dimanche 11 août 2013

Olivier Cavé et les sœurs Katia et Marielle Labèque, grandeur et décadence du pianiste

XXXIIIe Festival de La Roque d’Anthéron, Abbaye de Silvacane et parc du Château de Florans, samedi  10 août 2013

Olivier Cavé. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Il est des jours où le hasard amalgame félicité et désillusion. Ce fut le cas samedi avec les deux concerts proposés par le Festival de La Roque d’Anthéron à trois heures de distance en deux lieux différents. Commençons par le meilleur… à l’instar de la chronologie de la soirée.
 
A l’orée d’une carrière qui s’annonce prometteuse, le jeune pianiste suisse Olivier Cavé a présenté un programme remarquablement pensé autour de concertos pour clavier de Jean-Sébastien Bach inspirés du modèle vénitien, plus particulièrement d’Antonio Vivaldi.

Les promesses d’Olivier Cavé dans des Bach souverains

Né à Martigny (Valais) en 1977, Olivier Cavé a commencé le piano à l’âge de six ans au conservatoire de Sion, avant d’intégrer celui de Lausanne puis de celui de Genève. Mais c’est la rencontre avec la pianiste napolitaine Maria Tipo dont il est devenu l’élève tout en étudiant avec Aldo Ciccolini qui s’est avérée déterminante pour son entrée dans la carrière de pianiste et dans ses choix artistiques. C’est en effet à la musique du tournant des XVIIIe et XIXe siècles qu’il se consacre aujourd’hui, de Jean-Sébastien Bach et Domenico Scarlatti à Joseph Haydn et Muzio Clementi, mais aussi Beethoven et Schubert. Il s’intéresse également à la musique contemporaine italienne, particulièrement Luciano Berio et Salvatore Sciarrino.

Olivier Cavé. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Lorsqu’on lui demande s’il ne craint pas de jouer le répertoire baroque sur piano moderne, il assume ses choix sans hésiter. « J’aime cette musique, et je l’assume comme pianiste. Après tout, qui dit baroque dit forme, couleurs, donc l’usage d’un nuancier. Le piano est de ce fait parfaitement adapté à ce répertoire. Je travaille beaucoup avec les musiciens baroques, notamment les clavecinistes, car j’entends respecter la plénitude de cette musique. Mais c’est une erreur absolue que de chercher à imiter le clavecin au piano. Il suffit de choisir l’instrument idoine. » Et d’instruments, il avait largement de quoi choisir, à La Roque d’Anthéron. Après avoir essayé plusieurs Steinway - il possède personnellement un Bösendorfer -, il a porté son dévolu sur un instrument d’un facteur de Bayreuth, Steingraeber & Söhne, parfaitement adapté aux dimensions du cloître de l’abbaye de Silvacane où s’est tenu le récital, à l’aigu clair et brillant et au médium chaleureux mais au grave aux résonnances trop amples et brouillées, comme le démontrera la Paraphrase sur Rigoletto de Verdi de Franz Liszt que le pianiste donnera en bis, pour répondre aux rappels trop insistants du public.

