Paris, cathédrale Notre-Dame, mardi 5 mars 2013
Photo : (c) BS
C’est dans le cadre de l’année
jubilaire du huit cent cinquantième anniversaire de la cathédrale Notre-Dame de
Paris que l’Orchestre de Chambre de Paris dirigé par Thomas Zehetmair a donné
hier soir avec trois solistes de renom et la Maîtrise Notre-Dame de Paris
l’oratorio sacré Die Schöpfung (la Création) de Joseph Haydn
(1732-1809).
Joseph Haydn (1732-1809). Photo : DR
« J’y mets le temps, parce
que je veux qu’il dure. » C’est ainsi que Joseph Haydn évoquait la genèse
de son oratorio Die Schöpfung, sans
doute son chef-d’œuvre le plus accompli. En fait, Le compositeur autrichien se
consacra tant à son projet qu’il finit par sombrer dans une longue maladie peu
après sa première. C’est durant ses deux séjours londoniens, entre 1791 et
1795, que Haydn eut l’idée de se mesurer aux oratorios de son aîné Georg
Friedrich Haendel dont il avait entendu à Londres le Messie et Israël en Egypte.
A cette fin, il reçut à son retour à Vienne de son impresario anglais un livret
dans la langue de Shakespeare, la
Création du Monde, destiné à l’origine au compositeur saxon inspiré des Livres de la Genèse et des Psaumes de la Bible et de Paradise Lost
(le Paradis perdu) du poète anglais John Milton (1608-1674). Haydn en
confia la traduction allemande et l’adaptation au baron viennois Gottfried van
Swieten, puis travailla deux ans sur sa partition, entre octobre 1796 et avril
1798, la peaufinant jusqu’à la première exécution, donnée le 30 avril 1798 à
vienne chez le prince Schwarzenberg. Ce dernier en proposa plusieurs reprises à
la noblesse viennoise moyennant une forte contribution financière, jusqu’au 4
mars 1799. La création publique fut donnée au Burgtheater le 19 mars suivant
par un orchestre de cent vingt musiciens et un chœur de soixante chanteurs,
dans une salle archicomble réunissant nobles, bourgeois, intellectuels et
musiciens. L’œuvre y sera reprise une quarantaine de fois jusqu’à la mort de
son auteur. Publiée l’année suivante en allemand et en anglais, la partition
s’est rapidement propagée à travers une Europe bousculée par les guerres. C’est
en se rendant à la première parisienne, au Théâtre des Arts, le 24 décembre
1800, que le Premier Consul Bonaparte échappa à l’attentat perpétré contre lui
rue Saint-Nicaise…
Michel-Ange, la Création du monde (détail). Photo : DR
Le chiffre trois, celui de la
Trinité, gouverne la Création, qui se concentre sur les sept jours de la création
du monde. Trois parties respectivement consacrées aux Eléments, aux Animaux et
à l’Homme au paradis terrestre font intervenir trois chanteurs solistes,
soprano, ténor et basse, qui personnifient les archanges Gabriel, Uriel et
Raphaël, puis, dans la troisième partie, Adam (basse) et Eve (soprano). C’est à
l’orchestre, à l’instar de solennel prélude, la « représentation du
Chaos » originel, que Haydn confie l’essentiel de la narration et la
grandeur épique de l’œuvre, le texte commentant en fait la musique, qui ne
s’attarde jamais, toujours ingénieuse et renouvelée, maintenant ainsi
l’attention de l’auditeur constamment en éveil. Tandis que les récitatifs
versifiés, tous tirés du Livre de la Genèse, introduisent brièvement les arie et les ensembles, faisant ainsi
avancer le discours, alors que la plupart des interventions du chœur célèbrent
chacun des sept jours de la Création.
Photo : (c) BS
Dans l’immense vaisseau
archicomble de Notre-Dame de Paris, installés sous la tribune du grand orgue, l’Orchestre de
Chambre de Paris et la Maîtrise Notre-Dame ont donné de la Création une interprétation pleine d’allant. Dirigé avec élan
par son chef principal et conseiller artistique, Thomas Zehetmair, énergique et nuancé malgré quelques passages à vide
qui ont atténué la progression de l’ensemble, la formation Mozart
parisienne, loin des effectifs de la création de l’œuvre (quarante-huit
musiciens, une cinquantaine de choristes) s’est avérée précise et homogène,
surtout du côté des cordes, lumineuses et brûlantes, dignes assurément
du chef autrichien, qui est l’un des violonistes les plus éminents de notre
temps. Certes, il reste du travail à faire quant à la concentration, certains
parmi les cordes ne se montrant pas toujours captivé par la partition. Mais il
convient de saluer les premiers violons, emmenés par l’excellente Deborah
Nemtanu, et, surtout, Benoît Grenet (violoncelle) et Bruno Procopio (piano
forte), infaillibles dans le continuo. Saluons également la prestation de
Marina Chamot-Leguay (flûte), Daniel Arrignon (hautbois), Florent Pujuila
(clarinette) et Fany Maselli (basson). Fort bien préparée par son chef de
chœur, Lionel Sow, la Maîtrise Notre-Dame de Paris s’est avérée remarquable de
cohésion sonore, bien que quelques choristes aient été prises de bâillements.
Mais c’est côté solistes que le bonheur a été total, avec une rayonnante Sophie
Karthaüser campant un radieux Gabriel et une Eve d’une exquise sincérité, un
solide Werner Güra (Uriel) et un puissant Matthiew Brook, qui impose la plastique
et l’assurance de sa voix de baryton-basse en Raphaël et Adam.
De gauche à droite, Sophie Karthäuser, Thomas Zehetmair, Werner Güra et Matthiew Book, Orchestre de Chambre de Paris, Maîtrise Notre-Same de Paris. Photo : BS
Reste à savoir ce qu’a entendu la
grande majorité du public, dans la vaste enceinte de la cathédrale parisienne
au-delà du vingtième rang, à en juger l’énorme réverbération perçue du
quatrième rang où j’étais assis - non loin de musiciens comme le pianiste Michel
Dalberto et la compositrice Michèle Reverdy - durant les silences instaurés entre
deux phrases par Haydn…
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire