Cette
année du centenaire de la naissance de Benjamin Britten (1913-1976) apporte son
lot de rééditions et de mise en coffrets de réalisations depuis longtemps
disponibles au disque, mais plus ou moins accessibles ces dernières d’années.
En attendant cet automne les intégrales qu’annonce Decca, éditeur britannique
du groupe Universal pour lequel le compositeur a enregistré l’essentiel de son
œuvre, ainsi que celle de nombre de ses aînés, notamment de Franz Schubert et Robert
Schumann, EMI a publié à la fin de ce printemps une somme de sept disques
réunissant l’œuvre chorale enregistrée par divers ensembles et artistes de son
écurie, ainsi que l’opéra pour enfants Le
petit ramoneur (The Little Sweep)
op. 45, seconde partie de Faisons un opéra (Let’s Make an Opera). The Little Sweep est le premier des
opéras de Britten à avoir été entièrement conçu, composé et produit à Aldeburgh.
Commencé à l’automne 1948, l’ouvrage a été achevé à la fin du
printemps suivant, et la première représentation a été
donnée le 14 Juin 1949 dans Jubilee Hall d’Aldeburgh.
Autre opéra de Britten, sous-titré
« The Chester Miracle Play », Fludde Noye (le
Déluge de Noé) op. 59, composé en
1957 par Benjamin Britten pour voix d’adultes et d’enfants, ensemble de chambre
et orchestre d’enfants. Le texte se fonde sur une édition par Alfred W. Pollard
d'un Mystère du début du XVe siècle tiré du Chester Mystery Cycle.
L’opéra est écrit pour être interprété par une troupe d’amateurs, et Britten a
demandé qu’il soit exécuté dans une église ou dans une grande salle, mais surtout
pas dans un théâtre. A la façon d’un concerto grosso baroque, l’orchestre
fait appel à un petit ensemble concertant constitué de professionnels
associant quintette à cordes, flûte à bec, piano (à quatre mains), orgue et timbales.
L'orchestre amateur en ripieno réunit cordes, flûtes, bugles, cloches et percussion. Le public, que Britten
dénomme la « congrégation »,
est invité à se joindre à l’ensemble
pour chanter les
trois hymnes insérés dans le texte original. La première représentation de cette
partition a été donnée le 18 Juin 1958 en l’église d’Orford, dans le Suffolk,
dans le cadre du Festival d’Aldeburgh, avec l’English Opera Group et une
distribution locale. Owen Brannigan chantait Noé, et le tout était dirigé par Charles
Mackerras.
The Company of Heaven (La
Compagnie du
Ciel) est une grande page
pour solistes, chœur, récitant, timbales, orgue et orchestre à cordes dont le titre fait référence aux anges, le thème de l’œuvre, qui se traduit dans les
textes extraits de la Bible et de
divers poètes. La première exécution de l’œuvre a été
présentée dans le cadre d’une
retransmission radio diffusée le jour de la fête de Saint Michel
l’Archange, le 29 septembre 1937.
S’il ne
prétend pas se substituer à l’inestimable témoignage du compositeur réalisé en
1963 pour Decca, réédité et remasterisé plusieurs fois et qui bénéficie en
outre de la présence des interprètes pour qui il a été écrit (Galina Vichnevskaïa,
Peter Pears et Dietrich Fischer-Dieskau) qui réconciliait les forces russes,
britanniques et allemandes de la Seconde Guerre mondiale, le War Requiem de Britten par Simon Rattle est
tout aussi passionnant, tant il s’y trouve de grandeur à la fois simple et
spontanée. Voilà trente ans, alors qu’il était âgé de 28 ans, le chef
britannique était encore en seuil d’une prometteuse carrière. Il commençait en
effet à forger à la fois sa propre réputation et celle de son orchestre, le
City of Birmingham Symphony Orchestra (CBSO), dont il allait bientôt faire l’une
des meilleures phalanges mondiales. Lorsqu’il enregistre cette
interprétation du War Requiem, le
jeune chef britannique est depuis trois ans directeur musical de la formation dont
il sera le patron jusqu’en 1998. Gravant ce War
Requiem dans la foulée de concerts de cette même œuvre, il en est tout
emprunt, à l’instar de l’ensemble des protagonistes. Il peut ainsi faire
abstraction de la tradition héritée de Britten, seul modèle à l’époque d’une
interprétation de haut vol puisque l’une des rares versions disponibles au
disque à l’époque, tout en tirant profit d’un chœur et d’un orchestre ayant
assimilé les tenants et aboutissants d’une musique conçue vingt ans plus tôt qu’ils
viennent de donner en concert. Leur
conception de l’œuvre dans sa compréhension de la globalité de sa structure, la
tension dramatique de la première partie, comme le Dies Irae qui ne peut éclipser l’apogée cataclysmique du Libera me final dans sa puissance
apocalyptique. Le poème d’Owen qui suit, Strange
Meeting, est chanté avec la plus extrême concentration par Robert Tear,
formé à l’école de Britten au contact de Peter Pears et du Festival d’Aldeburgh,
et par Thomas Allen, plus lyrique que Dietrich Fischer-Dieskau et John
Shirley-Quirk, qui soulignent tous deux les intentions du compositeur dans sa
dénonciation du coût humain particulièrement élevé dû aux conflits et à leur
futilité. Si le finale, In Paradisum
(Let us sleep now), ne se présente
pas comme l’écrasante péroraison qu’offre à entendre d’autres interprétations,
Rattle sait d’évidence que toutes les questions ne peuvent trouver de réponse
satisfaisante, si bien que le l’ultime chœur, en fa majeur, instille un
sentiment de malaise et d’irrésolution. Simon Rattle
a une vision intensément dramatique de la partition, avec des cuivres puissants, les
timbales au premier plan, et un sens infaillible du rythme
et des tempi.
