Annecy. Ve Annecy Classic Festival, Eglise
Sainte-Bernadette, dimanche 24 août 2014
Annecy. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour
la seconde journée de l'unique
week-end de la décade de l’Annecy Classic Festival, les concerts se sont
bousculés avec deux concerts aux programmes copieux séparés par un interstice
de moins de deux heures dans l’enceinte de l’église Sainte-Bernadette, centre
névralgique de la manifestation depuis le lancement de sa nouvelle formule en
août 2010.
Annecy Classic Festival. Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Les Cris de Paris et Chœur d'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Yannick Perrin
Concert de musique spirituelle de l’Académie Vocale et de l’Orchestre Philharmonique de
Saint-Pétersbourg
Conformément
à la tradition, dimanche oblige, c’est sur un concert de musique chorale d’inspiration
religieuse dirigé par Patrick Marco qui a attiré un auditoire fourni dans
l’enceinte de l’église Sainte-Bernadette. Directeur du Conservatoire de Puteaux, Chef du Chœur de l'Orchestre Lamoureux et de la Maîtrise de Paris, ensemble vocal mixte d’enfants
qui compte aujourd’hui près de cent vingt chanteurs attaché au Conservatoire à
Rayonnement Régional de Paris et qui se produit dans les grandes institutions
musicales parisiennes, notamment à l’Opéra de Paris et Salle Pleyel avec divers
orchestres (on a notamment pu l’entendre dans la Symphonie n° 3 de Mahler avec le San Francisco Symphony Orchestra
dirigé par Michael Tilson Thomas), Patrick Marco anime chaque année à Annecy un
Atelier vocal qui réunit autour de sa maîtrise et d’un chœur
professionnel, cette année Les Cris de Paris que son directeur fondateur
Geoffroy Jourdain a confié à Marco le temps de ce campus, une centaine d’amateurs
rassemblés sous le label Chœur d’Annecy Classic Festival. Au programme de la
session 2014, trois extraits des Vêpres
solennelles d’un confesseur KV. 339 et la Messe du Couronnement en ut majeur KV. 317, deux œuvres de Mozart conçues
en 1779 que Marco allait faire exécuter avec le luxueux Orchestre
Philharmonique de Saint-Pétersbourg.
Jiwon Song (baryton) et Julien Vanhoutte. Photo : (c) Yannick Perrin
Mais
pour la première partie de ce concert, c’est un autre chef, Julien Vanhoutte,
qui s’est vu confier la création d’une pièce déjà ancienne de Richard Dubugnon
(né en 1968). Bien que le compositeur-contrebassiste franco-suisse ait
officiellement répondu à une commande du festival, l’Adoration de la Croix op. 9 a été conçue voilà plus de vingt ans.
Cette pièce illustre des textes grecs et latins utilisés depuis le XIIe
siècle le Vendredi-Saint et fait appel à un effectif peu usité constitué d’un célébrant-baryton,
d’un chœur mixte, d’un chœur d’enfants, d’un quintette de cuivres (cor, deux
trompettes, trombone, tuba), de timbales et d’un orgue. D’aucuns se souviennent
de la création Salle Pleyel en décembre 2008 par l’Orchestre de Paris dirigé
par Esa-Pekka Salonen avec Janine Jansen en soliste devant un Henri Dutilleux
consterné d’un Concerto pour violon op. 45 de Dubugnon pour le moins convenu et fleurant la naphtaline. Composée en 1993-1994, révisée par deux fois, en 1997 et 2007, cette partition est
légèrement plus téméraire que le concerto de quatorze ans son cadet, du moins
par ce que j’ai pu en juger assis au premier rang non loin des pavillons du
bataillon des cuivres et d’un orgue qui me cachaient les effectifs choraux placés
le long du mur du fond du chœur de l’église. Cette page d’une vingtaine de
minutes a mis mes oreilles en capilotade au point de déclencher des acouphènes
qui perdurent vingt-quatre heures après. L’exécution, qui a réuni un solide
baryton, le bien nommé Jiwon Song, un ensemble de cuivres de l’Orchestre
Philharmonique de Saint-Pétersbourg, la Maîtrise de Paris et les Cris de Paris,
a été précédée d’une présentation de la pièce par son auteur sans une once
d’humilité (« … vous entendrez ensuite un très joli passage… ») et
dirigé de la même façon par Julien Vanhoutte, ne laissant aucun autre souvenir
que les troubles auditifs suscités par la proximité des cuivres qui a ruiné un
long moment mes capacités auditives.
