Strasbourg, Opéra de Strasbourg, dimanche 24 mars 2013
Scott MacAllister (Tannhäuser), Béatrice Uria-Monzon (Vénus) (Acte I)
Donné à Strasbourg dès 1855,
six ans avant le cuisant échec de l’Opera de Paris, Tannhäuser de Wagner est un peu chez lui, en Alsace. Ce qui a été
avéré exact lorsque, après avoir traversé depuis la gare sous un froid hivernal
la métropole régionale désertée par ses habitants en ce premier dimanche de
printemps, je me suis retrouvé dans le hall de l’Opéra de Strasbourg au milieu
d’une foule de tous âges compacte et endimanchée. Assister au sixième des
opéras du compositeur saxon où il est question de pèlerinage à Rome, de péché
et de rédemption, tandis qu’est évoqué le rameau régénérant avant la conclusion
chorale sur deux Alléluia, un dimanche des Rameaux est en soit une idée
séduisante. Si la première strasbourgeoise de Tannhäuser voilà cent cinquante huit ans fut donnée dans la version
de Dresde, ville de la création de l’ouvrage en 1845, la nouvelle production
proposée hier a choisi un mix de celle-ci et de celle de Paris (1861), fruit de
nombreuses modifications résultant notamment de l’expérience de Tristan und Isolde, et de l’ajout de la bacchanale dansée ainsi que d’un chœur
de transition avant le début de l’action-même.
Barbara Haveman (Elisabeth) entourée des pèlerins (Acte III)
Le nouveau Tannhäuser présenté à Strasbourg vaut
avant tout pour la direction au cordeau de Constantin Trinks. Geste vif,
précis, le jeune chef allemand emporte la partition avec une énergie
conquérante et une conviction communicative. Avec allant et élan, il exalte des
couleurs étonnamment rondes et rutilantes, transcendant la sécheresse de la
fosse, sachant se faire évocateur, poète, donnant à l’orchestre sa vie
intérieure pour en faire un être polychrome, soutenant les chanteurs tout en
donnant instrumentalement tout ce qui est sous-jacent dans le comportement des
personnages et leurs pensées. Voilà sans doute un authentique chef wagnérien en
puissance. Du coup, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg gronde, éclate,
chante, suggère, se fait idyllique, spirituel, méditatif, fervent. La phalange
strasbourgeoise donne son maximum, au point que l’on oublie les sonorités
rêches, certaines acidités, les sécheresses acoustiques de la fosse, certaines
approximations (cors), un manque de cohésion. Ce qui n’est pas le cas du Chœur de
l’Opéra du Rhin, homogène, puissant, carné.
Barbara Haveman (Elisabeth), Kristinn Sigmundsson (Landgrave Hermann), et le tournoi des Minnesänger (Acte II)
Au cœur d’une action se
déroulant à l’époque de la genèse de l’œuvre, vers 1845, au milieu des
étudiants de la Wartburg en tunique bleue, pantalons rouges et sabre au flanc,
la mise en scène de Keith Warner n’a étonnamment soulevé aucune protestation, malgré
nombre de points contestables, dus surtout à des incohérences. Dès la scène du
Venusberg, qui se déroule dans une maison close, l’on est surpris par le jeu de
canapés rouges roulant continuellement en tout sens, mus telles des brouettes -
il est vrai que Saverne, capitale de cet outil, n’est qu’à un jet de pierre de
Strasbourg. Une superbe image néanmoins attend le spectateur au début de la
bacchanale, un tableau vivant de danseurs qui sortent peu à peu du cadre pour
jouter avec les prostituées qui travaillent chez mère-Vénus. Le plateau est dominé
par un praticable bordé de rambardes type far-ouest d’où un jeune garçon suit l’activité
de la maison-close. Cet enfant dont on ne sait rien va hanter l’opéra entier -
est-ce le fils que Tannhäuser aurait eu avec Vénus ? Est-ce Tannhäuser enfant
contemplant son avenir ? Symbolise-t-il l’innocence ?... Ce même
plateau se transforme au deuxième acte en salle de concours de chant avec scène
et une quinzaine de rangs de chaises disposées de part et d’autre d’une allée
centrale, puis un lieu indéterminé où les êtres sont comme perdus dans un
désert informe ou un terrain-vague. Un aspirateur géant domine la scène. Il
servira au deuxième acte à téléporter Tannhäuser à Rome comme Star-Trek, et, à
l’acte III, à la rédemption de Tannhäuser qui en gravira quelques échelons avant
qu’Elisabeth, pieds accrochés dans le vide par un filin descendant des cintres,
ne l’emporte par la main dans l’Au-delà. Mais l’on se demande alors comment l’Eglise
a-t-elle pu canoniser Elisabeth après l’avoir vue se suicider par pendaison,
déçue de ne pas avoir trouvé Tannhäuser parmi les pèlerins revenant de Rome... La
direction d’acteur est travaillée ad minima, et le traitement des masses est
réduit à de la simple figuration, particulièrement les pèlerins qui passent, proprets,
de jardin à cour à la fin du deuxième acte puis de cour à jardin et en
guenilles au début du troisième.
