Cambrai, Festival Juventus, Théâtre municipal, mardi 3 juillet 2012
Photo : Bruno Serrou
Cent deux "lauréats
Juventus" en vingt et un ans d’existence.... Tel est en juillet 2012 le nombre de jeunes
musiciens lauréats de Juventus qui constituent désormais une élite
européenne d’instrumentistes promise où déjà dans une grande carrière de soliste et de
chambriste.
La première promotion Juventus, celle de 1991, compte en ses rangs Xavier Phillips et Alexandre
Tharaud, puis, l’année suivante, ce furent Marc Coppey et Andreas Scholl. Un an
plus tard, François Leleux et Emmanuel Pahud les rejoignaient... Chaque année,
un certain nombre de jeunes instrumentistes sont invités à rejoindre Juventus
sous la proposition de leurs aînés, qui les accueillent, les parrainent et
participent à leur premier concert à Cambrai. Les musiciens s’y retrouvent une
semaine avant le début du festival pour y préparer des programmes variés et
contrastés, avec plusieurs effectifs possibles dans le cadre d’un même concert,
dont les programmes couvrent quatre siècles d’histoire de la musique.
Fondé en 1991 à Arc-et-Senan dans
le Doubs par le Hongrois Georges Gara, par ailleurs chargé de la programmation
musicale du Théâtre de la Ville à Paris, Juventus est implanté depuis douze ans
dans le théâtre et le conservatoire de Cambrai, cité marquée par la présence
hongroise depuis huit cents ans, puisque sainte Elisabeth avait pris la cité
cambrésine sous sa protection en 1207. C’est là qu’est centralisée toute
l’activité du festival. « Je ne suis pour rien dans le choix des nouveaux
membres du club Juventus, se félicite Gara. Ce sont les musiciens qui attirent
mon attention sur leurs jeunes camarades et les choisissent de façon
collégiale. Je ne fais qu’entériner leurs choix. » La famille s’élargit
chaque année, au point d’atteindre le chiffre respectable de cent deux,
avec trois nouveaux venus cette année, la violoncelliste française Hermine Horiot
(26 ans), l’altiste belge Dimitri Murrath (29 ans) et le pianiste hongrois
Benjamin Perényi (19 ans). A chacune des
investitures, les impétrants sont officiellement intronisés dans un concert
public pour partie assuré par eux-mêmes et pour l’autre en sonate ou en
formation de chambre avec leurs parrains.
Hermine Horiot (lauréate Juventus 2012) - Photo : DR
Ainsi, pour le concert d’ouverture
donné hier dans la belle salle du théâtre municipal de Cambrai, la
violoncelliste lauréate 2012, Hermine Horiot, a participé à deux des pièces de
musique de chambre programmées, alors que le guitariste hollandais Marlon Titre
(lauréat 2009), introduisait le festival par le traditionnel allumage d’un candélabre
qui ne sera éteint qu’à l’issue du dernier concert de la présente édition. Sans s'attarder, Titre a joué en solo le premier Fandango pour guitare seule que le
Madrilène Santiago de Murcia (1675-1739) intégra dans les années 1730 à son Cadice Saldivar, cahier retrouvé au Mexique au
siècle dernier. La première partie de la soirée était en fait entièrement vouée à la
guitare, avec Marlon Titre pour élément fédérateur, puisque s’en sont ensuivi deux
quintettes pour cordes et guitare, le second associant la voix à cette formation. Tout d’abord le fameux Quintette pour guitare, deux violons, alto
et violoncelle en ré majeur « del Fandango » G. 448/4 que Luigi
Boccherini (1743-1805) composa en 1798. Compositeur prolifique et transcripteur invétéré qui
vécut plusieurs années à Madrid, Luigi Boccherini a créé l’Introduction et le
Fandango de son œuvre la plus populaire en assemblant deux partitions
antérieures : les deux mouvements initiaux de son Quintette pour deux violons, altos et deux violoncelles en ré majeur op. 10/6 G. 270 de 1771, dont il a
inversé l’ordonnance et qu’il a associés aux deux premiers mouvements de son Quintette à cordes en ré majeur op. 40/2 G.
341 de 1788. Ce saucissonnage s’avère néanmoins efficace tant l’œuvre qui
en résulte apparaît d’une réelle unité mélodique, thématique et discursive. Titre
avait pour partenaire dans cette partition les violonistes Ernö Kallai (lauréat
Juventus 2011) et Etienne Gara, l’altiste Vinciane Béranger et le
violoncelliste Jakob Koranyi, ces trois derniers étant de jeunes
instrumentistes invités. La seconde pièce avec guitare était signée par le
lauréat hollandais 2009, Marlon Titre (né en 1982). Il s’agissait d’un quintette
à cordes avec voix intitulé Strange tales
donné hier en création mondiale. Une œuvre d’un classicisme assumé où la
soprano chante des textes chinois de Pu Songling (1640-1715), célèbre pour ses Contes étranges du studio du bavard. Si, comme pour Boccherini, l’interprétation s’est
avérée irréprochable, il faut ici regretter l’étroitesse du spectre vocal, la
faible puissance et l’acidité du timbre de la soprano singapourienne Yanying
Song au patronyme de circonstance.
La seconde partie du concert
était entièrement occupée par le chef-d’œuvre de Félix Mendelssohn-Bartholdy
(1809-1847) qu’est l’Octuor pour cordes
en mi bémol majeur op. 20. Œuvre véritablement miraculeuse, sans doute la
plus accomplie du compositeur allemand, cet octuor est né de la main d’un jeune
créateur de 16 printemps. Pendant une trentaine de minutes, Mendelssohn tient l’auditeur
sous le charme d’une musique tonique, vivifiante, à la fois d’une stupéfiante
maturité et d’une force incroyablement juvénile. D’une grande maîtrise formelle
et d’une richesse thématique remarquable, l’œuvre rayonne de jeunesse, de
fougue et de passion. Une flamme qu’ont magnifiée les jeunes musiciens réunis hier
par Juventus, Ernö Kallai et Alissa Margulis (lauréats 2011 et 2004, premiers
violons), Graf Mourja (lauréat 1994) et Etienne Gara (seconds violons), Viviane
Béranger et Claudine Legras (altos), Jacob Koranyi et Hermine Horiot (lauréate
2012) (violoncelles), par leur interprétation enthousiasmante de vigueur, de fraîcheur, de spontanéité, d'allant, le tout servi par la souplesse et la
chatoyance du jeu et la précision des attaques. Un formidable moment de
musique.
Bruno Serrou
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