Artiste enjoué
et affable, esprit brillant, dévorant la vie à pleine dent, Mark Minkowski est
un musicien passionné dont la foi est prodigue. Ayant abordé la musique à
l’adolescence, période de la vie où d’autres s’en éloignent, directeur de son
propre orchestre dès l’âge de vingt ans, né dans une famille de mélomanes où la
pensée est souveraine, il est à cinquante-et-un ans l’un des chefs d’orchestre
les plus en vue de sa génération. Rendu célèbre par ses interprétations
des répertoires des XVIIe et XVIIIe siècles allemands,
anglais, autrichiens, français et italiens à la tête de ses Musiciens du
Louvre-Grenoble, qui fêtent leurs trente ans cette année et avec lesquels il se
produit dans toutes les salles et théâtres d’Europe, il est régulièrement
invité par les grands orchestres internationaux, et est depuis 2008 chef
titulaire du Sinfonia Varsovia, avec lequel il explore de nouveaux espaces
sonores, s’ouvrant toujours davantage à tous les répertoires.
C’est donc
en toute logique que la Cité de la Musique et la Salle Pleyel consacrent en ce
mois de novembre son Domaine Privé à Marc
Minkowski. S’étant naturellement vu donner pour l’occasion carte blanche, le
chef français a choisi de présenter la diversité de ses centres d’intérêt,
depuis le répertoire baroque jusqu’à la musique du XXe siècle. Le
concert d’hier était ainsi consacré à Franz Schubert, dont Minkowski et les
Musiciens du Louvre-Grenoble ont enregistré l’intégrale des symphonies que
vient de publier Naïve. Le programme réunissait deux pages du genre nées à dix
ans de distance, les Troisième et Neuvième Symphonies. Conformément à leur
habitude, qui consiste à adapter leurs instruments au répertoire qu’ils
interprètent, les Musiciens du Louvre ont adopté leur instrumentarium à l’époque
de Schubert qui se situent dans la continuité de Haydn et de Mozart, avec
cuivres naturels. Ce qui a pour corolaire des attaques à froid plus ou moins délicates,
mais qui rendent étonnamment plus attachante et fraîches les œuvres ainsi
interprétées.
Conçue en 1815 par un jeune
homme de 18 ans, la Symphonie n° 3 en ré majeur D. 200, qui ne sera créée qu’en 1881, se situe dans la transition du
classicisme vers le romantisme. L’œuvre est d’une spontanéité virevoltante, malgré
son introduction lente au caractère menaçant. Tant et si bien que cette
partition est remarquablement servie par Minkowski et les Musiciens du
Louvre-Grenoble, qui en donnent une lecture étincelante, pétillante, généreuse,
primesautière. L’orchestre brille par un son bien rond et plein, le fondu de
ses cordes (disposées dans la tradition viennoise : violon I, altos,
violoncelles, violon II, contrebasses derrière les instruments à vent).
Composée en 1825-1826, la Symphonie n° 9 en ut majeur D. 994 dite « la
Grande », révélée par Robert Schumann dix ans après la mort de
Schubert, est en vérité la première vraie symphonie achevée du compositeur… s’il
avait vécu plus longtemps. A l’aune de cette page admirable, l’on mesure
combien la musique a perdu à cause de la trop courte vie de son auteur. Avec un
orchestre plus étoffé que dans la Symphonie n° 3 (bois et cuivres par trois au
lieu de deux, quatre contrebasses au lieu de trois, le reste des cordes en
proportion), l’interprétation est du strict point de vue sonore légèrement
déséquilibrée, les instruments à vent ayant tendance à couvrir les cordes, du
moins dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique. Un peu moins en
place que dans la Troisième,
principalement dans l’Andante du
mouvement initial, rythmique un peu lourd et attaque des cors aléatoire, et le
finale un peu trop touffu et victime de petits décalages, la Neuvième séduit dans l’Allegro du premier mouvement et le Scherzo bouillonnants et chaleureux,
avec ce qu’il faut de grandeur et d’onirisme, voire de naturalisme avec ces
bois qui chantent de façon rustique et font résonner des bruissements de forêt.
Généreux et empli de musique, Minkowski semblait comme toujours ne pas vouloir mettre
un terme à la soirée et ne pas quitter Schubert. Ainsi, pour son premier bis,
chef et orchestre ont confirmé leurs affinités avec le jeune Viennois, donnant
un merveilleux mouvement lent de la Symphonie n° 1 en ré majeur D. 82 conçue par un
adolescent de 16 ans, tandis que pour son second bis, qu’il a présenté comme sa
symphonie de Schubert préférée, il a choisi le premier des deux mouvements
achevés de la Symphonie n° 8 en si mineur
D. 759, avec des violoncelles de grande beauté, et une approche envoûtante
sur le plan instrumental et de l’inflexion.
Bruno Serrou
Photos : DR
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