L’une des grandes forces de cette exécution réside dans l’engagement du
CBSO Chorus au ton spectaculairement caustique et exposant son texte avec une
clarté singulière, à l’instar des Garçons de la Cathédrale d’Oxford (Boys of
Christ Church Cathedral, Oxford) qui, selon les recommandations de Britten,
chantent « comme s’ils mordaient une pomme ».
Dédiée à Serge
Koussevitzky et au Boston Symphony Orchestra, qui en ont donné la création le
14 juillet 1949, la Spring Symphony op.
44 est une symphonie chorale en quatre mouvements pour soprano, contralto
et ténor solistes, chœur mixte, chœur de garçons et orchestre écrite sur des
poèmes des XVIe et XVIIe siècles ainsi que sur des vers
de l’ami du compositeur, W. H. Auden. Selon le compositeur, l’œuvre représente
« le passage de l’hiver au printemps et le réveil de la
terre et de la vie que cette transition sous-tend ».
Réunissant trois des plus grands chanteurs britanniques de l’époque (Sheila
Armstrong, Janet Baker et Robert Tear), dirigée par André Previn à la tête du
London Symphony Orchestra, enregistrée en 1978, la version proposée dans ce
coffret est d’une densité extrême.
Ce riche
coffret, qui permet de mesurer combien Britten était bel et bien l’enfant de
cette terre britannique où le chant choral est roi, présente en outre les onze Ceremony of Carols op. 28 pour chœur de
garçons, voix solistes et harpe de 1942 inspirés de Noëls traditionnels anglais.
Initialement conçue comme une série de onze chansons
indépendantes, le cycle a ensuite été constitué
en une entité avec le chant
scandé à l’unisson puisant dans l’antienne grégorienne
Hodie Christus Natus Est,
entendue au début et à la fin de l’œuvre. Un solo de harpe fondé sur
ce chant, auxquels
s’ajoutent quelques motifs de
Wolcum Yole ! (II), sert également à
unifier la partition. En outre, les mouvements This Little Babe (VI) et Deo Gracias (X) voient le chœur adapter des effets de
harpe par l’emploi d’un canon
tout d’abord en stretto.
Des pages plus rares permettent de découvrir ou de faire plus amplement
connaissance avec la spiritualité authentique et simple de Britten, également
fasciné par la musique du passé, du Moyen-Âge à Purcell, à travers des pages
comme A Boy was Born op. 3 pour chœur,
la Missa brevis en ré majeur op. 63,
le Festival Te Deum op. 32, Rejoice the Lamb op. 30, le Te Deum en ut majeur, le Jubilate Deo, Un Hymne à la Vierge, un autre à saint Pierre (Regis regnum rectissimi), la cantate Saint Nicolas op. 42 (1948) pour ténor, voix de garçon, deux
harpes, chœur d’enfants et orchestre de chambre, Sacred and Profane op. 81, transcriptions de huit chants médiévaux
pour chœur à cinq voix que Britten réalisa en 1974-1975 pour le Wilbye Consort
de Peter Pears, la Ballad of Heroes op.
14 et Praise We Great Men pour
quatre chanteurs solistes, chœur mixte et orchestre, etc.
Au total, vingt œuvres interprétées
par les meilleurs spécialistes de Benjamin Britten et de la musique anglaise,
dont ils sont eux-mêmes pour la plupart issus, outre ceux déjà nommés, le Choir
of King’s College, Cambridge, le Wandsworth School Choir, le London Sinfonietta
Chorus, les Choristers of Saint Paul Cathedral, le London Philharmonic Choir, les
Vasari Singers, le Winchester Cathedral Choir, le Medici String Quartet, l’English
Chamber Orchestra, l’Academy of Saint Martin in the Fields, et des chefs comme
Terry Edwards, David Willcocks et Richard Hickox…
Bruno Serrou
7 CD EMI Classics 50999 0 15156 2 (8h20mn)
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