Le tournoi des Minnesänger (Acte II)
Annoncé aphone par le
directeur en début de représentation, Scott MacAllister a à la fois sauvé le
spectacle et dénaturé, déstabilisant de toute évidence ses partenaires. La voix
est apparemment celle du rôle, mais le ténor états-unien l’a alternativement
poussée et retenue, l’étouffant même dans certains solos et marquant souvent
les notes plutôt que de les chanter, voire s’effaçant totalement dans les
ensembles. Au début de l’acte III on crut le spectacle définitivement terminé lorsque
le directeur s’est présenté une seconde fois à l’avant-scène, micro à la main,
pour déclarer que le médecin était venu et avait recommandé au ténor de ne pas
poursuivre. Le théâtre aurait alors téléphoné à Karlsruhe où sa doublure se
trouvait, mais celui-ci n’aurait pas décroché... Scott MacAllister a alors
décidé de reprendre, mais le public était averti qu’il ne chanterait pas
vraiment... Aussi, la surprise allait être grande lorsque l’on entendit Tannhäuser
chanter son récit de Rome à pleine voix, comme si de rien n’était, en dépit de légères
défaillances. Le ténor s’était-il réservé pour la fin, élégant, pour pouvoir
remercier le public de sa patience ? A-t-il craint pour sa voix face à un
rôle terriblement exigeant et trop lourd pour lui ?... Pourront le dire ceux
qui assisteront aux prochaines représentations...
Barbara Haveman (Elisabeth) et Scott MacAllister (Tannhäuser) (Acte III, final)
Quant au reste de la
distribution, l’on a entendu Béatrice Uria-Monzon plus vaillante dans le rôle
de Vénus que cet après-midi de dimanche, notamment à l’Opéra de Paris en décembre
2007. La mezzo-soprano française semblait engoncée dans sa grande robe rouge et
dans la direction d’acteur, et la voix était moins colorée et constante que de
coutume, comme si la cantatrice manquait d’assurance. Barbara Haveman est
une Elisabeth touchante et décidée, séduisante et brûlante, mais la voix est
trop pleine et trop mûre pour le personnage. Dans le rôle immanquable de
Wolfram, Jochen Kupfer s’avère idoine, révélant un potentiel vocal et
dramatique patent, même si son Wolfram paraît un peu vert, mais sa spontanéité
et sa générosité naturelle convainquent, la voix est solide et le timbre plaisant. En
vieux routier, Kristinn Sigmundsson campe un Landgrave vocalement
impressionnant et noble de stature. Les quatre Minnesänger de la Wartburg (Gijs
Van der Linden, Roger Padullés, Raimund Nolte et Ugo Hinderer) sont irréprochables.
Bruno Serrou
Photos : (c) A. Kaiser, Opéra du Rhin, 2013
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