dimanche 31 août 2014

Yuri Temirkanov, Denis Matsuev et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont clôturé en fanfare la Ve édition d’Annecy Classic Festival

Annecy. Ve Annecy Classic Festival, église Sainte-Bernadette, 29 août 2014

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temerkanov. Photo : (c) Yannick Perrin

Directeur artistique de l’Annecy Classic Festival, Denis Matsuev participe chaque été aux concerts d’ouverture et de clôture de la manifestation haute-savoyarde dans une œuvre concertante pour piano et orchestre. Ainsi, dix jours après le programme inaugural dirigé par Zoltan Kocsis constitué de pages de Liszt et Dvořák (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/zoltan-kocsis-dirige-annecy-lorchestre.html), l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg retrouvait le pianiste russe directeur artistique de la manifestation annecienne dans Brahms, dirigé cette fois par le directeur musical de la phalange pétersbourgeoise, Yuri Temirkanov.

Annecy. Annecy Classic Festival. Denis Matsuev (piano) devant Leo Klychkov (1er violon de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg). Photo : (c) Yannick Perrin

Après une ouverture du Barbier de Séville de Gioacchino Rossini vive et aux bouillantes colorations, Yuri Temirkanov a lancé avec flamme la longue introduction orchestrale du Concerto n° 1 pour piano et orchestre en ré mineur op. 15 de Johannes Brahms, fruit du scrupule du compositeur allemand à se lancer à la suite de Beethoven dans la genèse d’une première symphonie qu’il ne finalisera finalement que dix-huit ans plus tard. Temirkanov a immédiatement mis en lumière les contrastes entre véhémence, tragique et détermination du thème initial et lyrisme ému du motif qui lui fait écho, ainsi que la diversité des caractères des nombreuses idées thématiques secondaires qui forment le long développement du monumental prologue orchestral. Pourtant, l’entrée de Denis Matsuev ne s’est pas faite dans la demi-teinte, le pianiste enchaînant ses sixtes d’entrée de façon impérieuse et ferme, tentant d’amblée de se détacher de l’orchestre auquel Brahms incorpore pourtant la partie piano, tandis que l’ampleur de son chant n’engendre guère la mélancolie dans l’exposition du grand thème en fa majeur repris par les instruments à vent et les cordes d’où émerge avec douceur le cor solo pétersbourgeois. Le jeu maîtrisé et virtuose de Matsuev se déploie pleinement et avec a propos dans les vigoureux traits d’octave du développement du Maestoso et les puissances secousses d’accords échangés entre le piano et l’orchestre s’épanouissant dans la rudesse fougueuse mais perdurant trop systématiquement pour que soit mis en évidence le côté ballade nordique et la rêverie qui donne continuellement un fond sombre a mouvement initial. Matsuev est passé à côté de l’inspiration spirituelle de l’Adagio au tour de cantique, contrairement à l’orchestre, qui a déployé d’ardentes couleurs dans l’exposition du thème principal où les cordes somptueuses avec sourdine puis le cor solo ont souligné le caractère recueilli du thème principal que le soliste a repris de façon trop altière avant de faire entendre la mélodie étonnamment défaite de la douleur inquiète attendue ici, avant d’introduire sur le même ton mais le rythme pourtant plus marqué du motif exposé aux bois, pour s’épanouir heureusement dans les sonorités profondes et fournies des accords et grands arpèges qui conduisent à la coda. La force conquérante de Matsuev sert en revanche dextrement le rondo final qui s’ouvre sur un thème vigoureux et dansant confié au piano que reprend l’orchestre avec allant et une homogénéité épanouie, les cascades de traits de l’instrument soliste étant sollicitées avec assurance sur les appels de cuivre. Mais la section suivante a manqué de grâce et de lyrisme, mettant davantage l’accent sur la joie et les élans chevaleresques que sur l’introspection et l’incertitude. Mais l’impression d’ensemble est restée en phase avec le ton général du finale, aux aspérités robustes qui conduisent à une conclusion en apothéose.

Annecy. Annecy Classic Festival. Denis Matsuev, Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

A l’issue de cette interprétation monumentale du premier concerto de Brahms, où le Philharmonique de Saint-Pétersbourg, sollicité l’air de rien par Yuri Temirkanov, qui en a tiré de voluptueuses couleurs associant velouté et brillant, plénitude et virtuosité assumée, Denis Matsuev a offert à un public conquis d’avance un bis paisible joué avec retenue, extrait des Saisons op. 37bis de Piotr Ilyitch Tchaïkovski, le cinquième des douze mouvements, Andantino en sol majeur consacré au mois de Mai et sous-titré Les nuits blanches dont le pianiste russe a souligné la sereine noblesse de la première partie et la fébrilité de la seconde.

Sir Edward Elgar (1857-1934) à sa table de travail. Photo : DR

Après un tour par la Russie, l’Italie et l’Allemagne, Yuri Temirkanov a conclu ses deux concerts de fin de festival sur une grande page d’orchestre venue de Grande-Bretagne. Quoique fortement marqué par la musique romantique et postromantique allemande en général et par celle de Richard Strauss en particulier, Edward Elgar est, à un degré moindre que son cadet de quinze ans Ralph Vaughan Williams, le premier artisan du renouveau de la musique anglaise quasi éteinte depuis la mort de Henry Purcell. Créées à Londres le 19 juin 1899 sous la direction d’un proche de Richard Wagner, le chef allemand Hans Richter, les Variations pour orchestre sur un thème original « Enigma » op. 35, qui se situent clairement dans l’héritage de Brahms, ont permis à leur auteur de s’imposer sur le tard - il avait alors quarante ans - sur le devant de la scène musicale britannique puis internationale. Ce titre « Enigma » tient à la fois au fait que son thème andante de dix mesures aux cordes seules est d’origine inconnue et que chacune de ses quatorze variations est dédiée à un ami ou à un parent du compositeur désigné par les seules initiales de son nom ou de son pseudonyme tandis que la partition entière l’est « à [s]es amis qui s’y trouvent portraiturés ». De durées plus ou moins longues, ces variations jouissent d’une orchestration riche et variée qui s’épanouit de page en page. La partie la plus significative de ce recueil s’ouvre sur la noble neuvième variation Adagio en mi bémol majeur intitulée Nimrod dans laquelle Elgar célèbre son ami August Johannes Jaeger, collaborateur des Editions Novello. Cet épisode ouvre une série de mouvements dont le travail thématique et orchestral va crescendo jusqu’à la douzième variation, BGN, qui portraiture un violoncelliste amateur, Basil G. Nevinson, « ami dévoué de toujours, qui précède la treizième, sous-titrée Romanza dont le séduisant solo de clarinette évoque le voyage en mer d’une belle américaine aimée d’Elgar avant l’ultime étape du recueil où le compositeur tire son propre portrait au côté de sa femme, dont il utilise pour le titre le pseudonyme Edoo et qui conclut l’œuvre sur un ton solennel. L’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg a brillé de tous ses feux, grâce à ses pupitres rutilants auxquels Temirkanov a souvent laissé la bride sur le cou pour les laisser s’épanouir à loisir, scintillant et mille feux côté instruments à vent, tandis que les cordes ont imposé leur moelleux et leur opulente sensualité.

Annecy et son lac. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour couronner la soirée et offrir un ultime bonheur à son public qu’il retrouvera, a-t-il promis, en août 2015, Yuri Temirkanov a ajouté deux bis à son programme. Le premier également signé Edward Elgar, a été la romance Salut d’amour op. 12 (1), page pour orchestre réduit écrite en 1888 par le compositeur en offrande à sa fiancée initialement pour violon et piano et orchestrée en 1889, année de sa création au Crystal Palace de Londres. Tandis que le second bis, beaucoup plus ludique, a parachevé l’édition 2014 de l’Annecy Classic Festival sur un ton joyeux et déluré, puisqu’il s’est agi du Vivo extrait du ballet Pulcinella d’Igor Stravinski qui a permis à Temirkanov de mettre en exergue des instruments plus rarement en avant que d’autres mais qui se sont illustrés dix jours durant, le trombone et ses inénarrables glissandi, le basson et la contrebasse solos, qui ont stupéfié l’auditoire.

