Nantes, Théâtre Graslin, dimanche 25 novembre 2012
Nino Rota, Le chapeau de paille d'Italie. Au centre, Elena Zilio (la Baronne), à droite, Philippe Talbot (Fadinard) et Hendrickje Van Kerckhove (Elena). Photo : (c) Jef Rabillon/Angers Nantes Opéra
Nino Rota (1911-1979), le
compositeur fétiche de Federico Fellini (1) et Luchino Visconti, également célèbre
pour les musiques de film des deux premiers volets de la trilogie le Parrain de Francis Ford Coppola - il aura
signé plus de 150 musiques de films entre 1930 et 1979 - était aussi l’auteur
de partitions de musique instrumentale (symphonique, concertante, chambriste et
soliste), chorale et lyrique, avec dix opéras, cinq ballets et des musiques de
scène. Il enseigna également la composition au Liceo Musicale de Bari qu’il
dirigea plus de trente ans. La spontanéité et le foisonnement mélodique de sa
musique en ont fait la cible de ses confrères qui l’ont cantonné avec plus ou
moins de mépris à l’état de compositeur pour le cinéma. Il avait pourtant reçu
sa formation à l’Académie Sainte-Cécile de Rome auprès d’Ildebrando Pizzetti et
d’Alfredo Casella, puis au Curtis Institute de Philadelphie, où il étudia la
direction d’orchestre avec Fritz Reiner et la composition avec Rosario Scalero.
C’est aux Etats-Unis qu’il s’est forgé son affinité pour la chanson populaire
américaine qu’il allait intégrer à sa propre création. Après la Seconde Guerre
mondiale, le cinéma italien recherchait une nouvelle assise artistique, au
moment même où Rota cherchait à façonner son propre style au sein des diverses écoles
de la seconde moitié du XXe siècle.
Eugène Labiche par Nadar
C’est à cette époque qu’il découvre
la comédie française en cinq actes le
Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche (1815-1888) et Marc-Michel (1812-1868)
qui avait été créée à Paris au Théâtre du Palais-Royal le 14 août 1851. Attiré
par le sujet, Rota conçoit rapidement une musique dans un style pérennisant la
tradition de l’opéra bouffe italien, tandis qu’il élaborait le livret avec sa mère,
Ernesta Rota. Rota commença à travailler dans le secret sur cette œuvre volontairement
non-moderne. Malgré les encouragements de ses amis à qui il jouait de temps à
autres des extraits de son opéra, Rota attendra dix ans avant d’accepter d’en
confier la création au Teatro Massimo de Palerme, en Sicile, sous le titre I Cappello di paglia di Firenze (le Chapeau
de paille de Florence). L’œuvre est rarement à l’affiche en France, où elle
n’a pas été donnée à la scène depuis les années 1990, à Lyon par l’Atelier lyrique
de l’Opéra de Lyon dirigé par Claire Gibault.
Nino Rota (1911-1979). Photo : DR
Parce que le matin de ses noces
avec Elena, au beau milieu d’une ballade dans le bois de Vincennes, son cheval déguste
un appétissant chapeau de paille attaché à une branche par une jeune-femme, Anaide
alors en rendez-vous galant avec le lieutenant Emilio, le rentier Fadinard, que
les amants suivent jusque chez lui pour lui réclamer réparation, se lance sous
leur menace à la recherche d’un couvre-chef de substitution identique au premier,
car le mari de la dame, Beaupertuis, qui s’est barricadé chez lui est violent
et jaloux. Pour ne pas éveiller les soupçons de son beau-père Nonancourt, qui survient
avec toute la noce, il entraîne celle-ci dans sa quête folle qui le conduit
chez une modiste, qui l’envoie chez une baronne, qui l’envoie chez le mari de l’épouse
volage. Une suite de quiproquos lui fait achever sa course devant chez lui, où
la police finit par embarquer tout le monde pour tapage nocturne…
Nino Rota, Le chapeau de paille d'Italie. De gauche à droite, Beau Palmer (Oncle Vézinet), Philippe Talbot (Fadinard), Peter Kalman (Nonancourt) et Hendrickje Van Kerckhove (Elena). Photo : (c) Jef Rabillon/Angers Nantes Opéra
La production d’Angers-Nantes
Opéra est malicieuse et réjouissante. Conformément au livret de Rota, qui a
découpé son vaudeville lyrique tel un film, la course folle de cette noce
délirante suscite des changements de décors pourtant apparemment encombrants conçus
par Christian Fenouillat réglés au cordeau par l’équipe des techniciens de l’Opéra
nantais. Tout ce petit monde de la bourgeoisie Parisienne IIe
République burlesquement reconstitué – Agostino Cavalca accoutrant les femmes de
robes à arceaux, corsets comprimés et chapeaux à fleurs seyants, et les hommes
à l’embonpoint saillant vêtus de complets à queue-de-pie, tout le monde étant
pourvu de grands nez rouges - est magistralement animé par Patrice Caurier et
Moshe Leiser, qui, fidèles à eux-mêmes, signent une mise en scène à la fois
respectueuse des intentions de l’auteur et d’une frénétique vivacité, à la
façon du cinéma muet. Ils transcendent cette cavalcade nuptiale dont la musique
n’a d’autre ambition que l’efficacité dramatique truffée de citations et de
renvois à l’histoire de l’opéra bouffe italien, principalement Rossini et
Donizetti, voire Puccini, pour en faire du théâtre véritable. Les duettistes français
de la mise en scène sont aidés par une distribution impeccable, menée par l’infatigable
Fadinard du ténor français Philippe Talbot. A ses côtés, le tonitruant
Nonencourt du baryton hongrois Peter Kalman, le lieutenant falot du baryton
français Boris Grappe, l’énorme Beaupertuis du baryton autrichien Claudio
Otelli, l’oncle Vézinet zélé et gaffeur du ténor américain Beau Palmer. Côté
féminin, la distribution n’est pas en reste, avec la charmante Elena de la
soprano belge Hendrickje Van Kerchhove, tandis que la soprano polonaise Elzbieta
Szmytka, de sa voix puissante et charnelle, campe à la fois une veule Anaïde une
modiste vindicative. Mais c’est la mezzo-soprano italienne Elena Zilio qui convainc
le plus, campant de sa voix charnue et timbre de bronze une Baronne imprévisible.
Malgré des décalages, le chœur participe vaillamment à la réussite du
spectacle, ainsi que l’Orchestre National des Pays de la Loire, que vient de
rejoindre Julien Szulman au poste de premier violon solo, brillamment dirigé
par Giuseppe Grazioli, qui défend partout la musique de son compatriote Nino
Rota.
Bruno Serrou
1) Federico Fellini disait de
Nino Rota, peu après la mort du compositeur : « Il possédait la
qualité rare d’appartenir au monde de l’intuition. Comme les enfants, les
personnes simples, sensibles, innocentes, il pouvait dire soudainement des choses
éblouissantes. Sitôt qu’il arrivait, les tensions disparaissaient, tout se
métamorphosait en ambiance festive ; le film entrait dans une nouvelle
vie, une fantastique période de joie et de sérénité. »
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