Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre. Tom Fox (Wotan)
Huit
mois après le prologue (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/avec-un-das-rheingold-onirique-ingo.html),
le Grand Théâtre de Genève présente ce mois de novembre la première journée du Ring de Richard Wagner, Die Walküre dans la production inédite de
l’équipe allemande constituée autour du chef Ingo Metzmacher et du metteur en
scène Dieter Dorn. A l’instar de l’Or du
Rhin, la Walkyrie débute avant
même que l’ouvrage ne commence, avec les Nornes qui s’obstinent encore à
dévider le fil de la destinée tandis que les destriers des Walkyries articulés telles
des marionnettes circulent sur le plateau et que Wotan hante l’espace, occupé
en son centre par un énorme frêne au tronc et aux branches aux formes fantomatiques
d’un dragon où est planté Nothung. Un espace qui se resserre tandis que les
jumeaux Wälsung se rejoignent dans la tanière de Hunding du premier acte.
Richard Wagner (1813-1883). Die Walküre, Acte I. Michaela Kaune (Sieglinde), Will Hartmann (Siegmund).
Tournant
le dos à l’esprit commedia dell’arte
qui gouverne l’Or du Rhin, la
scénographie de la Walkyrie de Jürgen
Rose, qui puise toujours son inspiration dans l’Orient, est plus inspirée et éloquente
que celle du prologue, avec un deuxième acte au parterre en demi-cercle aux
dalles sombres rappelant les caisses de bois encastrées les unes dans les
autres où s’égayaient les Filles du Rhin et symbolisant autant l’intérieur du
Walhalla que la forêt, tandis qu’un jeu de miroirs éclatés jonchant le sol s’ouvre
sous les pas de Wotan, ce qui s’avère du plus bel effet. Le troisième acte se
déploie en un lieu désert au centre duquel est planté le rocher des Walkyries, qui,
toutes masquées, transportent des cadavres de héros en latex écarlate. Un
rocher, qui sera magnifiquement entouré d’un rideau disposé en arc dont la mobilité
anime les flammes alors que Wotan intime à Loge l’ordre de veiller sur la
destinée de Brünnhilde. De belles images donc au service d’une direction d’acteurs
au cordeau qui donnent à cette Walkyrie une réelle probité de lecture non
dépourvue d’émotion.
Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre, Acte II. Günther Groissböck (Hunding), Tom Fox (Wotan), Will Hartmann (Siegmund)
La
vision d’Ingo Metzmacher, fluide et aérée, est en parfaite adéquation avec
celle de Dieter Dorn. Evitant soigneusement la grandiloquence et la pompe, le chef
allemand donne à la partition le tour d’une immense page de musique de chambre
dans l’esprit d’Herbert von Karajan (1), alors qu’il est loin de bénéficier d’un
orchestre aussi somptueux que celui de son aîné, tandis que la dynamique générale,
alerte et ardente, est celle d’un Clemens Krauss (2). Ce qui a pour corolaire
de mettre à nu les défaillances des pupitres des vents de l’Orchestre de la
Suisse romande, plus particulièrement des cuivres dont la prestation s’avère
toujours plus perturbante, l’oreille du spectateur se faisant de plus en plus
en alerte dans l’attente continuelle d’une faute d’attaque de cor, de trompette
ou de trombone (quant au tuba, il est plutôt envahissant) - on se souvient
pourtant que Marek Janowski, chef wagnérien de tradition germanique, a été le
patron de cette phalange.
Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre, Acte III. Tom Fox (Wotan), Petra Lang (Brünnhilde)
L’option musique de chambre est des mieux venue car,
sur le plateau, les grandes voix ne font guère florès, à l’exception d’Elena
Zhidkova, Fricka virulente, et, surtout, Günther Groissböck, Hunding
impressionnant. Tom Fox, qui avait eu le mérite de sauver l’Or du Rhin en mars dernier en remplacement de Thomas Johannes
Meyer au pied levé, fatigue vite en Wotan, au point de ne plus contrôler les
écarts de sa voix et de perdre carrément ses aigus dans la scène des adieux,
brisant du même coup l’émoi que suscite généralement ce sublime moment du Ring. Face au Siegmund vocalement ténu
de Will Hartmann, la Sieglinde lumineuse et toute en délicatesse de Michaela
Kaune est d’une densité et d’une ferveur captivante, ce qui fait de ce personnage
un être de chair et de sang, ainsi que la Brünnhilde de Petra Lang, au timbre
et à la voix hélas désunis. Les huit Walkyries (Katja Levin, Marion Amann,
Lucie Roche, Ahlima Mhamdi, Rena Harms, Stephanie Lauricella, Suzanne Hendrix,
Laura Nykänen) sont irréprochables. Malgré ses défauts, cette Walkyrie
passionne et suscite l’impatience dans notre attente des deux derniers volets
de la Tétralogie (3)…
Bruno Serrou
1) Studio 1966-1970, 14CD DG 4577802
2)
Bayreuth 1953, 15CD Foyer 2007-2010
3) Siegfried,
30/01-8/02, le Crépuscule des dieux,
24/04-2/02, Ring complet, 13-18/05 et
20-25/05, http://www.geneveopera.ch
Photos : (c) GTG Carole Parodi / Grand Théâtre de Genève
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