Annecy. Annecy Classic Festival. Pascal Escande et Denis Matsuev lançant l'édition 2015 et le Concours international de chefs d'orchestre. de l'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Bruno Serrou

Durant la soirée de clôture qui a suivi ce dernier concert de l’édition 2014, Denis Matsuev, directeur artistique de l’Annecy Classic Festival, et Pascal Escande, son Président, ont annoncé la création en 2015 d’un nouveau Concours international de chefs d’orchestre qui se déroulera à Annecy et qui sera présidé par Yuri Temirkanov. Le vainqueur se verra confier l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg lors du concert d’ouverture de l’Annecy Classic Festival.

Comme la plupart des concerts de l’Annecy Classic Festival, celui-ci est à écouter sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.

Bruno Serrou

1) Yuri Temirkanov et l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont donné cette même pièce d’Elgar en bis le soir du concert de clôture de l’édition 2013 de l’Annecy Classic Festival comme en témoigne le DVD que vient de publier Idéale Audience réalisé par Pierre-Olivier Bardet, tourné en l’église Sainte-Bernadette d’Annecy. Au programme les Concerto n° 2 pour piano et orchestre, Danses symphoniques, Etude-tableau op. 39/2 et Prélude pour piano op. 32/2 de Rachmaninov avec Denis Matsuev, le poème symphonique Shéhérazade op. 35 de Rimski-Korsakov et l’ouverture la Force du destin de Verdi (1DVD Idéaleaudience 2075068, distribution Harmonia Mundi).


vendredi 29 août 2014

Yuri Temirkanov a célébré la Russie avec son Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Alexander Kniazev, Yuja Wang et Clément Saunier

Annecy, Ve Annecy Classic Festival, Eglise Sainte-Bernadette, jeudi 28 août 2014

Annecy. façade de l'église Sainte-Bernadette ou se déroulent les concerts symphoniques de l'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Bruno Serrou

Conformément à une tradition établie depuis sa première édition, c’est sur des concerts de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par son directeur musical depuis 1988, Yuri Temirkanov, que l’Annecy Classic Festival conclut son millésime 2014. La première des deux soirées de clôture a été entièrement consacrée à l’école russe de composition, avec trois de ses représentants les plus célèbres, Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Modest Moussorgski et Dimitri Chostakovitch.

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temirkanov dirige l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

Ainsi, après avoir « prêté » sa fabuleuse phalange symphonique successivement à Zoltan Kocsis, Patrick Marco et Fayçal Karoui, Yuri Temirkanov, qui en est le « patron » depuis vingt-six ans après en avoir hérité d’Evgueni Mravinski, qui en avait lui-même été le souverain-maître pendant un demi-siècle, en a repris les rênes pour les deux dernières soirées de l’été musical annecien. Même si nous ne pouvons que regretter le fait que le chef russe assure considérer la création musicale inconsistante, il faut convenir que ce qu’il fait avec ses formidables instrumentistes, qui comptent aujourd’hui encore parmi eux un certain nombre d’éléments ayant travaillé avec Mravinski, est proprement éblouissant, tant la fusion chef/orchestre est totale. Ce qui d’ailleurs pose problème pour les solistes guère habitués à se produire sous sa direction comme avec la formation pétersbourgeoise peu familiarisés avec sa gestique et son anticipation dans le développement du discours musical, sa battue se présentant avec deux mesures d’avance. Ce qui, d’après les musiciens eux-mêmes, est une coutume chez les chefs d’orchestre russes, notamment chez Valery Gergiev, qui est sur le même modèle d’anticipation.

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuja Wang. Photo : (c) Yannick Perrin

Ainsi de l’excellent Clément Saunier, jeune trompettiste français des plus brillants, aujourd’hui membre de l’Ensemble Intercontemporain qui s’illustre en ce moment au Festival de Lucerne, qui a fait le déplacement hier en voiture depuis la Suisse jusqu’à Annecy pour dialoguer avec le piano jubilatoire de la séduisante pianiste chinoise Yuja Wang dans le réjouissant Concerto n° 1 en ut mineur pour piano, trompette et orchestre à cordes op. 35 que Dimitri Chostakovitch a composé au début des années 1930. Le compositeur, qui le créa lui-même au piano à Leningrad le 15 octobre 1933, y manie comme de coutume un humour grinçant sinon grotesque dans les mouvements extrêmes où il use de citations de pages de Haydn et de Beethoven, tandis que le Largo se fonde sur une valse lente alors que le Moderato, où la trompette est absente, tient de l’intermezzo. Yuja Wang en a donné une interprétation vive, enjouée et d’une grande variété de coloris, confirmant son exceptionnelle maîtrise, qui lui a permis de tirer de son Yamaha de concert des sonorités de braise qui se sont déployées sans mal jusqu’au fond de l’église Sainte-Bernadette où j’étais placé, faisant fi de la faible projection du son de ce bâtiment de béton. 

Clément Saunier. Photo : : DR

La brillante pianiste a dialogué avec fougue et onirisme avec la trompette vif-argent de Clément Saunier, qui découvrait à la fois la pianiste, l’orchestre et le chef après n’avoir fait avec eux qu’un seul filage, alors qu’il était installé derrière les violoncelles. D’où ses infimes décalages avec ses partenaires et de légères défaillances dans ses attaques. Ebouriffante et impétueuse dans le finale, Yuja Wang a suscité un tonnerre d’applaudissements mais n’a pas daigné répondre à l’attente du public, qui attendait pourtant une reprise de l’Allegro con brio final…

Annecy. Annecy Classic Festival. Alexander Kniazev. Photo : (c) Yannick Perrin

Le premier concerto pour piano de Chostakovitch était précédé d’une autre œuvre concertante, mais pour violoncelle et orchestre cette fois, puisqu’il s’est agi des célèbres Variations sur un thème rococo op. 33 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Si l’on peut regretter que, contrairement à la veille où il avait donné à l’orgue sa propre conception d’autres variations, les Goldberg de Jean-Sébastien Bach (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/a-annecy-alexander-kniazev-lianna.html), Alexander Kniazev ait choisi une œuvre un peu courte que Mstislav Rostropovitch a rendue populaire entre toutes, il faut convenir que le violoncelliste-organiste russe en a transcendé l’essence. Cette œuvre atteste de l’attachement au style galant du XVIIIe siècle du compositeur russe, qui ne manifesta pourtant guère d’intérêt pour sa partition par la suite, puisqu’il laissa son premier interprète, le violoncelliste allemand Wilhelm Fitzenhagen (1848-1890), libre de modifier l’ordre des variations. Bien que la version originale ait été redécouverte en 1956 et publiée dans l’édition critique complète de Tchaïkovski, Kniazev a opté pour la tradition héritée de la création. Dialoguant avec un orchestre irréprochable et un chef tout en nuances, le violoncelliste n’a cessé de captiver, tirant de son instrument des sonorités pleines et contrastées, réalisant, en dépit de son jeu au tour assez sauvage, de sublimes pianissimi et entretenant une belle connivence avec les cordes. La beauté de son instrument au graves d’une profondeur saisissante, un vénitien de Matteo Goffriller (1659-1752) attribué à Carlo Bergonzi (1683-1747) de Crémone, son jeu d’une puissance inouïe doté d’un nuancier infini, ses résonances abyssales qui pénètrent le corps de l’auditeur et ses timbres d’une sensualité et d’une chaleur vif-argent sont magnifiés par le puissant contraste formé par cette extraordinaire musicalité et l’homme qui les exalte qui semble tout droit sorti des forêts les plus reculées de l’Oural. Porté par les applaudissements nourris du public, Yuri Temirkanov ne s’est pas fait prier pour bisser avec un Kniazev réjoui l’ultime variation et la coda (Allegro vivo) de l’œuvre de Tchaïkovski.