Patrick Marco. Photo : DR
Sous la direction fougueuse et volontaire de Patrick
Marco, les deux œuvres de Mozart se sont déployées de façon énergique, sonnant
large mais placé comme je l’étais, je n’ai pu goûter l’exécution dans sa pleine
mesure, collé que j’étais aux six seconds violons et, à leur droite, aux six
altos ainsi qu’à l’orgue, alors que les effectifs choraux, qui ont associé amateurs de l’Académie et professionnels de la Maîtrise de Paris et des Cris de
Paris, étaient trop loin de l’orchestre, le long du mur du fond. Ce qui
est regrettable, car Mozart était servi par un orchestre de tout premier plan
et un ensemble choral d’une incontestable cohésion, tandis que le quatuor vocal
solistes constitué de Suzanne Jérosme (soprano), Anne Reinhold (mezzo-soprano),
Jean-François Novelli (ténor) et Sevag Tachdjian (basse) s’est montré cohérant
avec ses voix jeunes et encore peu puissantes mais en phase avec l’humilité
spirituelle de ces deux œuvres d’un Mozart de vingt-trois ans.
Annecy Classic Festival. Vladimir Spivakov et Les Solistes de Moscou. Photo : (c) Yannick Perrin
Vladimir
Spivakov, les Solistes de Moscou, Anastasia Kobekina et Denis Matsuev
Quatre vingt dix minutes après la fin du concert
Mozart/Dubugnon, Vladimir Spivakov à la tête de ses Virtuoses de Moscou offrait
pour son soixante-dixième anniversaire un concert d’une très haute tenue, qui
dit combien ce musicien russe qui s’imposa tout d’abord comme un grand
violoniste, est devenu un excellent chef d’orchestre. Tout en poursuivant une carrière
de soliste et de chambriste dans le monde entier (il prépare une tournée
automnale aux Etats-Unis), et en animant le Festival international de musique
de Colmar depuis 1989, il se produit toujours davantage en tant que chef, non
seulement avec Les Virtuoses de Moscou qu’il a fondés en 1979 avec ses amis
solistes, lauréats de concours internationaux et premiers pupitres des grands
orchestres russes dont les effectifs se sont considérablement renouvelés en
trente-cinq ans, mais aussi avec le National Philharmonique de Russie qu’il a créé
en 2003.
Annecy Classic Festival. Denis Matsuev et Vladimir Spivakov. Photo : (c) Yannick Perrin
Le geste précis mais jamais agité, il fait corps
avec son orchestre dont le nom n’est pas usurpé, tant tous les musiciens
s’avèrent d’indubitables virtuoses. La Sérénade
pour cordes en ut majeur op. 48 de Tchaïkovski a séduit par son
interprétation conquérante et déliée, enlevée et objective, jouée sans traîner
et sans pathos, les Virtuoses de Moscou exaltant des sonorités charnues et
lumineuses, donnant à cette partition d’essence classique un tour subtilement
classique, qui a judicieusement préludé aux deux œuvres qui la suivaient. Tout
d’abord le Concerto n° 17 pour piano et orchestre
en sol majeur KV. 453 (1784) de Mozart, avec en soliste Denis Matsuev. Préparant
l’entrée du soliste sur un tapis de cordes voluptueuses, Vladimir Spivakov a
réussi à canaliser l’écoute et la puissance de son compatriote, qui a fait
chanter son piano avec délectation et bonhomie, respectant les couleurs et la
légèreté fruitée et lumineuse des textures et la chaleur de ton de Mozart,
faisant chanter l’Andante central
avec générosité et allant, comme s’il s’agissait d’une aria d’opéra. Mais emporté par l’élan du finale, Denis Matsuev a eu
tendance à jouer de plus en plus fort et sec, ne laissant pas l’œuvre bondir et
respirer jusqu’à la fin de l’œuvre, incitant Spivakov et les Virtuoses de
Moscou à rivaliser avec lui, au point de conclure en une course frénétique. A
l’issue de cette exécution conclue sur un tour haletant, le pianiste russe a
offert un bis délectable, une Valse de Jean Sibelius qui dit combien Matsuev
peut quand il le veut - conformément à ce qu’il a démontré dans les deux
premiers mouvements du concerto de Mozart - jouer tout en retenue et
délicatesse.
