Janos Starker (1924-2013). Photo : DR
Le violoncelle est en deuil : János Starker, l’un de ses
magiciens les plus accomplis de tous les temps, est mort à l’âge 88 ans.
Immense interprète, que les Américains considèrent comme l’héritier de Pablo
Casals et d’Emmanuel Feuermann, à la tête d’une impressionnante discographie,
il est surtout un maître adulé par ses très nombreux élèves qui venaient du monde
entier pour recueillir son enseignement qu’il dispensait depuis plus d’un
demi-siècle au sein de l’Université de Bloomington, Jacobs School of Music, dans l’Indiana, où il est décédé
dimanche 28 avril 2013, à l’aube.
« "Le monde est plus pauvre maintenant qu'il nous a
quittés" étaient les mots de János Starker lorsqu'il rendait hommage à
ceux qu'ils révéraient. C'est ce que nous ressentons aujourd'hui, alors qu'il
n'est plus. », écrit son élève Marc Coppey. Musicien généreux pour qui
enseigner représentait une vitale obligation, Starker aimait partager son
incomparable expérience qu’il se plaisait à dispenser aux jeunes générations.
En effet, enfant prodige à Budapest, il avait dû lui-même surmonter des
problèmes physiques et psychologiques qui l'ont conduit à s’interroger sur le
geste instrumental. Parmi ses élèves, les Français Henri Demarquette et Roland Pidoux pour
les Français. « Depuis 48 ans que je suis ici, à Bloomington, et tandis
que durant 37 de ces années je donnais plus de cent concerts par an, disait-il,
le plus important à mes yeux est l’enseignement. Je suis fondamentalement né
pour cela. C’est mon tempérament. Peu importe les ovations de fin de concert,
les gens finissent toujours par se rasseoir et arrêter d’applaudir. Mais si
vous enseignez, vous pouvez simuler des générations entières. J’ai le sens
de l’histoire… Je suis beaucoup plus préoccupé par l'avenir que de tous les
éloges que j'ai reçus grâce à la scène. Je suis resté en vie quand beaucoup d’autres,
y compris mes frères, ont été tués pendant la guerre. Le fait que je sois resté
en vie, constitue pour moi le devoir de faire le plus de bien possible. »
Né le 5 juillet 1924 à Budapest de parents juifs d'origine polono-ukrainienne, János Starker a commencé l’étude de la musique à l’âge de 6
ans. Ses deux frères aînés ayant choisi le violon, il opte pour le violoncelle.
Deux ans plus tard, il commence à enseigner et donne son premier concert. Elève
de l’Académie Franz Liszt, il fait ses débuts professionnels à 14 ans. A quinze
ans, il joue en public la Sonate pour
violoncelle seul de Zoltán Kodály
jugée d’exécution impossible à l’époque. Violoncelle solo de l’Opéra de
Budapest puis de l’Orchestre Philharmonique de la capitale hongroise, il est
raflé par la gestapo et réchappe miraculeusement aux camps de la mort nazis, contrairement
à ses frères, tous deux gazés à Auschwitz. Il quitte la Hongrie en 1946. Il s’installe
tout d’abord à Paris, où il réalise le premier enregistrement mondial de la Sonate de Kodály qui impose son nom.
Après de nombreux concerts et récitals à travers l’Europe, il se rend aux
Etats-Unis en 1948, à l’instigation de l’Université d’Indiana. Il collabore
alors comme violoncelle solo avec l’Orchestre Symphonique de Dallas, le
Metropolitan Opera de New York et l’Orchestre Symphonique de Chicago, où l’appelle
son compatriote Fritz Reiner sitôt sa nomination en 1953. Parallèlement, il est
membre du Quatuor Roth. A partir de 1958, il mène simultanément une carrière de
soliste et de professeur à l’Université de l’Indiana, tout en assurant les
fonctions de conseiller artistique de plusieurs orchestres américains. Outre
Bloomington, il enseigne aussi au Festival de Lucerne, jusqu’en 1973. Jouant
tous les répertoires, de Bach et Vivaldi à Kodaly et Bartók, et jusqu’aux
contemporains, il excellait en tout. Il a notamment créé le Concerto pour violoncelle
et orchestre de Miklós Rósza en 1969, ainsi que des œuvres de David Baker,
Antal Dorati, David Diamond, Jean Martinon et Robert Starer.
Il aimait à se produire avec des pianistes tels que György
Sebök, son partenaire en musique de chambre privilégié, et Julius Katchen, avec
qui il enregistra une version des Sonates
pour violoncelle et piano de
Johannes Brahms restés inégalés.
Il jouait un Matteo Goffriller et un le Nova de Guarnerius,
deux instruments du début de la première décennie du XVIIIe siècle pour
lesquels il avait inventé un chevalet percé de trous coniques reconnaissable au
« s » qui remplace la fleur de lis traditionnelle qui améliorait la
qualité du son et des harmoniques. Le son pur, concentré, infiniment ombré de
Starker, sa maîtrise technique hors du commun, son éloquente musicalité restent
à jamais accessible à travers les quelques cent soixante enregistrements qu’il
laisse au disque. La sobriété de son attitude sur scène était celle d’un musicien
sérieux qui laissait seule la musique susciter l’émotion. Il se plaisait d’ailleurs
à citer son ami et partenaire György Sebök, recommandant à ses élèves : « Ne
vous excitez pas. Créez de l’excitation. » Parmi eux, outre Marc Coppey,
Henri Demarquette et Roland Pidoux, Gary Hoffman, Maria Kliegel, Paul Katz, Jules Eskin (solo du Boston Symphony Orchestra), Nella
Hunkins (solo de l’Orchestre Symphonique de Singapour), Dennis Parker, Rafael
Figueroa (solo du Metropolitan Opera Orchestra), Hamilton Cheifetz (membre fondateur
du Trio Florestan), Marc Johnson (violoncelliste du Quatuor Vermeer)...
Celui qui disait « Nous ne pouvons pas nous réveiller le
matin et traverser la vie sans musique, parce qu’elle nous est aussi
essentielle que manger, boire, respirer », était la musique incarnée…
Bruno Serrou
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