Annecy. Annecy Classic Festival. Alexander Kniazev, Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

Tandis qu’il avait ouvert la première partie de son programme sur la courte Polonaise pour orchestre à la fois hautaine et pleine de panache tirée de la scène de bal du premier tableau du troisième acte de l’opéra Eugène Onéguine (1878) de Tchaïkovski, Yuri Temirkanov a donné en seconde partie les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski dans l’orchestration de Maurice Ravel, la « seule qui vaille en Russie » assure Temirkanov. Sa vision ample et somptueusement colorée, s’appuie avec délectation sur l’immense palette de timbres et de nuances de son Philharmonique de Saint-Pétersbourg, capable de réaliser une véritable pyrotechnie, quel que soit le pupitre, des ppp de velours jusqu’à des fff d’airain, sans la moindre défaillance. Cette ample partition de trente-cinq minutes se présente tel un grand poème en dix saynètes soudées par le superbe thème russe richement harmonisé de la Promenade qui se présente à quatre reprises dans le développement de l’œuvre. Le chef russe et son infaillible phalange ont réussi la gageure de donner une vie propre à chaque tableau grâce au prégnant pouvoir de suggestion de cette exécution d’une énergie singulière à laquelle on eut néanmoins aimé une assise rythmique un peu plus ferme et des sonorités plus grondantes, notamment dans Catacombae. Sepulcrum romanum, et une approche plus grinçante et grimaçante du Ballet des Poussins dans leurs Coques et la Cabane sur des Pattes de Poule. Les sonorités « léchées » qui émanent aujourd’hui de tous ses pupitres attestent de l’internationalisation des timbres de la Philharmonique de Saint-Pétersbourg, qui semble avoir perdu ce qu’elle avait de fondamentalement original pour gagner des couleurs plus pleines et sensuelles qu’autrefois.

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

Après le final triomphal de la Grande Porte de Kiev concluant les Tableaux d’une exposition, Yuri Temirkanov n’a pu résister à l’attente pressante et sonore des spectateurs venus en nombre assister à son concert en donnant un premier bis susceptible de les apaiser, un Impromptu de Schubert dans une version pour orchestre à cordes, suivi d’un extrait plus vivifiant du ballet Casse-noisette de Tchaïkovski.

Ce concert est à écouter en streaming sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.

Bruno Serrou

jeudi 28 août 2014

A Annecy, Alexander Kniazev, Lianna Haroutounian, Géraldine Chauvet, Aquiles Machado et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont titillé les oreilles des anges

Annecy, Ve Annecy Classic Festival, Cathédrale Saint-Pierre et église Sainte-Bernadette, mercredi 27 août 2014

Annecy, orgue de la cathédrale Saint-Pierre. Photo : (c) Bruno Serrou

Un mois jour pour jour après l’avoir entendu dans le Triple Concerto pour violon, violoncelle, piano et orchestre de Beethoven au Festival de La Roque d’Anthéron aux côtés de Vadim Repin, Nikolaï Lugansky, Kazuki Yamada et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014_07_01_archive.html), l’on retrouvait mercredi après-midi Alexander Kniazev, non pas avec son violoncelle mais à la tribune de la cathédrale Saint-Pierre d’Annecy. Cette dernière est pourvue d’un instrument conçu par le Vosgien Nicolas-Antoine Lété installé dans un buffet en deux corps réalisé par les frères Gilardi d’Annecy inauguré en 1842. Cet orgue a été agrandi en 1845 par le même Lété, facteur d’orgues du roi des Français, puis en 1850 et 1861 par les facteurs lyonnais Beaucourt et Vögli, restauré en 1887 par Merklin, classé monument historique en 1972, entièrement reconstruit en 1992 par l’atelier Michel Giroud (Isère) et par l’ébéniste Nillon (Ain). Le positif supprimé en 1887 fut alors rajouté. Doté de trois claviers et de cinquante-sept jeux, l’instrument entièrement reconstruit et ré-harmonisé a été inauguré en novembre 1994 par Louis Robillard.

Annecy. Les mains d'Alexander Kniazev jouant l'orgue de la cathédrale Saint-Pierre. Photo : (c) Bruno Serrou

Alexander Kniazev à l’orgue de la Cathédrale Saint-Pierre d’Annecy

Troquant son instrument de prédilection pour l’orgue de la cathédrale Saint-Pierre d’Annecy, Alexander Kniazev a choisi d’y interpréter une œuvre monumentale conçue pour un clavecin à deux claviers vers 1740 par Jean-Sébastien Bach, les Variations Goldberg BWV. 988, fondées sur une aria empruntée selon la légende par le cantor de Leipzig à son élève Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756) alors âgé d’une quinzaine d’années. Exposée d’entrée et reprise à la fin de l’œuvre, l’aria donne lieu à trente variations sur un ou deux claviers adoptant parfois les formes canon, ouverture ou quodlibet, avant d’être réexposée dans le final. Soumises à diverses adaptations, du piano à l’orchestre et jusqu’à l’accordéon en passant par le trio à cordes et la guitare en duo, les Variations Goldberg appartiennent également et en toute logique aux organistes, comme l’attestent les enregistrements de Jean Guillou ou Bernard Lagacé, entre autres. Cette œuvre d’un peu moins d’une heure requiert à l’orgue près de quatre-vingt minutes d’exécution, ne serait-ce qu’en raison des réglages des registrations entre chaque variation. 

Annecy. Alexander Kniazev entouré de ses deux assistants à l'orgue de la cathédrale Saint-Pierre. Photo : (c) Yannick Perrin

Aidé de deux assistants dans ses registrations, Alexander Kniazev a révélé dans dans son propre arrangement pour orgue des Goldberg la source des sonorités de son violoncelle extraordinairement fruitées, amples, généreuses et bouillonnantes. Avec un instrument que Kniazev juge « très français » apparemment réglé environ un demi-ton sous le diapason généralement utilisé aujourd’hui, il a fallu à l’auditeur un temps d’adaptation pour goûter pleinement l’interprétation lente et majestueuse mais colorée de Kniazev, qui n’a fait heureusement aucun da capo, adaptation aidée il est vrai par l’excellente initiative des organisateurs du Festival Heures d’Orgue de la cathédrale Saint-Pierre, partenaire hier après-midi de l’Annecy Classic Festival, qui consiste à diffuser sur écran géant planté à l’entrée du chœur les images captées en direct par trois caméras fixées au-dessus des trois claviers de l’orgue, sur le pédalier et à gauche de l’organiste qui permettent au public de voir les mains et les pieds de l’interprète en train de jouer ainsi qu’une partie de la partition, éléments habituellement cachés au profane et qui font il est vrai partie de la mystique de la musique d’église. Malgré cette diversion, le concert d’orgue a fini par sembler s’éterniser, malgré les puissants moments à l’opulente registration de virtuosité organistique, et c’est avec soulagement que l’on a entendu sonner la réexposition de l’aria de Goldberg qui conclut cette partition emblématique du clavier de Bach…

L’impatience du public a été d’autant plus grande que trente minutes à peine séparaient la fin de ce récital du début du concert suivant, donné dans une autre église, à Sainte-Bernadette, sise à deux kilomètres de la cathédrale.

Annecy. Annecy Classic Festival. Entrée du public en l'église Sainte-Bernadette. Photo : (c) Yannick Perrin

Soirée bel canto à Sainte-Bernadette

Œuvre profane à haute teneur spirituelle, les Variations Goldberg de Bach données en la cathédrale d’Annecy, ont été suivies dans un autre lieu de culte, cette fois l’église Sainte-Bernadette, d’une soirée bel canto, registre d’obédience profane. Même si chacun a au moins une partition d’inspiration religieuse dans son catalogue, l’essentiel de la création des sept compositeurs figurant au programme du second concert du jour, Mozart, Rossini, Donizetti, Verdi, Bizet, Massenet et Puccini étant constitué d’ouvrages scéniques séculiers. Trois jeunes chanteurs déjà en pleine possession de leur art et à la tête d’une carrière largement plus que prometteuse, la soprano arménienne Lianna Haroutounian, la mezzo-soprano française Géraldine Chauvet et le ténor vénézuélien Aquiles Machado, formaient le suc de la soirée.

