Bobigny, MC93, samedi 23 juin 2012
Marianne Crebassa (Ramiro), Cyrille Dubois (Belfiore), Andreea Soare (Sandrina), Ilona Krzywicka (Arminda)
Quatorze chanteurs de quatre
promotions entrées entre octobre 2008 et octobre 2011, donc des plus aguerris
aux plus novices, ont alterné fin juin sur la scène de la MC93 de Bobigny dans
une production inédite d’un opéra de la première maturité de Mozart, la Finta Giardiniera (la Fausse Jardinière). Longtemps absent de la scène, cet ouvrage créé à
Munich lors du Carnaval de 1775 est porteur des grands traits, tant musicaux
que dramatiques, des chefs-d’œuvre qui naîtront au milieu des années 1780 de la
collaboration du compositeur autrichien avec l’abbé Lorenzo da Ponte, le Nozze di Figaro, Don Giovanni et Così fan
tutte. Composé sur un livret en italien attribué à Giuseppe Petrosellini, cette
première version du huitième opéra de Mozart a longtemps été réputée perdue,
seule ayant subsisté sa seconde forme réalisée en 1779 par Mozart pour
Salzbourg sur un texte allemand sous le titre Die Gärtnerin aus Liebe (la
Jardinière de l’amour), jusqu’à ce que l’original réapparaisse en 1978,
date de la publication de la partition.
L’action de ce dramma giocoso composé par un Mozart de
19 ans est digne de Marivaux, avec quiproquos, jeux de l’amour et du hasard, commedia dell’arte, critique des mœurs du
temps : le comte Belfiore aime la marquise Violante Onesti. Mais au cours
d’une dispute, l’amant blesse sa maîtresse. Convaincu de l’avoir tuée, il s’enfuit.
Un bosquet dans le Sud, le gazouillis des oiseaux, les stridulations des
cigales… Dans ce coin de nature éternelle, les routes de Sandrina et de
Belfiore se croisent de nouveau. La belle marquise, qui a réchappé au coup de
poignard et demeure follement amoureuse du comte, prend les atours d’une roturière
sous les traits de la jardinière Sandrina au service du podestat Don Anchise, espérant
reconquérir ainsi le cœur de son amant. Mais ce dernier a porté son dévolu sur
la jolie Arminda, au désespoir de Ramiro (confié à une mezzo-soprano, ce rôle
annonce le Chérubin des Noces de Figaro),
qui en est passionnément épris. Tout en préparant les fiançailles de sa nièce
avec le comte, le podestat fait la cour à sa jardinière tandis que son valet, Nardo,
a des vues sur la servante Serpetta, qui préfèrerait quant à elle épouser le podestat…
S’ensuit, à l’instar du futur Così fan
tutte, un chassé-croisé de couples qui se font et se défont, jusqu’à ce que
le comte et la marquise se retrouvent et en perdent la raison. Mais dénouement attendu
se réalise, avec l’union de Belfiore et Violante, Arminda et Ramiro, Serpetta
et Nardo. Seul le Podestat reste seul, mais il accepte son sort avec
philosophie, espérant lui aussi rencontrer un jour sa jolie Jardinière…
Cyrille Dubois (Belfiore), Andreea Sorare (Sandrina)
Pour son spectacle rituel de fin
d’année, l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris a choisi cette feinte jardinière
dont les protagonistes, ceux qui cultivent le jardin et ceux qui en jouissent,
vivent une folle journée qui s’enchaîne à une nuit initiatique. Le jardin
civilisé devient alors un espace sauvage où la nature débridée ravive le désir et
la sensualité et déchaîne les passions. Le metteur en scène Stephen Taylor, qui
montre au cours de l’ouverture la dispute des amants et le meurtre de la jeune
femme qui hante les personnages trois heures durant, donne de cette initiation
sentimentale une lecture tendue et souvent voluptueuse, mais la direction d’acteur
n’est pas toujours efficiente, certains protagonistes restant en deçà du
potentiel dramatique de leurs personnages, comme tétanisés par l’enjeu du
spectacle.
C’est particulièrement le cas de la
soprano chypriote Zoé Nicolaidou, Serpetta trop timorée mais séduisante, et du
ténor caenais Cyrille Dubois, Belfiore un peu raide mais à la musicalité
prometteuse. A l’instar de la belle mezzo-soprano montpelliéraine Marianne
Crebassa, qui a largement dépassé le stade d’apprentie et qui campe un Ramiro chagrin mais charme de Cherubino,
la soprano roumaine Andreea Soare, voix mobile et charnelle, a déjà les atouts d’une
Comtesse des Noces de Figaro, tandis
que le baryton bordelais Florian Sempey fait du valet Nardo un Figaro en
puissance, et la soprano polonaise Ilona Krzywicka une Arminda bouillonnante. Si
la voix manque de volume, le ténor toulousain Kévin Amiel brosse un podestat énergique
et malicieux. Comme les chanteurs de l’Atelier lyrique,
les musiciens de l’orchestre-atelier OstinatO s’imposent par leur discipline et
leur enthousiasme, au point que l’on en oublie la légère acidité des cordes,
particulièrement du côté des violons. Tous les protagonistes ont répondu avec zèle
à la direction convaincue du chef suisse Guillaume Tourniaire, qui a pour
particularité de tenir la baguette de la main gauche.
Bruno Serrou
Photos : Opéra National de Paris
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