Annecy Classic Festival. Anastasia Kobekina (violoncelle) et Vladimir Spivakov. Photo : (c) Yannick Perrin
C’est avec le célébrissime Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre en ut majeur Hob. VIIb.1
(1762) de Joseph Haydn que Spivakov a ouvert la seconde partie de son
concert-anniversaire. En soliste, sa jeune protégée Anastasia Kobekina. Née le
26 août 1994, la violoncelliste russe a été remarquée à six ans par Vladimir
Spivakov, qui, après l’avoir auditionnée, l’a fait entrer au sein de sa
Fondation pédagogique et lui a offert voilà quatre ans l’instrument italien sur
lequel elle joue, un Stefano Scarampella fabriqué au XIXe siècle. Jouant
avec une aisance confondante, une technique de la main gauche rigoureuse,
l’archet souple mais ferme, elle exalte des sonorités charnues qui ne demandent
qu’à s’élargir avec le temps, Kobekina est une jeune artiste russe pour le
moins prometteuse dont on pourrait rapidement entendre parler parmi les grands
violoncellistes. Vladimir Spivakov a forgé pour sa protégée une étoffe délicate
et soyeuse avec ses Virtuoses de Moscou qui ont dialogué avec allant avec la
soliste. Le chef russe a conclu la soirée sur deux pages pour octuor de cordes
de Dimitri Chostakovitch réunies sur l’intitulé générique Prélude et Scherzo op. 11
composées en 1925-1926, donc contemporaines de la Première Symphonie, et créées à Moscou le 9 janvier 1929 par les
Quatuors Glière et Stradivarius. Ces pages comptent parmi les plus inventives
du compositeur russe, dont la créativité n’avait pas encore été muselée par les
sbires staliniens, l’URSS étant encore ouverte à l’époque à l’avant-garde
occidentale. Ainsi y trouve-t-on l’esprit d’un Hindemith et d’un Krenek,
l’atonalité et le machinisme. Si le Prélude
s’inscrit dans la tonalité, renvoyant au XVIIIe siècle, le Scherzo tend à l’atonalité et s’avère
plus incisif. Vladimir Spivakov et les Virtuoses de Moscou en ont donné une
version plus étoffée, avec vingt-quatre cordes (7-7-4-4-2), mais l’a souplesse
des archets et la dextérité des doigts courant sur les touches ont donné la
même impression de fluidité et de transparence que l’octuor originel, tout en
donnant plus de profondeur de champ.
Annecy Classic Festival. Vladimir Spivakov et Les Solistes de Moscou. Photo : (c) Bruno Serrou
Après ces deux pages d’une durée totale ne
dépassant guère les onze minutes, Vladimir Spivakov a donné trois bis. Les deux
premiers de Chostakovitch, un très court Praeludium
suivi d’une Polka qui en dit long sur
les aptitudes à l’humour et à la dérision de son auteur, dans laquelle le
premier contrebassiste des Virtuose de Moscou, Grigory Kovalesky, s’est montré aussi véloce
qu’heureux, allant jusqu’à danser comme s’il était seul au monde, transcendé
par le dernier bis, un Hyper Tango
d’Astor Piazzolla qui a donné un tour jovial au final du concert.
Ce second concert de dimanche a été retransmis en
direct sur Medici.tv, qui en propose le streaming pendant les trois mois qui
viennent (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival).
Bruno
Serrou
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