Annecy Classic Festival. Aquiles Machado (ténor). Photo : (c) Yannick Perrin

Si, personnellement, je n’apprécie guère le genre, je dois reconnaître que je me suis peu à peu laissé séduire par ce concert à trois chanteurs soutenus par un orchestre symphonique enchaînant des morceaux de bravoure d’opéras qui n’ont rien à voir entre eux, d’autant plus lorsqu’il s’agit de faire se succéder les numéros de haute voltige par chacun des intervenants se succédant sur le plateau avant de disparaître pour laisser la place au suivant, et ne jamais chanter ensemble. Or, ce qui tient généralement davantage du numéro de cirque, s’est révélé hier plus musical que de coutume. En raison peut-être de la présence, derrière les chanteurs, d’un orchestre de tout premier plan, le Philharmonique de Saint-Saint-Pétersbourg, à l’effectif de cordes il est vrai réduit (8-6-4-3-1), et jouant seul, suivant le premier violon et les chefs de pupitres, à défaut du chef de la soirée, Fayçal Karoui à qui Yuri Temirkanov a prêté son orchestre et qui brassait l’air à grands gestes façon policier réglant la circulation, comme il a été possible d'en juger sitôt l’ouverture l’Italienne à Alger de Gioacchino Rossini avec laquelle le concert a commencé. C’est à Aquiles Machado qu'est revenu le soin de lancer la soirée belcantiste, avec l’air de Rodolfo « Oh! fede negar potessi » dans Luisa Miller de Giuseppe Verdi, air à la fois simple et suave que le ténor vénézuélien a chanté en force, tout en révélant un réel potentiel. 

Annecy Classic Festival. Lianna Haroutounian (soprano). Photo : (c) Yannick Perrin

Géraldine Charvet lui a succédé dans la cavatine de Rosine « Una voce poco fa » extraite du second tableau du troisième acte du Barbier de Séville de Gioacchino Rossini dans laquelle la mezzo-soprano française a immédiatement imposé son timbre de velours mais pas ses coloratures, qui sont restées trop terrestres. Ce fut ensuite au tour de Lianna Haroutounian, qui, d’entrée, dans l’air « Surta è la notte » extrait du premier acte d’Ernani de Verdi où se sont illustrées des Rosa Ponselle, Maria Callas ou Edita Gruberova, que la soprano arménienne a chanté avec vaillance sans jamais forcer. Ce qu’elle ne fera d’ailleurs jamais par la suite. Aquiles Machado est reparu pour chanter la célébrissime romance de Nemorino extraite de la septième scène du second acte de l’Elixir d’amour de Gaetano Donizetti. Cette fois, le ténor vénézuélien s’est avéré plus sûr de lui et la voix plus épanouie, et ne céda pas au larmoyant, piège dans lequel tombent trop de ses semblables. Puis Géraldine Chauvet est revenue pour la sublime aria de Sextus avec clarinette obligée « Parto, parto, ma tu, ben mio » extraite du premier acte de la Clémence de Titus, ultime opéra de Mozart, dans laquelle elle a démontré le bien fondé du choix du Metropolitan Opera de New York de la distribuer dans ce rôle où elle excelle de toute évidence. Lianna Haroutounian a suivi son exemple en campant une touchante et digne aria « Un bel di vedremo » du premier acte de Madame Butterfly de Giacomo Puccini.

Annecy Classic Festival. Géraldine Chauvet (mezzo-soprano) et Fayçal Karoui. Photo : (c) Yannick Perrin

Après une fébrile ouverture de Carmen de Georges Bizet, Géraldine Chauvet est intervenue la première en seconde partie de concert, vêtue d’une robe-fourreau noire au bas évasé façon gitane ibère pour chanter la Habanera de la même Carmen de Bizet au cours de laquelle elle a pris le chef et la salle sous son aile en roulant des yeux énamourés. Mais au-delà de ce côté aguicheur, sa seule voix eut suffi pour convaincre le public de son aptitude à camper ce rôle à la scène. Aquiles Machado lui a succédé dans l’air déchirant de Rodolfo « Che gelida manina »  extrait du premier acte de la Bohème de Puccini où il s’est imposé par son engagement et sa pure vocalité mais sans le velours et le naturel d’un Luciano Pavarotti, qui excellait dans ce personnage. En revanche, Lianna Haroutounian s’est avérée irréprochable dans le grand air d’Elizabeth du cinquième acte de Don Carlos de Verdi « Tu che la vanità » où elle a imposé son long souffle, son timbre de braise, l’amplitude de sa voix, son large nuancier riche en timbres et en harmoniques, son sens du drame et sa musicalité. 

Annecy Classic Festival. Aquiles Machado (ténor) et Lianna Haroutounian (soprano). Photo : (c) Yannick Perrin

Puis ce fut le retour d’Aquiles Machado pour le fameux air dans lequel Werther évoque un poème d’Ossian « Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps ! » du troisième acte de Werther de Jules Massenet qu’il a interprété sans forcer, sa voix apparaissant fort bien adaptée au rôle. Après l’Intermezzo sur lequel Bizet introduit le quatrième acte de Carmen, Géraldine Chauvet a chanté une voluptueuse Séguedille de ce même opéra, avant un duo final confié à Lianna Haroutounian et à Aquiles Machado dans un ardent « Teco io osto… M’ami, m’ami » du deuxième acte d’Un bal masqué de Verdi. 

Annecy Classic Festival. Lianna Haroutounian (soprano), Aquiles Machado (ténor) et Géraldine Chauvet (mezzo-soprano). Photo : (c) Yannick Perrin

Il a fallu attendre le bis final, repris une seconde fois, pour entendre enfin les trois chanteurs en trio, dans le brindisi du premier acte « Libiamo ne’ lieti calici » de la Traviata de Verdi où il n’a manqué que le chœur pour que la fête soit totale. A l’instar du trio vocal, les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont rayonné dans ce finale, comme ils l’auront fait tout au long de la soirée, abstraction faite de quelques brefs accrocs dans un petit nombre de passages solistes, applaudissant avec force gestes démonstratifs leurs brillants partenaires d’un soir.

Le second concert a été retransmis en direct sur Medici.tv, qui en propose le streaming pendant les trois mois qui viennent (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival).

Bruno Serrou

mercredi 27 août 2014

Jour de fête pour les jeunes musiciens de l’Annecy Classic Festival et de l’Annecy Campus Orchestra

Annecy (Haute-Savoie), Ve Annecy Classic Festival, Musée-Château et Eglise Sainte-Bernadette, mardi 26 août 2014

Annecy, le Château-Musée. Photo : (c) Bruno Serrou

Les jeunes musiciens étaient à la fête, hier, à l’Annecy Classic Festival. Tout d’abord en duo de sonate, avec un récital flûte et piano dans la salle mythique du festival annécien du Musée-Château, où Eliane Richepin dispensait ses cours publics réunissant deux jeunes musiciens français : le flûtiste Clément Dufourt, élève de Philippe Bernold, et le pianiste Tristan Pfaff, élève de Michel Béroff et d’Aldo Ciccolini, deux Révélations classiques de l’ADAMI en 2006 et du programme « Déclic » de CulturesFrance en 2007 qui entretiennent une commune passion musicale et aiment à se produire ensemble. Malgré la pluie, le public est venu en nombre découvrir ces deux musiciens au seuil d’une carrière prometteuse...

