Paris, Théâtre des
Champs-Elysées, dimanche 15 décembre 2013
Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Mise en scène Olivier Py, scénographie Pierre-André Weitz. Photo : (c) Vincent Pontet-WikiSpectacle, DR
Pour clore l’année du cinquantenaire de la disparition
de Francis Poulenc, mort le 30 janvier 1963, le Théâtre des Champs-Elysées, à
l’instar de plusieurs théâtres lyriques français, a porté son dévolu sur le
chef-d’œuvre du compositeur, Dialogues
des Carmélites. Il en a confié la production au plus mystique des metteurs
en scène français, Olivier Py, qui signe ici disons-le tout de suite, l’un de
ses spectacles les plus accomplis.
Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Patricia Petibon (Blanche de La Force). Photo : (c) Vincent Pontet-WikiSpectacle, DR
C’est à Milan, en mars 1953,
trois ans après la mort de Georges Bernanos, que le directeur des Editions
Ricordi suggère à Poulenc la pièce de ce dernier, Dialogues des Carmélites. « Trois jours plus tard, se
souvenait Poulenc, j’achète le livre à Rome : quel choc ! Tout de
suite, j’ai eu, comme disait notre Colette, ’’les pieds pris’’. En juin, dans
le train entre Paris et Brive, je ’’découpais’’ le texte, au crayon. »
Poulenc ne touchera ni n’ajoutera le moindre mot, se contentant de couper des
répliques, alléger des scènes, supprimer des tableaux. « On ne profane pas
un texte pareil », convenait-il. Se présentant davantage sous forme de
scénario, mis en pièce de théâtre en 1952 par Jacques Hébertot, le texte de
Bernanos s’inspire du roman historique allemand La dernière à l’échafaud de Gertrud von Le Fort. Commencée en août
1953, la partition est achevée en juin 1956. L’ouvrage est créé en italien à la
Scala de Milan, le 26 janvier 1957, puis dans sa version originale, à l’Opéra
de Paris, le 21 juin suivant. A ceux que le choix d’un tel sujet surprenait,
Poulenc répondait : « C’est mal me connaître que de s’étonner de ma
collaboration avec Bernanos. Sa conception spirituelle est exactement la mienne
et sa violence répond parfaitement à un côté total de ma nature, qu’il s’agisse
du divertissement ou de l’ascèse. » En effet, cette œuvre, qui plonge dans
la vie conventuelle et se fonde sur un livret particulièrement austère, s’avère
au bout du compte un véritable opéra. La musique de Poulenc magnifie le contenu
spirituel du texte de Bernanos et lui donne une réelle carnation, unissant le pathétique
à la retenue, la grâce au dénuement.
Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Mise en scène Olivier Py, scénographie Pierre-André Weitz. Photo : (c) Vincent Pontet-WikiSpectacle, DR
C’est précisément ce qu’a
magnifié Olivier Py. A enchaîner les nouvelles productions à l’Opéra de Paris,
et les reprises, à La Monnaie de Bruxelles, on a pu croire le metteur en scène
comédien dramaturge en panne d’inspiration, plus capable de se renouveler. Or,
il n’en est rien, tant la réussite est magistrale, rehaussée par une
scénographe Pierre-André Weitz qui est pure merveille. Dans un décor superbe de
simplicité et signifiant digne d’un carmel, au dégradé de gris, à l’instar des
costumes, la direction d’acteur au cordeau donne sa dimension et sa
personnalité à chacun des personnages. L’agonie de la première Prieure telle un
Christ en croix recouverte d’un linceul sur un lit entouré d’une table de nuit
et d’une lampe fixés sur un mur, le tout de couleur blanche, les apparitions de
la crèche aux moments cruciaux, celle de la Cène reconstituées par des femmes,
le sacrifice de l’Agneau, le finale sur le plateau nu donnant sur un ciel
nocturne étoilé vers lequel les carmélites vêtues de longues chemises blanches
s’éloignent les unes après les autres au son de la guillotine, sont
quelques-uns des moments les plus bouleversants d’une mise en scène qui n’en
est pas avare. Jérémie Rohrer, qui connaît parfaitement la fosse du
Théâtre des Champs-Elysées (Don Giovanni
en avril-mai dernier (30/04)), est en totale adéquation avec le plateau,
traduisant les non-dits des protagonistes, leurs sentiments profonds,
galvanisant une Philharmonia Orchestra aux sonorités sombres et miroitantes, ne
couvrant jamais les voix, même dans les moments les plus dramatiques.
Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Mise en scène Olivier Py, scénographie Pierre-André Weitz. Photo : DR
L’extraordinaire réussite de ces Dialogues est aussi due à une distribution magistrale, emmenée par
Patricia Petibon, qui, en Sœur Blanche de l’Agonie du Christ, porte les
moindres intentions du metteur en scène qui la connaît bien pour l’avoir
dirigée dans Lulu de Berg à Genève,
au point de les faire siennes pour les transcender, en comédienne accomplie
pourvue d’une voix charnelle au timbre lumineux. Tour à tour exaltée et
modeste, docile et rebelle, cassante et fragile, la novice entrée au carmel
pour échapper au monde
extérieur qui l’effraie est poignante de vérité. Autour d’elle, la noble Madame Lidoine
de Véronique Gens, intègre et généreuse, à la vocalité étincelante, l’ardente
Mère Marie éperdue de martyre de Sophie Koch, la Sœur Constance tendre et rêveuse de Sabine Devieilhe, qui a
superbement remplacé Sandrine Piau, souffrante, en incarnant un être d’une
pureté et d’une profondeur ineffable.
Olivier Py présentant à Patricia Petibon, Matthieu Lécroart et Sandine Piau l'ouvrage que mon père consacra avec le photographe Pierre Vals au Carmel paru chez Pierre Horay en 1955, deux ans avant la création de l'opéra de Poulenc. Photo : Patrick Messina
L’agonie de Madame de Croissy est l’un
des sommets de l’opéra. L’exhortation blasphématoire de la Prieure épouvantée
par la perspective de la mort, d’une violence insoutenable, déforme la voix et
altère la ligne de chant d’une Rosalind Plowright hallucinante de douleur et
d’effroi. Réduits à la portion congrue, les hommes n’en déméritent pas pour
autant, avec un Philippe Rouillon émouvant Marquis de La Force, et, surtout, un
Topi Lehtipuu dont la voix de ténor mozartien rayonne dans la figure du
Chevalier de La Force. Les autres rôles sont tout aussi méritants, ainsi que le
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées dirigé par Alexandre Piquion.
Bruno
Serrou
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