Ayant de toute évidence la fibre pédagogique, suivant en cela les recommandations d’une amie psychologue qui lui conseilla d’agir ainsi pour atténuer son trac, Olivier Cavé a présenté la globalité de son programme avant de faire de même pour chacune des œuvre avant leur exécution, avec un sens du « timing » digne de l’horlogerie suisse, en disant ni trop ni pas assez. Inspiré en 1711 du Concerto pour violon en ré majeur de Vivaldi, le Concerto en fa majeur BWV 978 a atteint sous les doigts de Calvé une vivacité, un élan et une ductilité saisissants, tandis que, puisé dans un concerto pour hautbois d’Alessandro Marcello le Concerto en ré mineur BWV 974 s’est avéré d’une luminosité extrême dans les mouvements vifs tandis que l’adagio central a chanté comme si le clavier était devenu une voix humaine. Le populaire Concerto italien en fa majeur BWV 971 a été un moment de grâce qui s’est conclu sur un Presto superbe de générosité et de maîtrise. Œuvre de jeunesse (Bach avait une douzaine d’années lorsqu’il le composa) de portée autobiographique, puisque le futur Cantor de Leipzig y chantait la tristesse et les espoirs que suscitait en lui le départ de son frère aîné du domicile familial, le Capriccio sopra la lontananza del fratello dilettantissimo en si bémol majeur BWV 992 s’est conclu sur une fugue flamboyante en « imitation du cor de postillon » que Calvé a enlevée en un souffle vertigineux empli de poésie. Puisé dans les concertos pour violon de Vivaldi, le Concerto en sol majeur BWV 973 a conclu le concert sur un onirisme flamboyant. Avant la Paraphrase sur Rigoletto de Liszt qui s’est avérée superfétatoire au terme de ce programme, Olivier Cavé a proposé la courte (trois lignes) mais accomplie Sonate K 32 de Domenico Scarlatti, pièce qu’il a enregistrée dans un recueil de sonates du compositeur italien paru chez Aeon.
 
Katia et Marielle Labèque. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Katia et Marielle Labèque au Pays basque
 
La seconde partie de soirée ne s’est pas située sur les mêmes cimes, loin s’en faut. Pourtant, contrairement à la veille pour la soirée pour piano et violoncelle, les gradins du Parc du Château de Florans affichaient complet. Le public est en effet venu en nombre attiré par la présence des sœur Katia et Marielle Labèque. Ces dernières semblent être définitivement tombées dans la facilité et le trivial, et ne doivent leur succès qu’aux souvenirs qu’elles laissent dans les mémoires des mélomanes, autant grand public qu’avertis. Nous sommes loin du temps où elles se produisaient en duo ou avec les percussionnistes Jean-Pierre Drouet et Sylvio Gualda dans des programmes originaux et téméraires, et de celui où, comme en 1973, elles donnaient au Festival de musique contemporaine de Royan le Concerto de Luciano Berio et créaient quelques années plus tard son Linea, ainsi que le Concerto pour deux pianos de Philippe Boesmans…
 
Katia et Marielle Labèque et le Trio Kalakan. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Aujourd’hui, Katia et Marielle Labèque se contentent des mêmes sempiternels Préludes pour deux pianos de George Gershwin qu’elles frappent plus qu’elles jouent, Katia faisant des mimiques impossibles, se jetant sur le clavier, bondissant de son siège comme un cabri, tapant bruyamment la mesure de son talon-échasse attaché à son pied gauche, tandis que Marielle a la tête plongée dans le clavier cachée de ses longs cheveux noirs ondulés. Les Quatre Mouvements pour deux pianos de Philip Glass sont interminables et sans intérêt en regard des compositeurs contemporains qu’elles défendaient jadis. La seconde partie nous avait déjà piégés voilà deux ans au Festival de Montpellier, où les sœurs Labèque avaient invité un groupe folklorique basque à se joindre à elles pour interpréter le Boléro de Ravel, se souvenant que ce dernier était né à Ciboure dans une maison faisant face à Saint-Jean-de-Luz… Ainsi, le Trio Kalakan a joué de la percussion et chanté quatre chansons basques, dont une charmante chanson mariale, avant d’être rejoint par Katia et Marielle Labèque dans une fastidieuse interprétation du Boléro, la caisse claire installée de profil entre les deux pianistes, les deux autres percussionnistes jouant grosse caisse, établi, cloche de vache et tambours de basque les pieds équipés de bottes à clochettes. Une relecture accablante du gag que Ravel a transformé en chef-d’œuvre universel. Mais un musicien a-t-il le droit de massacrer ainsi une telle œuvre, qui saura heureusement s’en remettre après en avoir vu beaucoup d’autres, et un pareil concert a-t-il vraiment sa place dans un festival de la réputation de La Roque d’Anthéron, qui a certes ainsi attiré les foules avec ce programme mais était-ce une raison suffisante ?...

Bruno Serrou

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