Annecy Classic Festival. Annecy, Château-Musée : Tristan Pfaff (piano) et Clément Dufourt (piano). Photo : (c) Yannick Perrin

Duo Clément Dufourt (flûte) / Tristan Pfaff (piano)

Plus connue dans sa transcription pour violon et piano réalisée pour David Oïstrakh et Lev Oborine par son auteur en 1943, la Sonate pour flûte et piano en ré majeur op. 94 de Serge Prokofiev aux contours classiques est dans sa forme initiale créée en septembre 1943 par Nikolaï Charkovski et Sviatoslav Richter ludique et pétillante, avec un épisode central au caractère idyllique. Clément Dufourt et Tristan Pfaff en ont donné une lecture élégante et lyrique, le flûtiste attestant d’une virtuosité naturelle de bon aloi. Composée dans l’urgence en 1898 pour un concours de flûte du Conservatoire de Paris remporté par Gaston Blanquart qui l’obligea à confier à Charles Kœchlin l’orchestration de sa musique de scène pour le Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, la Fantaisie pour flûte et piano en mi mineur op. 79 de Gabriel Fauré a suscité des plaintes de son auteur auprès de Kœchlin : « Je suis plongé jusqu’au cou dans gammes, arpèges et staccati ! J’ai déjà commis cent-quatre mesures de cette pénible torture… » Il est clair à l’écoute que cette pièce, qui a ennuyé son auteur, ne passionne pas davantage l’auditeur, même sous les doigts de Dufourt et Pfaff, qui en ont offert une interprétation aussi scintillante que possible. Les deux jeunes musiciens français ont en revanche tiré tout le bonheur de jouer possible de la belle Sonate pour flûte et piano de Francis Poulenc, qui la créa à Strasbourg en juin 1957 avec Jean-Pierre Rampal, l’une des pages les plus accomplies du répertoire pour ce duo d’instrument à vent et clavier. Les deux interprètes ont brillé par leur virtuosité commune qui a mis en exergue l’impression de liberté improvisée de l’écriture et de l’inspiration de Poulenc, le pianiste sachant s’effacer devant le chant tout en délicatesse de la flûte autant que dialoguer de concert avec brio avec cette dernière dans les passages les plus lyriques et étincelants.

Annecy Classic Festival. Annecy Campus Orchestra répète avec Fayçal Karoui. Photo : (c) Yannick Perrin

Annecy Campus Orchestra

Contrairement à la session 2013 où ils étaient associés à de jeunes étudiants et professionnels de 9 à 20 ans venus d’Irkoutsk (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013_08_01_archive.html), le Campus d’orchestre d’Annecy Classic Festival 2014 a réuni à partir du 15 août les seuls stagiaires directement inscrits au cursus annécien, ouvert il est vrai aux étrangers comme aux Français. Cent-quatre participants venus des quatre coins du monde ont travaillé sous la direction de Fayçal Karoui, directeur musical de l’Orchestre de Pau Pays de Béarn qu’il a construit de toutes pièces voilà une dizaine d’années, et encadrés de musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg un programme de caractère festif fait d’œuvres des Etats-Uniens George Gershwin et Leonard Bernstein, et du Mexicain Arturo Márquez.

Car, a contrario d’Académies comme celle du Festival Berlioz, qui s’adresse à de futurs musiciens d’orchestre professionnels, ou comme l’Orchestre Français des Jeunes, qui travaille des programmes ambitieux comprenant des partitions concertantes et symphoniques d’envergure dans lesquelles ils sont appelés à se produire en plusieurs lieux - ce qui pourrait néanmoins être envisagé à Annecy, considérant le fait que cette académie a la chance de se tenir à proximité de son équivalent vocal, ce qui pourrait permettre la programmation d’œuvres pour chœur et orchestre -, l’Annecy Campus Orchestra entend rassembler des jeunes instrumentistes étudiants des conservatoires pour les former au métier de l’orchestre dans un esprit bon enfant et dans des œuvres au caractère à la fois ludique et pédagogique et dans le but de se produire en public dans une œuvre concertante avec le pianiste Denis Matsuev à l’issue du stage. Ainsi, au lieu de Beethoven, Schubert, Berlioz, Brahms, Bruckner, Franck, Saint-Saëns, Dvorak, Debussy, Mahler, R. Strauss, Sibelius ou Ravel, Fayçal Karoui a choisi pour cette session 2014 de travailler des pages festives, Rhapsody in Blue pour piano et orchestre de George Gershwin, une succession de pages parmi les plus fameuses de West Side Story de Leonard Bernstein et le deuxième Danzón  d’Arturo Márquez.

Le Concert de clôture du stage Annecy Campus Orchestra 2014

Annecy Classic Festival. Denis Matsuev (piano), Fayçal Karoui (direction), Annecy Campus Orchestra. Photo : (c) Yannick Perrin

Durant leur concert public de clôture de stage donné hier après-midi en l’église Sainte-Bernadette, les jeunes musiciens de l’Annecy Campus Orchestra s’en sont donné à cœur joie dans le répertoire retenu cette année, ne faisant guère dans la dentelle, à l’instar de leur parrain Denis Matsuev, avec qui ils ont rivalisé de puissance dans l’œuvre concertante, le nuancier étant pour confiné dans un registre situé entre forte et fortississimo… Il n’en est pas moins sorti quelques traits d’orchestre des plus réussis, notamment du côté des bois (flûte, hautbois, clarinette, saxophone et basson) et cuivres (cor, trompette, trombone, tuba basse - ce dernier tenu par un tuteur) solistes, tandis que les cordes ont eu du mal à émerger du grondement quasi assourdissant du piano et des instruments à vent dans la Rhapsodie in Blue. Pour en rester à l’influence du jazz nord-américain, poussé par les ovations d’un public plus jeune que de coutume, Denis Matsuev s’est lancé dans deux très longs bis d’improvisations jazz façon Erroll Garner (1921-1977) mais en plus terrien dans lesquels le pianiste russe a joué de plus en plus fort avant de conclure dans deux brefs piani.

Annecy Classic Festival. Denis Matsuev (piano), Fayçal Karoui (direction), Annecy Campus Orchestra. Photo : (c) Yannick Perrin

La suite d’orchestre de West Side Story de Bernstein qui a suivi a été bienvenue pour sortir le public du long tunnel d’improvisation pianistique, réveillant la salle entière. Celle-ci s’est mise au diapason des jeunes assemblés sur le plateau qui se sont lancés dans un swing communicatif sur les rythmes haletants des morceaux les plus enlevés de la suite tirée par Bernstein de son musical, mais en négligeant plus ou moins le lyrisme des scènes d’amour et de désarroi. Pour clore le programme, une pièce tout aussi entraînante que celle de Bernstein mais en beaucoup moins raffiné, la Danzón n° 2 pour grand orchestre (1994) de Márquez qui assimile des musiques mexicaines de l’Etat de Veracruz et cubaines. Les jeunes musiciens se sont donnés sans restriction dans ces pages bondissantes et sans difficultés majeures autres que rythmiques, les instrumentistes à vent jouant leurs enchaînements en se levant chacun à la façon de lames de fond, avant de conclure sous les salves d’applaudissements d’un auditoire en liesse. L’étonnant est que, dans la perspective attendue de ce succès, Fayçal Karoui, qui s’est montré infiniment plus engagé, concentré et proche de ses stagiaires que l’an dernier tout en en faisant encore un peu trop dans sa gestique, n’ait pas préparé de bis, ce qui lui aurait évité de reprendre des passages de West Side Story et de la Danzón interprétés de façon plus relâchée, la concentration initiale ayant disparu…

Ces deux concerts ont été retransmis en direct sur Medici.tv, qui en propose le streaming pendant les trois mois qui viennent (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival).

