Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, vendredi 15 février 2013
Judith Chemla (Didon) entourée par Vladislav Galard (violoncelle) et Clément Janinet (violon). Photo : DR
Crocodile trompeur sont les mots que prononce la reine de Carthage
Didon au troisième acte de Didon et Enée
de Henry Purcell, à l’adresse du prince troyen Enée au moment où ce dernier
l’informe de son départ imminent pour l’Italie. Ils donnent le titre de la
réjouissant production proposée jusqu’au 3 mars par le Théâtre de Bouffes du
Nord. Une soirée emplie hors normes gorgé de surprises et de joie de vivre, sur
le ton du nonsense anglais, langue principale de la pièce musicale qui reste compréhensible
même aux non-anglophones, avivé par un humour alliant burlesque et extravagance
présentant des personnages de tragédie antique dans des situations incongrues bien
dans l’esprit baroque du court opéra de Purcell auquel s’ajoute le climat du
semi-opéra ou mask anglais. Le tout suscite
un spectacle tragi-comique de deux heures qui passe tel l’éclair.
Judith Chemla (Didon, à gauche) et Jan Peters (Enée, à droite). Photo : DR
Ainsi, la poignante histoire de la
reine carthaginoise Didon qui, abandonnée par le prince troyen Enée en route
pour l’Italie le soir de leur union, s’immole dans un bucher qui embrase sa
capitale, magnifiquement mise en musique par Purcell touche-t-elle un large
public. La forme du spectacle de Samuel Achache, Jeanne Candel et Florent
Hubert à partir de Didon et Enée qui
mêle commedia dell’arte, tragédie,
opéra et jazz, spectacle de saltimbanques à une invention visuelle fébrile est une
absolue réussite. Chacun peut y trouver son content, qu’il soit versé
d’Antiquité, amateur de théâtre, mélomane éclairé ou non-averti. Acteurs,
chanteurs et instrumentistes jouent la comédie et des instruments, jonglent, et
chantent avec naturel. Pourtant, dans cette équipe de douze comédiens-musiciens-chanteurs-jongleurs-danseurs-équilibristes
une seule chanteuse professionnelle, Marion Sicre, dans le rôle de Belinda, la
confidente de Didon.
Photo : (c) Théâtre des Bouffes du Nord, DR
Placée dans des gravats évoquant
les ruines de Carthage, l’adaptation de l’épopée de Virgile revue par Nahum
Tate pour Purcell en 1683, a été imaginée par les comédiens metteurs en scène
Achache et Candel. « Nous sommes venus à la musique au CNSAD, se
souviennent-ils, grâce à Judith Chemla, qui étudiait alors le chant et
interpréta la mort de Didon dans la classe dont nous étions tous les trois
élèves. » C’est là qu’est née l’idée d’une pièce intégrant l’opéra, avec
Judith Chemla, ex-pensionnaire de la Comédie Française au beau timbre de
soprano dont le lamento final est extrêmement poignant, avant de mourir seule
lovée contre le cadre de scène du Théâtre des Bouffes du Nord. Les scènes se
fondent sur un canevas formant des points d’encage autour desquels chaque
protagoniste choisit librement son chemin. Arrangée de façon collégiale sous la
supervision du jazzman Florent Hubert et bénéficiant du talent d’artistes polyvalents,
la partition de Purcell est respectée dans son intégrité, l’instrumentarium
jazz avec trio à cordes, bois, trompette et guitare restituant de façon
inattendue les couleurs originelles, tandis que les voix correspondent précisément
à celles de l’opéra. On sort de cette folle équipée rassasié et heureux, les
mirettes saturées de lumière.
Bruno Serrou
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