des oiseaux sonne les heures, l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou… « Nous choisissons nos programmes en fonction des lieux, confie Lethiec. Par exemple les ’’mélodies en sous-sol’’ dans la grotte, avec une œuvre en sol mineur et une autre dédiée aux victimes du tremblement de terre de Tōhoku. » Ainsi, à Prades, dans la continuité humaniste de Casals, musique et patrimoine sont étroitement mêlés, agrégeant pédagogie, humour, sensibilité artistique et tourisme.

Pierre Amoyal, Jurek Dybal et le Sinfonietta Cracovia. Photo : (c) Hugues Argence

Le programme du premier concert de l’histoire du Festival Pablo Casals de Prades reconstitué

Cette année, j’ai personnellement été un peu décontenancé par le calme qui a régné sur Prades durant les deux jours que j’y ai passés. En effet, contrairement à mes habituels séjours, trois ans après mon dernier passage dans ce festival que je fréquente depuis plus de vingt ans, les cent quarante six stagiaires de vingt-deux nationalités de l’Académie internationale de musique qui animent généralement la paisible cité du pied du Mont Canigou n’étaient pas encore arrivés, et, n’assistaient donc pas aux concerts de leurs professeurs. Il n’empêche, organisé dans la nef de l’Eglise Saint-Pierre, le concert d’ouverture était archi-comble. Il faut dire que le soliste à l’affiche ce soir-là est aussi célèbre que rare, puisqu’il s’agissait du violoniste Pierre Amoyal, célébrité qui va bien au-delà du vol en 1987 en Italie de son Stradivarius qu’il avait laissé le temps d’une emplette dans sa Porsche non fermée à clef, et qu’il retrouvera quatre ans plus tard. Contrairement aux musiciens invités à Prades appelés à se produire plusieurs fois et à séjourner durant les deux semaines de l’Académie, Amoyal n’aura fait que passer le temps de cette soirée. Il s’agissait pour Michel Lethiec de présenter le même programme pour l’ouverture de l’édition 2015 que celui du tout premier rendez-vous de l’histoire du festival, en juin 1950, avec une tête d’affiche aussi réputée que toutes celles réunies voilà soixante-cinq ans. Mais, si Pierre Amoyal est apparu digne de sa réputation et de ses aînés, ce n’aura pas été le cas de l’ensemble polonais qui lui a donné la réplique, le Sinfonietta Cracovia dirigé par Jurek Dybal, infiniment moins aguerri que celui de 1950. Le Concerto brandebourgeois n° 6 en si bémol majeur BWV 1051 pour deux violes « da braccio », deux violes de gambe, un violoncelle et basse continue a beau avoir été joué sur instruments modernes (à l’exception du clavecin), les parties d’altos ont rapidement révélé la virtuosité limitée des cordes de cette formation en effectifs réduits.

Pierre Amoyal. Photo : (c) Hugues Argence

Même impression dans le Concerto pour deux violons en ré mineur BWV 1043, les sonorités solaires et le jeu maîtrisé d’Amoyal ne trouvant pas son pendant dans son partenaire d’un soir, Maciej Lulek, violon solo du Sinfonietta Cracovia, à l’archet pesant et dur et à la justesse approximative. Soutenu par un ensemble plutôt discret, Amoyal a imposé son jeu assumé et sa plénitude sonore dans le Concerto pour violon en mi majeur BWV 1042, tandis que, pour finir, les cordes de la formation polonaise étaient favorablement rejointes par des bois (deux hautbois et un basson) solides et onctueux. Contrebassiste au sein du Philharmonique de Vienne et directeur du Sinfonietta Cracovia, Jurek Dybal n’économise guère son énergie, s’investissant à l’excès en regard des nécessités des œuvres programmées et des résultats qui émanent de sa gestique pour le moins envahissante - que sera-ce lorsqu’il dirigera la Symphonie « des Mille » de Mahler ?...