Bruno Serrou

mardi 26 août 2014

Quatre futurs grands dans la Nuit du piano de l’Annecy Classic Festival : Anna Fedorova, David Fray, Li Siqian, Benjamin Grosvenor

Ve Annecy Classic Festival, Annecy (Haute-Savoie), Impérial Palace, lundi 25 août 2014

Annecy Classic Festival. Le Yamaha et la salle de l'Impéria Palace avant la Nuit du Piano. Photo : (c) Bruno Serrou

Une longue et belle soirée de piano attendait hier le public de l’Annecy Classic Festival dans le grand salon de l’Impérial Palace dont les larges baies vitrées donnent sur le lac d’Annecy au couchant. Une « Nuit du piano » de six heures dont Eliane Richepin est l’initiatrice avant que le concept soit repris ailleurs, durant laquelle se sont succédés quatre pianistes de la jeune génération pour autant de récitals aux programmes denses, variés et exigeants.

A soirée exceptionnelle, piano d’exception. Si j’ai pu relever à Annecy depuis le début de cette édition de l’Annecy Classic Festival les défaillances des Yamaha utilisés dans le cadre des concerts en l’église Sainte-Bernadette et du Musée-Château, réglés par un accordeur haut-savoyard, il convient de saluer la grande qualité du Yamaha en provenance d’Allemagne sur lequel ont pu s’exprimer hier soir les quatre pianistes venus d’autant de pays différents, la Chinoise Li Siqian, l’Ukrainienne Anna Fedorova, le Britannique Benjamin Grosvenor et le Français David Fray.

Annecy Classic Festival. Nuit du Piano. Anna Fedorova. Photo : (c) Yannick Perrin

Le cheminement progressif d’Anna Fedorova

C’est à Anna Fedorova (1) qu’est revenue la mission d’ouvrir la Nuit du piano 2014. Née dans une famille de musiciens, elle a commencé l’étude du piano à l’âge de cinq ans, avant de donner son premier récital un an plus tard et de se produire en concerto à sept ans avec l’Orchestre National d’Ukraine. Elève de Norma Fisher au Royal College of Music de Londres et de Leonid Margarius à l’Accademia Pianistica Incontri col Maestro à Imola (Italie), elle est lauréate d’une quinzaine de concours internationaux. Cette jeune pianiste ukrainienne de 24 ans que j’ai découverte quant à moi en 2012 lors du Concours Piano Campus à Cergy-Pontoise, a conçu un programme dont la structure, la progression musicale et l’exigence trahissent une réelle maturité. Apparemment « facile » est la Sonate n° 13 en si bémol majeur KV. 333 de Mozart composée à Linz fin 1783 quelques semaines après la Symphonie n° 36 en ut majeur KV. 425. Pourtant, tout en semblant vouloir s’échauffer dans la perspective de l’œuvre finale, Fedorova a donné la quintessence de la partition, dessinant les contours ludiques et animés de l’Allegro, le chant d’un ardent lyrisme de l’Andante cantabile et la joyeuse progression de l’Allegretto final conçu à la façon d’un triptyque . Après une courte pause, la pianiste a enchaîné les trois Valses op. 64 (1847) de Chopin, qui s’ouvrent sur la Valse Minute en raison de sa brièveté ou Valse du petit chien parce qu’inspirée par la danse d’un chien qui cherchait sous les yeux du compositeur à attraper sa queue. Cette courte page est suivie de la valse en trois parties dite « pure » dont le thème célèbre est beaucoup utilisé par les cinéastes. Le cahier se conclut sur une valse en la bémol majeur dont la difficulté croissante a préludé hier au plat de résistance de la prestation d’Anna Fedorova, l’extraordinaire juge de paix que constitue le triptyque que Maurice Ravel a composé en 1908 d’après trois poèmes éponymes d’Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit. La noirceur et l'exceptionnelle difficulté de ce recueil qui se déploient sur près de vingt-cinq minutes en font l’une des œuvres les plus emblématiques de son auteur. Dans Ondine, quil conte l’histoire d’une sirène qui invite un être humain à visiter son royaume aquatique, la digitalité du jeu de Fedorova lui a permis de restituer à la perfection la liquidité comparable aux Jeux d’eau, tout en soulignant l’onirisme et la virtuosité transcendante de ces pages. Dans Le Gibet, qui narre les dernières impressions d’un pendu au soleil couchant, la pianiste a su tenir la délicate gageure de soutenir la pression des cent cinquante trois octaves de pédales de si bémol inlassablement répétés cinquante-deux mesures durant, mettant également en exergue l’extraordinaire potentiel harmonique de ce morceau. Fedorova s’est vaillamment lancée dans Scarbo, miroir pianistique d'un gnome diabolique et facétieux porteur de funestes présages qui apparaît dans les songes des dormeurs, qu'elle a emporté sans efforts apparents, se jouant avec naturel et simplicité dans ses rythmes frénétiques, ses tempos extraordinairement rapides sans jamais faillir, faisant oublier au public qu’il s’agissait pour elle de surmonter les exceptionnelles difficultés techniques et la virtuosité requise par l’écriture singulièrement exigeante de Ravel. Sortant de Gaspard de la Nuit aussi fraîche mais plus détendue qu’au début de sa prestation, Anna Fedorova a offert en bis un Prélude de Rachmaninov ample et aéré, faisant oublier que, depuis Le Gibet, le piano vibrait bruyamment dans le médium au contact du plancher du praticable où il était installé et qui allait se faire plus prégnant pendant le récital suivant…


Annecy Classic Festival. Nuit du Piano. David Fray. Photo : (c) Yannick Perin

David Fray bachien

La deuxième prestation est revenue à David Fray. Le pianiste français de trente-trois ans tirait pourtant une moue des mauvais jours en franchissant le seuil du plateau et en traversant ce dernier pour se rendre au piano, avant de s’installer sur une chaise rembourrée et basse devant le clavier comme s’il subissait une punition. Ainsi assis bas devant le Yamaha, alors qu’il s’apprêtait à jouer des pages du Cantor de Leipzig, il s’est avéré impossible de ne pas songer à Glenn Gould et au fait que Fray est né en 1981, année où le Canadien gravait son ultime approche des Variations Goldberg, quelques mois avant sa mort. Faisant fi du public comme s’il était seul au monde et jouait pour lui-même, Fray a néanmoins donné des Bach éblouissants, avec quatre Préludes et Fugues autour de diverses tonalités d’ut (majeur/mineur et ut dièse majeur/mineur), les doigts se détachant avec une puissance, un délié et une régularité de nature gouldienne auxquels il a ajouté une musicalité que je lui connaissais guère. Puis ce fut le Prélude religieux pour piano puis harmonium de l’Offertoire de la Petite messe solennelle pour quatre voix solistes, chœur mixte, deux pianos et harmonium de Rossini qui, du moins sous les doigts de Fray, a pris le tour d’une page de Bach. Après cet intermède, qui s’est avéré monotone, David Fray a offert au public annécien, qu’il semblait ne toujours pas voir, une Sonate pour piano n° 23 en fa mineur op. 57 « Appassionata » de Beethoven énergique et d’une puissance conquérante, ce qui n’a pas empêché l'émergence de phases plus oniriques et sensibles trahissant quelques blessures sans pour autant s’épancher, Fray rattachant ainsi judicieusement Beethoven au classicisme plutôt qu’au romantisme. Ce qu’il a d’ailleurs souligné davantage encore en donnant en bis un Prélude de Bach…

