Paris, Opéra-Comique, jeudi 20 mars 2014
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. (Au centre) Marcel Beekman (Platée), Edwin Crossley-Mercer. Photo : (c) Monika Rittershaus, DR
Platée est avec les Indes galantes, conçues dix ans plus tôt, l’ouvrage le plus
populaire de Rameau. Lors de sa création à
La Grande Ecurie de Versailles le 31 mars 1745 à l’occasion du mariage du
Dauphin et de l’Infante d’Espagne, l’opéra-ballet Platée a fait l’effet d’une révolution de palais. Outre le fait que
les auteurs, Jean-Philippe Rameau pour la musique et Adrien-Joseph Le Valois d’Orville
pour le livret tiré de la comédie Platée
ou Junon jalouse de Jacques Autreau inspirée des Boétiques du géographe grec Pausanias (v.115-v.180), raillaient une
vieille nymphe campée par un homme devant une jeune mariée que la nature avait
peu favorisée. L'on y voyait pour la première fois un ouvrage jouant délibérément
la carte du burlesque, alors même que la tragédie lyrique était encore le
modèle obligé du théâtre musical cinquante-huit ans après la mort de
Jean-Baptiste Lully. Car Platée est en
fait un immense pastiche du théâtre lyrique français, l’opéra se moquant ici de
lui-même, l’apogée étant atteint dans un réjouissant air de La Folie, qui
aligne tous les poncifs du genre. L’amour, dans ses différents états, y est également
raillé, puisqu’il s’agit du sujet favori de l’opéra.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Quinze ans après l’hilarante
production de l’Opéra de Paris, l’Opéra-Comique a choisi de proposer la sienne
au public parisien. La première de cette nouvelle Platée, qui a été présentée hier, s’est déroulée au terme d’une
journée d’action des intermittents du spectacle, qui manifestaient non loin de là, sur
le parvis de l’Opéra Garnier. L’on aurait de ce fait pu craindre quelques
perturbations devant Favart durant cette soirée quelque peu huppée donnée dans
le cadre du deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Jean-Philippe
Rameau (1683-1764). Or, lesdits intermittents se sont limités à la lecture devant la
fosse d’orchestre d’un rappel de leur inaliénable nécessité dans une production comme celle
à laquelle allait assister le public, qui a en partie sifflé la délégation,
tandis qu’une majorité a recouvert les huées par leur soutien manifeste. Puis on est
passé à la représentation, en présence entre autres de William Christie, à qui
la nouvelle production doit son existence, mais qui, pour des raisons de santé, a dû laisser la baguette à
son disciple Paul Agnew, qui a souvent chanté Platée.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. Marcel Beekman (Platée), Simone Kermes (la Folie). Photo : (c) Monika Rittershaus, DR
Régie par
la Folie, cette histoire de grenouille qui se prend pour une nymphe
irrésistible au point de vouloir séduire Jupiter lui-même, suscite une course à
la vanité digne d’une fable de La Fontaine, tant beauté et laideur sont affaires
de relativité. Signant une musique particulièrement figurative, Rameau n’a jamais été aussi inventif que dans cet ouvrage, qui porte en germes le
romantisme, l’impressionnisme et l’expressionnisme. La partition de cet
opéra-ballet est foisonnante, avec ses nombreux intermèdes dansés qui suscitent
une musique inventive. Mais à trop vouloir démontrer, Rameau réfrène l’action
qui en devient rébarbative.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. Edwin Crossley-Mercer (Jupiter). Photo : (c) Monika Rittershaus, DR
Qui dit baroque dit imagination débridée des dramaturges. Ce qui est admis
en ce domaine par le public lyricomane est étonnamment souvent décrié ailleurs. En 1999,
puis en 2002, l’Opéra de Paris confiait à Marc Minkowski et Laurent Pelly une Platée qui a fait date, avec Paul Agnew
dans le rôle-titre. Ce dernier est cette fois dans la fosse, à la tête des Arts
florissants de William Christie. Loin de la truculence et du naturalisme de
Pelly, qui avait bravement fait sien l’univers des fables de Jean de La
Fontaine, Carsen a opté pour le microcosme chic de la haute couture et de ses
défilés, avec miroirs clinquants, apparat snob et frivolité creuse régentée par
un Jupiter qui a emprunté les traits de Karl Lagerfeld portant dans ses bras sa
chatte siamoise blanche répondant au prénom Choupette. Des sacs griffés Coco Chanel sont continuellement prodigués aux
choristes au sein d’une action qui se déploie dans un décor glacial aux
murs-miroirs, qui renvoient sans doute au public sa propre image - idée qu’avait
déjà exploitée Pelly dans cette même œuvre -, effet qui ne m’est pas apparu du
fauteuil de balcon de côté que j’occupais mais que mes confrères mieux placés ont sans
doute pu percevoir, pourvu de chaises en plexiglas alignées façon défilés, tables
rondes recouvertes de nappes immaculées surmontées de vases de fleurs blanches,
le tout éclairé de lumières froides réglées par Robert Carsen. Les costumes bigarrés
et un écran de télévision sur lequel défilent des mannequins de la dernière
collection Chanel épandent quelques couleurs à la scénographie glacée de Gideon
Davey, tandis que Nicolas Paul signe d’interminables ballets sagement
provocants.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. Simone Kermes (la Folie) assiste à la fin du défilé de mode du couturier Junel, avec la robe de mariée. Photo : (c) Monika Rittershaus, DR
Moins étincelante
que celle de Pelly, mais aussi moins aguerrie, la distribution dont bénéficie
Carsen reste homogène, bien que la prononciation du français eut mérité d’être
plus travaillée, surtout de la part de Simone Kermes, Folie manquant d’abattage
mais à la voix solide et aux aigus triomphants. Edwin Crossley-Mercer campe un
Jupiter revenu de tout, tandis que Marcel Beekman est une Platée déterminée et
inusable au point que l’on est guère touché par les railleries dont elle est
victime, et la voix n’a pas l’élégance et l’agilité de celle de Paul Agnew dans ce même
rôle. Cyril Auvity (Thepsis, Mercure), Marc Mauillon (Momus, Cithéron), Emmanuelle
de Negri (Amour, Clarine) et Joao Fernandes (Satyre, Momuss) ne déméritent pas,
tandis qu’Emilie Renard est une Junon plus effacée. Sous la direction ardente et
onirique de Paul Agnew, les Arts florissants sont valeureux, même si l’on eut aimé
davantage de coloration et moins de dureté.
Bruno Serrou
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