Le choeur de l'Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec

Dans la salle emblématique du Festival de Prades qu’est l’Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, devant un parterre moins fourni que la veille, le public ayant sans doute été refroidi par la présence au programme d’une « œuvre contemporaine », le Fine Arts Quartet de Chicago a imposé sa technique et son entente infaillibles. Une curiosité, le premier des deux Quatuor à cordes de Serge Rachmaninov, celui composé à l’âge de 16 ans et qu’il laissa inachevé au terme du second mouvement, Scherzo - le second quatuor, quoique de sept ans postérieur et révisé en 1910 et 1913, subira le même sort. L’originalité de cet essai est la Romance initiale exécutée d’un bout à l’autre avec sourdines et l’évocation au violoncelle de la balalaïka.

Michel Lethiec, directeur du Festival Pablo Casals de Prades, présente le concert du 28 juillet 2015 en l'Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou

La pièce centrale du programme était la première audition en France d’un très long quintette du compositeur états-unien David Del Tredici (né en 1937), Magyar Madness pour clarinette et quatuor à cordes, donné en présence de son auteur par le Fine Arts Quartet rejoint par Michel Lethiec. « Les compositeurs américains sont les meilleurs, s’est aventuré Del Tredici dans une interview de juillet 2002. Actuellement, nous sommes le cœur de l’énergie créatrice. Nous sommes les plus hétéroclites, les plus iconoclastes, les plus francs-tireurs, les plus habiles. Autant que je puisse le mesurer, l’Europe est encore claquemurée dans une sorte d’étau atonal. Ses compositeurs ont de très pauvres parents - si vous pensez à Stockhausen, Boulez, Nono, l’ensemble de ces gens sont des morts-vivants accrochés à des cintres -, alors qu’en Amérique nous sommes épanouis. Nous sommes toutes sortes de choses, minimalistes, tonals, atonals, pop’ music intégrée à la musique contemporaine… L’Amérique est un immense chaudron singulièrement vivant. Cela me rappelle le début du XXe siècle où tout se passait en Europe, qui était alors variée et multiple. » Avec de telles convictions, il était permis d’espérer quelque audace de la part de ce « créateur ». 

Le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec. Photo : (c) Hugues Argence

Or, la seule impression qui est résultée de cette partition de plus de quarante minutes, en dehors de son introduction plutôt confuse au point de titiller brièvement l’oreille, est la somnolence, le vide sidéral, le néo-tout-ce-que-l’on-veut mais tragiquement en-deçà des originaux, y compris de Cole Porter dont un court standard revient constamment et finit par vite lasser. Seule la clarinette, totalement absente dans le mouvement lent central, séquence interminable néo-larmoyante réservée au seul quatuor, se voit offrir le privilège d’un traitement non pas plus audacieux mais plus varié, indépendant et virtuose, ce dont a su profiter Michel Lethiec pour se mettre opportunément en valeur, tandis que le Fine Arts Quartet assumait a minima sa partie.

Le Fine Arts Quartet. De gauche à droite : Robert Cohen (violoncelle), Ralph Evans (premier violon), Juan-Miguel Hernandez (alto) et Efim Boico (second violon). Photo : (c) Bruno Serrou 

Ce qui n’a pas été le cas dans le Quatuor à cordes n° 1 en la mineur op. 41/1 de Robert Schumann. Les quatre archets de Chicago ont offert une interprétation saisissante, avec le premier violon tenu par Ralph Evans dont on eut cependant aimé un peu plus de luminosité, le violoncelle chaleureux de Robert Cohen et, surtout, l’alto de Juan-Miguel Hernandez exaltant des sonorités épanouies et charnelles, ont érigé un dialogue voluptueux, tandis que le second violon d’Efim Boico y a apporté sa touche aussi délectable qu’efficace de couleurs et de flamme.

Bruno Serrou

Le Festival Pablo Casals de Prades continue jusqu’au 13 août 2015. www.prades-festival-casals.com


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