Annecy Classic Festival. Nuit du Piano. Li Siqian. Photo : (c) Yannick Perrin

La digitalité extrême de Li Siqian

Née à Chongqing en 1992, Li Siqian était pour moi jusqu'à sa prestation d'hier soir une pargaite inconnue. Et je tiens à affirmer sans tarder combien elle m’a convaincu, même si sa conception globale suscite quelques regrets en raison d'un manque de diversité dans les contrastes et les couleurs. Néanmoins, il est clair qu'à vingt-deux ans cette jeune chinoise est l’un des fruits les plus prometteurs de cette école de piano émergeante qui, née après la mort de Mao Tsé Toung, est en train de s’imposer rapidement dans le monde, avec les Lang-Lang et autres Yundi Li, Yuja Wang, etc. Amorcée avec deux Sonates de Domenico Scarlatti (K. 466 L. 118 et K. 141 L. 422) jouées sur un piano enfin défait des vibrations du plancher avec une légèreté et une souplesse qui ont instillé au grand Yamaha de concert le tour d’une épinette plutôt que d’un clavecin tant le nuancier du toucher a été large, la prestation de Li Siqian s’est déployée dans les Etudes op. 10 de Chopin qu’elle a conçues comme une partition unique en dix mouvements contant un véritable poème pour piano grâce à un réel sens discoursif qui a suscité une structure en forme d'arche à laquelle il n'a manqué qu'une diversité de tons plus prégnante. Son toucher liquide et détaché a néanmoins séduit, chaque note s’exposant en toute limpidité en s’épanouissant indépendamment les unes les autres jusque dans les accords les plus fournis. Sous ses doigts, le Yamaha de concert est devenu un grand piano riche en harmoniques, de bas en haut du clavier réglé de façon égale. Après quoi la Valse de Faust de Gounod arrangée par Liszt est apparue superflue, autant du fait de la pianiste que de la pièce elle-même. Mais l’on a pu juger de l’amplitude des affinités musicales de la pianiste chinoise dans Jardins sous la pluie de Debussy que le doigté fluide et aérien de Li Siqian a subtilement paré.

Annecy Classic Festival. Nuit du Piano. Benjamin Grosvenor. Photo : (c) Yannick Perrin

Les sonorités moelleuses de Benjamin Grosvenor

A vingt-deux ans, Benjamin Grosvenor a le vent en poupe. Cet été, il a été l’invité de plusieurs grands festivals, et Universal vient de publier sous le label Decca (2) un récital solo où l’on peut découvrir l’ampleur de son répertoire. Ampleur confortée par la diversité des styles et des compositeurs qu’il a sélectionnés pour son récital d’hier soir, du plus populaire au plus rare, mais constamment difficile et d’un haut degré d’exigence, pour l’interprète comme pour l’auditeur. C’est sur une éblouissante première Ballade de Chopin que le pianiste britannique a ouvert son programme. Il y a démontré d’emblée son sens de la narration qu’il développe de ses doigts d’airain avec lesquels il exalte des sonorités profondes et riches en harmoniques et qui lui permettent de transcender le piano pour en faire un orchestre entier. Grosvenor s’est ensuite tourné vers les rares trois Paysages du Catalan Federico Mompou (1893-1987) dont il a enluminé les climats et les images qui y sont toutes inclues, avant d’interpréter Deux contes de fées op. 51/3 et op. 14/2, cette dernière intitulée Marche des Paladins, du Russe Nikolaï Medtner (1880-1951), un proche de Dimitri Chostakovitch qui se fait plus présent qu’autrefois dans les programmations occidentales. Grosvenor a ensuite donné des Valses nobles et sentimentales de Ravel une interprétation lumineuse et charnelle, gommant les côtés kitschs que l'on y trouve trop souvent, avant de conclure sur une ultime valse, celle du Faust de Gounod brillamment arrangée par Liszt et tout aussi brillamment jouée. En bis, une étincelante Etude de Concert d’Ernö Dohnányi et un étonnant Rush Hour in Hong-Kong d’Abram Chasins…

La Nuit du Piano a été retransmise en direct sur Medici.tv, qui en propose le streaming pendant les trois mois qui viennent (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival).

Bruno Serrou

1) Pour découvrir Anna Fedorova, je recommande le premier CD de la nouvelle collection placée sous l’égide de l’Annecy Classic Festival DiscAnnecY dans lequel la jeune pianiste ukrainienne interprète Chopin (Sonate pour piano n° 3 en si mineur op. 58), Liszt (Sonnet de Pétrarque n° 104) et Brahms (Six Klavierstücke op. 118) - CD DiscAnnecY DAY 01 (distribution Harmonia Mundi). Signalons également le récital programmé à Paris, Théâtre de l’Athénée, le 28 octobre 2014

2) Bach, Chopin, Scriabine, Granados, Schulz-Evler, Albeniz et Gould. 1 CD Decca 478 5334

lundi 25 août 2014

Pour ses 70 ans, Vladimir Spivakov a donné à Annecy un concert éblouissant avec ses Virtuoses de Moscou, après une présentationconvaincante du travail de Patrick Marco avec l’Académie choraleréunissant professionnels et amateurs

Annecy. Ve Annecy Classic Festival, Eglise Sainte-Bernadette, dimanche 24 août 2014

Annecy. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour la seconde journée de l'unique week-end de la décade de l’Annecy Classic Festival, les concerts se sont bousculés avec deux concerts aux programmes copieux séparés par un interstice de moins de deux heures dans l’enceinte de l’église Sainte-Bernadette, centre névralgique de la manifestation depuis le lancement de sa nouvelle formule en août 2010.

Annecy Classic Festival. Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Les Cris de Paris et Chœur d'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Yannick Perrin
Concert de musique spirituelle de l’Académie Vocale et de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg

Conformément à la tradition, dimanche oblige, c’est sur un concert de musique chorale d’inspiration religieuse dirigé par Patrick Marco qui a attiré un auditoire fourni dans l’enceinte de l’église Sainte-Bernadette. Directeur du Conservatoire de Puteaux, Chef du Chœur de l'Orchestre Lamoureux et de la Maîtrise de Paris, ensemble vocal mixte d’enfants qui compte aujourd’hui près de cent vingt chanteurs attaché au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris et qui se produit dans les grandes institutions musicales parisiennes, notamment à l’Opéra de Paris et Salle Pleyel avec divers orchestres (on a notamment pu l’entendre dans la Symphonie n° 3 de Mahler avec le San Francisco Symphony Orchestra dirigé par Michael Tilson Thomas), Patrick Marco anime chaque année à Annecy un Atelier vocal qui réunit autour de sa maîtrise et d’un chœur professionnel, cette année Les Cris de Paris que son directeur fondateur Geoffroy Jourdain a confié à Marco le temps de ce campus, une centaine d’amateurs rassemblés sous le label Chœur d’Annecy Classic Festival. Au programme de la session 2014, trois extraits des Vêpres solennelles d’un confesseur KV. 339 et la Messe du Couronnement en ut majeur KV. 317, deux œuvres de Mozart conçues en 1779 que Marco allait faire exécuter avec le luxueux Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg.

Jiwon Song (baryton) et Julien Vanhoutte. Photo : (c) Yannick Perrin

Mais pour la première partie de ce concert, c’est un autre chef, Julien Vanhoutte, qui s’est vu confier la création d’une pièce déjà ancienne de Richard Dubugnon (né en 1968). Bien que le compositeur-contrebassiste franco-suisse ait officiellement répondu à une commande du festival, l’Adoration de la Croix op. 9 a été conçue voilà plus de vingt ans. Cette pièce illustre des textes grecs et latins utilisés depuis le XIIe siècle le Vendredi-Saint et fait appel à un effectif peu usité constitué d’un célébrant-baryton, d’un chœur mixte, d’un chœur d’enfants, d’un quintette de cuivres (cor, deux trompettes, trombone, tuba), de timbales et d’un orgue. D’aucuns se souviennent de la création Salle Pleyel en décembre 2008 par l’Orchestre de Paris dirigé par Esa-Pekka Salonen avec Janine Jansen en soliste devant un Henri Dutilleux consterné d’un Concerto pour violon op. 45 de Dubugnon pour le moins convenu et fleurant la naphtaline. Composée en 1993-1994, révisée par deux fois, en 1997 et 2007, cette partition est légèrement plus téméraire que le concerto de quatorze ans son cadet, du moins par ce que j’ai pu en juger assis au premier rang non loin des pavillons du bataillon des cuivres et d’un orgue qui me cachaient les effectifs choraux placés le long du mur du fond du chœur de l’église. Cette page d’une vingtaine de minutes a mis mes oreilles en capilotade au point de déclencher des acouphènes qui perdurent vingt-quatre heures après. L’exécution, qui a réuni un solide baryton, le bien nommé Jiwon Song, un ensemble de cuivres de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, la Maîtrise de Paris et les Cris de Paris, a été précédée d’une présentation de la pièce par son auteur sans une once d’humilité (« … vous entendrez ensuite un très joli passage… ») et dirigé de la même façon par Julien Vanhoutte, ne laissant aucun autre souvenir que les troubles auditifs suscités par la proximité des cuivres qui a ruiné un long moment mes capacités auditives.

