vendredi 24 février 2012

Une grande partition de Marc Monnet, "Bosse, crâne rasé, nez crochu", reprise par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Pablo Heras-Casado


Centre Pompidou, Grande salle, jeudi 23 février 2012
 Marc Monnet - Photo : Olivier Roller - DR
Directeur artistique du Printemps des Arts de Monte-Carlo (1) en Principauté de Monaco, où son activité est très appréciée par la famille princière, proche de Mauricio Kagel dont il fut l’élève à Cologne, Marc Monnet (né en 1947) est un compositeur hors normes réputé iconoclaste dans le paysage musical français. Homme de vaste culture, d’une avenante cordialité à l’humour corrosif, il programme son festival comme il compose, avec une constante créativité qui touche et convainc un large public tout en bousculant habitudes et certitudes – institutions et médias de l’audiovisuel feraient bien de s’en inspirer pour aider la musique à la reconquête d’un public perdu à cause de producteurs trop mondains et condescendants. Devenu trop rare à Paris, c’est avec plaisir que l’on s’est pressé Centre Pompidou pour réécouter une œuvre qui avait séduit à sa première écoute, lors de sa création voilà bientôt douze ans en ce même lieu et avec les mêmes interprètes, et à sa réécoute au disque (2), mais avec un chef différent.
Cette grande partition d’une cinquantaine de minutes était dirigée hier soir, Grande salle du Centre Pompidou dans le cadre des concerts de l'Ircam, avec diligence par Pablo Heras-Casado, chef d’orchestre espagnol Chef principal de l’Orchestre de Saint Luke aux Etats-Unis depuis décembre dernier - il s’est notamment fait remarquer l’an dernier lors de la création de Matsukaze de Hosokawa au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, puis cet automne au Teatro Real de Madrid dans Mahagonny de Weill -, succédant ainsi hier à Pierre-André Valade. A l’instar de son auteur et de la majorité de ses œuvres, celle-ci porte un titre qui ressemble à un pied-de-nez, si l’on peut s’exprimer ainsi puisqu’il s’agit de Bosse, crâne rasé, nez crochu…  Un titre difficile à retenir si l’on est un tant soit peu coincé, surtout lorsque, à l’écoute, la musique s’avère d’une force singulière et d’une forme particulièrement originale et que l’on sait qu’il provient du portrait d’un personnage emprunté à une courte farce populaire latine dénommée Atellanes qui a pour nom Maccus (personnage que l’on retrouve dans Pirates des Caraïbes)... Composée en 1998-2000 en réponse à une commande de l’Ircam-Centre Pompidou, où elle a été créée le 20 décembre 2000, cette partition est en fait un concerto pour deux pianos/deux claviers numériques, ensemble de dix-sept instruments (flûte, hautbois, clarinette, clarinette basse, basson, cor, trompette, trombone, percussionniste, 4 violons, 2 altos, violoncelle et contrebasse) et dispositif électronique en temps réel en cinq mouvements et trois intermèdes. Les premiers, sans titre, réunissent l’ensemble des musiciens et les seconds, aux titres évocateurs (tulipes, acrobates, chatouillement), revient aux seuls pianistes/claviéristes. Disposés en deux groupes, cordes côté jardin vents côté cour, chacun derrière l’un des pianos, les exécutants concertent en bonne connivence, puisqu’il ne s’y trouve, conformément à la volonté de l’auteur, aucune volonté de domination ni de préférence. L’auditeur est immédiatement capté par cette pièce étrange dont le titre ne sous-tend aucun programme ni portrait. Chacun des sept volets de ce « concerto de chambre », tantôt statique (intermèdes), tantôt emballement (mouvements), est un volet d’une fiction secrète aux élans particulièrement expressifs où Monnet intègre quantité d’influences et de références, y compris à la musique répétitive,  qu’il régit à sa guise et détourne avec ironie. Sous la battue claire de Heras-Casado et sous la houlette de ses deux pianistes, Hidéki Nagano et Dimitri Vassilakis au toucher ferme et délicat (cette dernière qualité étant indispensable dans le premier intermède), l’Ensemble Intercontemporain a confirmé ses affinités avec cette œuvre tant l’interprétation a été flamboyante.
Placé sous l’intitulé « Commedia », la soirée s’était ouverte sur une pièce remarquable de Franco Donatoni (1927-2000), Cadeau, fruit d’une commande de l’Ensemble Intercontemporain pour le soixantième anniversaire de son directeur fondateur, Pierre Boulez. Composée en 1984, créée le 7 juillet 1985 dans le cadre des Fêtes musicales en Touraine par son commanditaire dirigé par son dédicataire, cette page d’une douzaine de minutes pour onze instrumentistes (2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, tuba, harpe, xylorimba, vibraphone, glockenspiel et cloches tubes) répartis en deux groupes (les vents et la percussion avec la harpe) - les instrumentistes étant associés par deux alors que deux couples d’instruments s’opposent - est bien évidemment placée sous le chiffre deux. D’autant plus que la symétrie régit ses deux sections, même lorsqu’elle est brisée par un antagonisme par mouvement contraire. Donatoni a offert à Boulez l’une de ses partitions les plus réussies.
Moins convaincante en revanche a été l’œuvre en création, confiée à un compositeur autrichien de 42 ans, Bernhard Gander, qui se revendique du rock et de l’autodidactie, alors qu’il a fait ses classes de composition au Conservatoire d’Innsbruck et à l’Université de Graz, où il a été l’élève du compositeur suisse Beat Furrer… Il est néanmoins clair que les musiques « actuelles » gouvernent ses oreilles et sa créativité, et il s’en réclame même ouvertement. Ce qui se confirme dans la pièce qu’il a écrite pour l’Ensemble Intercontemporain entendue hier, take nine (for twelve) pour douze instrumentistes (clarinette/clarinette basse, clarinette contrebasse, basson/contrebasson, cor, trompette, tuba, percussion, piano, violon, alto, violoncelle, contrebasse) dont les treize minutes semblent une éternité, tant le son est saturé et le nuancier limité au registre grave et au forte ainsi qu’à tous les degrés situés au-dessus. Outre la lassitude du pensum, l’impression qui se dégage de l'écoute de cette pièce est qu’il s’y trouve beaucoup de bruit pour rien…  Ce qui corroborerait ce que Gender déclare dans le programme de salle distribué hier, « J’ai dû tout découvrir par moi-même »…
Bruno Serrou
1) La prochaine édition du Printemps des Arts de Monte-Carlo se déroule cette année du 16 mars au 8 avril 2012
2) Disponible en CD avec l’Ensemble Court-Circuit dirigé par Pierre André Valade (Zig-Zag Territoires)

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