 Patrick Marco. Photo : DR

Sous la direction fougueuse et volontaire de Patrick Marco, les deux œuvres de Mozart se sont déployées de façon énergique, sonnant large mais placé comme je l’étais, je n’ai pu goûter l’exécution dans sa pleine mesure, collé que j’étais aux six seconds violons et, à leur droite, aux six altos ainsi qu’à l’orgue, alors que les effectifs choraux, qui ont associé amateurs de l’Académie et professionnels de la Maîtrise de Paris et des Cris de Paris, étaient trop loin de l’orchestre, le long du mur du fond. Ce qui est regrettable, car Mozart était servi par un orchestre de tout premier plan et un ensemble choral d’une incontestable cohésion, tandis que le quatuor vocal solistes constitué de Suzanne Jérosme (soprano), Anne Reinhold (mezzo-soprano), Jean-François Novelli (ténor) et Sevag Tachdjian (basse) s’est montré cohérant avec ses voix jeunes et encore peu puissantes mais en phase avec l’humilité spirituelle de ces deux œuvres d’un Mozart de vingt-trois ans.

Annecy Classic Festival. Vladimir Spivakov et Les Solistes de Moscou. Photo : (c) Yannick Perrin

Vladimir Spivakov, les Solistes de Moscou, Anastasia Kobekina et Denis Matsuev

Quatre vingt dix minutes après la fin du concert Mozart/Dubugnon, Vladimir Spivakov à la tête de ses Virtuoses de Moscou offrait pour son soixante-dixième anniversaire un concert d’une très haute tenue, qui dit combien ce musicien russe qui s’imposa tout d’abord comme un grand violoniste, est devenu un excellent chef d’orchestre. Tout en poursuivant une carrière de soliste et de chambriste dans le monde entier (il prépare une tournée automnale aux Etats-Unis), et en animant le Festival international de musique de Colmar depuis 1989, il se produit toujours davantage en tant que chef, non seulement avec Les Virtuoses de Moscou qu’il a fondés en 1979 avec ses amis solistes, lauréats de concours internationaux et premiers pupitres des grands orchestres russes dont les effectifs se sont considérablement renouvelés en trente-cinq ans, mais aussi avec le National Philharmonique de Russie qu’il a créé en 2003.  

Annecy Classic Festival. Denis Matsuev et Vladimir Spivakov. Photo : (c) Yannick Perrin

Le geste précis mais jamais agité, il fait corps avec son orchestre dont le nom n’est pas usurpé, tant tous les musiciens s’avèrent d’indubitables virtuoses. La Sérénade pour cordes en ut majeur op. 48 de Tchaïkovski a séduit par son interprétation conquérante et déliée, enlevée et objective, jouée sans traîner et sans pathos, les Virtuoses de Moscou exaltant des sonorités charnues et lumineuses, donnant à cette partition d’essence classique un tour subtilement classique, qui a judicieusement préludé aux deux œuvres qui la suivaient. Tout d’abord le Concerto n° 17 pour piano et orchestre en sol majeur KV. 453 (1784) de Mozart, avec en soliste Denis Matsuev. Préparant l’entrée du soliste sur un tapis de cordes voluptueuses, Vladimir Spivakov a réussi à canaliser l’écoute et la puissance de son compatriote, qui a fait chanter son piano avec délectation et bonhomie, respectant les couleurs et la légèreté fruitée et lumineuse des textures et la chaleur de ton de Mozart, faisant chanter l’Andante central avec générosité et allant, comme s’il s’agissait d’une aria d’opéra. Mais emporté par l’élan du finale, Denis Matsuev a eu tendance à jouer de plus en plus fort et sec, ne laissant pas l’œuvre bondir et respirer jusqu’à la fin de l’œuvre, incitant Spivakov et les Virtuoses de Moscou à rivaliser avec lui, au point de conclure en une course frénétique. A l’issue de cette exécution conclue sur un tour haletant, le pianiste russe a offert un bis délectable, une Valse de Jean Sibelius qui dit combien Matsuev peut quand il le veut - conformément à ce qu’il a démontré dans les deux premiers mouvements du concerto de Mozart - jouer tout en retenue et délicatesse.

Annecy Classic Festival. Anastasia Kobekina (violoncelle) et Vladimir Spivakov. Photo : (c) Yannick Perrin

C’est avec le célébrissime Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre en ut majeur Hob. VIIb.1 (1762) de Joseph Haydn que Spivakov a ouvert la seconde partie de son concert-anniversaire. En soliste, sa jeune protégée Anastasia Kobekina. Née le 26 août 1994, la violoncelliste russe a été remarquée à six ans par Vladimir Spivakov, qui, après l’avoir auditionnée, l’a fait entrer au sein de sa Fondation pédagogique et lui a offert voilà quatre ans l’instrument italien sur lequel elle joue, un Stefano Scarampella fabriqué au XIXe siècle. Jouant avec une aisance confondante, une technique de la main gauche rigoureuse, l’archet souple mais ferme, elle exalte des sonorités charnues qui ne demandent qu’à s’élargir avec le temps, Kobekina est une jeune artiste russe pour le moins prometteuse dont on pourrait rapidement entendre parler parmi les grands violoncellistes. Vladimir Spivakov a forgé pour sa protégée une étoffe délicate et soyeuse avec ses Virtuoses de Moscou qui ont dialogué avec allant avec la soliste. Le chef russe a conclu la soirée sur deux pages pour octuor de cordes de Dimitri Chostakovitch réunies sur l’intitulé générique Prélude et Scherzo op. 11 composées en 1925-1926, donc contemporaines de la Première Symphonie, et créées à Moscou le 9 janvier 1929 par les Quatuors Glière et Stradivarius. Ces pages comptent parmi les plus inventives du compositeur russe, dont la créativité n’avait pas encore été muselée par les sbires staliniens, l’URSS étant encore ouverte à l’époque à l’avant-garde occidentale. Ainsi y trouve-t-on l’esprit d’un Hindemith et d’un Krenek, l’atonalité et le machinisme. Si le Prélude s’inscrit dans la tonalité, renvoyant au XVIIIe siècle, le Scherzo tend à l’atonalité et s’avère plus incisif. Vladimir Spivakov et les Virtuoses de Moscou en ont donné une version plus étoffée, avec vingt-quatre cordes (7-7-4-4-2), mais l’a souplesse des archets et la dextérité des doigts courant sur les touches ont donné la même impression de fluidité et de transparence que l’octuor originel, tout en donnant plus de profondeur de champ. 

Annecy Classic Festival. Vladimir Spivakov et Les Solistes de Moscou. Photo : (c) Bruno Serrou

Après ces deux pages d’une durée totale ne dépassant guère les onze minutes, Vladimir Spivakov a donné trois bis. Les deux premiers de Chostakovitch, un très court Praeludium suivi d’une Polka qui en dit long sur les aptitudes à l’humour et à la dérision de son auteur, dans laquelle le premier contrebassiste des Virtuose de Moscou, Grigory Kovalesky, s’est montré aussi véloce qu’heureux, allant jusqu’à danser comme s’il était seul au monde, transcendé par le dernier bis, un Hyper Tango d’Astor Piazzolla qui a donné un tour jovial au final du concert.

Ce second concert de dimanche a été retransmis en direct sur Medici.tv, qui en propose le streaming pendant les trois mois qui viennent (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival).


Bruno Serrou